12 février 2013

Il y a 100 ans : Paroles d'un profane


J’ai plus de chance qu’Hégésippe Moreau lequel écrivait, dans une diatribe célèbre :
« Je lance des crachats aux Goliaths des cours :
Un Maire et son adjoint vont s’essuyer la joue ! »
Moi, je relate les hauts faits de ce que j’appelle, en l’ignorance du langage administratif, un chef du service local, et ce modeste fonctionnaire, méconnaissant ses propres mérites, va, partout, disant, dans la bonne ville d’Ambositra : « Ce n’est pas à moi que ce dithyrambe s’adresse, mais au chef au service régional, auquel j’obéis. Rendons à César ce qui appartient à César ! »
Hélas, j’ai le regret de le dire, mes éloges ne visaient point aussi haut. César, pour cette fois, commande en sous-ordre ; César n’étend son empire que sur le chétif territoire d’une province. L’œuvre, au surplus, qu’il y poursuit, suffirait à sa gloire. Chaque jour, les entrepreneurs, les commerçants, les vagues colons, quelques indigènes, tous ceux qu’émeut la singulière ampleur de sa renommée, sachant que j’écrivaille quelquefois, viennent me dire : « Parlez-nous de lui, grand-père, parlez-nous de lui ! »
Si j’hésite, on me raconte son histoire. Son étoile brilla, paraît-il, d’un incomparable éclat, lorsqu’aux méandres de Vatoavo, s’incrustaient le semblant de route, qui conduit les Ambaniandro vers les terres promises d’Ambalavao. C’est là que furent creusées des tranchées, commencées par les deux bouts, dont les tronçons ne se rencontraient pas au milieu (il ne s’en fallait que de quelques dizaines de mètres). C’est là que furent engloutis, aux rouges profondeurs du sol ingrat, pour cause d’erreur dans les visées, nombre de précieux sacs de mille de la princesse. C’est là qu’un entrepreneur, naïf, laissa le plus clair de ce qu’on lui avait prêté, pour avoir, d’abord, exécuté les ordres de service du grand-homme, et pour s’être, ensuite, laissé persuader que les promesses (de juste indemnité) de M. Picquié, gouverneur général de Madagascar et Dépendances, pourraient avoir une réalisation.
Les hommes de Dieu, qui protègent, avec tout le dévoûmemt dont ils sont capables envers un affilié, l’auteur de toutes ces merveilles, obtinrent qu’il allât, quelque cent cinquante kilomètres plus au Nord, exercer ses mirifiques talents. Comme Mac-Mahon conseillait au nègre de le faire, il a continué : les routes dont il fit, aux environs d’Ambatorahana, proche Ivato, en d’autres lieux, le tracé, ont des sinuosités inattendues. Leurs méandres leur donnent l’allure de serpents malades, de serpents piteux, de serpents inquiets, qui ne sauraient comment faire, pour redresser leur échine. À cheminer sur ces chemins, on se prend à rêver, à ces parcs anglais, où les pas du promeneur promènent une rêverie sans but, des songes sans réalité.
L’auteur de ces lignes, qui voyage pour ses affaires, n’aime pas beaucoup le temps perdu. Il a le tort de s’insurger, quelquefois, contre les kilomètres inutiles. Mais il demeure absolument incapable de protester, quand il lui est donné de constater ce qu’il a vu, pas plus tard que quinzaine passée. Les lecteurs du Progrès n’ignorent pas comment le très distingué chef du service local, dont je les entretins, voici peu, classe les entrepreneurs en bons et mauvais, critérium infaillible, dit-il, pour la réception des ouvrages. Or, sur la route d’Ambatofinandranana, s’écroulent, l’un après l’autre, à la mode des bonshommes de neige, qu’édifient, chaque hiver, les enfants, les ponts construits par le mieux noté des tâcherons indigènes, que connaisse l’Administration. Ils s’écroulent, après s’être déjà, l’an passé, écroulés, une première fois. Et, sans doute, s’écrouleront-ils, tous les douze mois, jusqu’à la consommation des siècles, ainsi que dirait la Sainte Ecriture. Ils furent reçus, sans l’ombre d’une difficulté, comme une œuvre qui ne peut contenir, en soi, la malfaçon.
Considérant, de la coupure de la route, au niveau du village d’Ilanzana, le platelage emporté à 1 500 mètres en aval (il n’y a que les actions de Micromégas qui remontent), par une crue qui n’avait rien de surnaturel, je songeais qu’il est des hommes aimés des dieux, et que Ralitera, auteur du travail, pouvait se féliciter, d’avoir été payé, sans retard, alors que des Européens, dont les ouvrages ne bougèrent point, et, parmi eux, le nouveau Christ, Garalon, attendent, en peine d’argent, que ce bon fanjakana veuille bien leur payer ce qui est dû.
Si le temps ne me manquait pas, je vous parlerais de la façon, dont, après l’article du Progrès, on essaya de retaper la Maternité, ce sera pour une autre fois. Dites-vous, en attendant, que, pour tâcher de masquer l’étendue du mal de cette construction on y applique divers cataplasmes dont la recette n’est un secret pour personne.
Le Progrès de Madagascar

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).

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