J’ai plus de chance qu’Hégésippe
Moreau lequel écrivait, dans une diatribe célèbre :
« Je lance des crachats
aux Goliaths des cours :
Un Maire et son adjoint
vont s’essuyer la joue ! »
Moi, je relate les hauts faits
de ce que j’appelle, en l’ignorance du langage administratif, un chef du service
local, et ce modeste fonctionnaire, méconnaissant
ses propres mérites, va, partout, disant, dans la bonne ville d’Ambositra :
« Ce n’est pas à moi que ce dithyrambe s’adresse, mais au chef au service régional,
auquel j’obéis. Rendons à César ce qui appartient à César ! »
Hélas, j’ai le regret de le
dire, mes éloges ne visaient point aussi haut. César, pour cette fois, commande
en sous-ordre ; César n’étend son empire que sur le chétif territoire d’une
province. L’œuvre, au surplus, qu’il y poursuit, suffirait à sa gloire. Chaque jour,
les entrepreneurs, les commerçants, les vagues colons, quelques indigènes, tous
ceux qu’émeut la singulière ampleur de sa renommée, sachant que j’écrivaille quelquefois,
viennent me dire : « Parlez-nous de lui, grand-père, parlez-nous de lui ! »
Si j’hésite, on me raconte
son histoire. Son étoile brilla, paraît-il, d’un incomparable éclat, lorsqu’aux
méandres de Vatoavo, s’incrustaient le
semblant de route, qui conduit les Ambaniandro vers les terres promises d’Ambalavao.
C’est là que furent creusées des tranchées, commencées par les deux bouts, dont
les tronçons ne se rencontraient pas au milieu (il ne s’en fallait que de quelques
dizaines de mètres). C’est là que furent engloutis, aux rouges profondeurs du sol
ingrat, pour cause d’erreur dans les visées, nombre de précieux sacs de mille de
la princesse. C’est là qu’un entrepreneur, naïf, laissa le plus clair de ce qu’on
lui avait prêté, pour avoir, d’abord, exécuté les ordres de service du grand-homme,
et pour s’être, ensuite, laissé persuader que les promesses (de juste indemnité)
de M. Picquié, gouverneur général de Madagascar et Dépendances, pourraient
avoir une réalisation.
Les hommes de Dieu, qui protègent,
avec tout le dévoûmemt dont ils sont capables envers un affilié, l’auteur de toutes
ces merveilles, obtinrent qu’il allât, quelque cent cinquante kilomètres plus au
Nord, exercer ses mirifiques talents. Comme Mac-Mahon conseillait au nègre de le
faire, il a continué : les routes dont il fit, aux environs d’Ambatorahana,
proche Ivato, en d’autres lieux, le tracé, ont des sinuosités inattendues. Leurs
méandres leur donnent l’allure de serpents malades, de serpents piteux, de serpents
inquiets, qui ne sauraient comment faire, pour redresser leur échine. À cheminer
sur ces chemins, on se prend à rêver, à ces parcs anglais, où les pas du promeneur
promènent une rêverie sans but, des songes sans réalité.
L’auteur de ces lignes, qui
voyage pour ses affaires, n’aime pas beaucoup le temps perdu. Il a le tort de s’insurger,
quelquefois, contre les kilomètres inutiles. Mais il demeure absolument incapable
de protester, quand il lui est donné de constater ce qu’il a vu, pas plus tard que
quinzaine passée. Les lecteurs du Progrès
n’ignorent pas comment le très distingué chef du service local, dont je les entretins,
voici peu, classe les entrepreneurs en bons et mauvais, critérium infaillible, dit-il,
pour la réception des ouvrages. Or, sur la route d’Ambatofinandranana, s’écroulent,
l’un après l’autre, à la mode des bonshommes de neige, qu’édifient, chaque hiver,
les enfants, les ponts construits par le mieux noté des tâcherons indigènes, que
connaisse l’Administration. Ils s’écroulent, après s’être déjà, l’an passé, écroulés,
une première fois. Et, sans doute, s’écrouleront-ils, tous les douze mois, jusqu’à
la consommation des siècles, ainsi que dirait la Sainte Ecriture. Ils furent reçus,
sans l’ombre d’une difficulté, comme une œuvre qui ne peut contenir, en soi, la
malfaçon.
Considérant, de la coupure
de la route, au niveau du village d’Ilanzana, le platelage emporté à 1 500 mètres
en aval (il n’y a que les actions de Micromégas qui remontent), par une crue qui
n’avait rien de surnaturel, je songeais qu’il est des hommes aimés des dieux, et
que Ralitera, auteur du travail, pouvait se féliciter, d’avoir été payé, sans retard,
alors que des Européens, dont les ouvrages ne bougèrent point, et, parmi eux, le
nouveau Christ, Garalon, attendent, en peine d’argent, que ce bon fanjakana veuille bien leur payer ce qui
est dû.
Si le temps ne me manquait
pas, je vous parlerais de la façon, dont, après l’article du Progrès, on essaya de retaper la Maternité, ce sera pour une autre fois. Dites-vous,
en attendant, que, pour tâcher de masquer l’étendue du mal de cette construction on y applique divers cataplasmes
dont la recette n’est un secret pour personne.
Le Progrès de Madagascar
Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire