1 février 2013

Il y a 100 ans : Le code de l'Indigénat à Madagascar


Par un arrêté du 4 décembre 1912, le Gouverneur général de Madagascar a apporté certaines modifications au régime de l’Indigénat. À qui n’est pas très averti des faits de la vie indigène et des faits pouvant résulter de l’application des textes, les différences entre l’arrêté de 1912 et celui de 1908, qu’il remplace, paraîtront insignifiantes. J’espère démontrer que les dispositions nouvelles édictées par le Gouvernement de Madagascar peuvent entraîner des conséquences assez graves pour les indigènes, sont contraires à leurs droits et s’éloignent des principes devant inspirer le régime d’exception qu’est le Code de l’Indigénat.
Un décret du 30 septembre 1887 instituait, pour les indigènes du Sénégal, non citoyens français, un système spécial de répression de certaines infractions.
Avec des prescriptions adaptées des mœurs et des règlements divers, cette institution de l’Indigénat a été étendue à la plupart de nos possessions nouvelles.
Les indigènes sont soumis, le plus souvent, et il en est ainsi à Madagascar, à une double législation : celle de leur pays d’origine et celle de la Métropole. Pour les délits et crimes commis sur leurs compatriotes, pour les affaires civiles et commerciales où des indigènes seuls sont en cause, les lois ou coutumes indigènes sont appliquées par des tribunaux indigènes. Si l’une des parties en cause est européenne, la législation et la juridiction française entrent en jeu.
Malgré le fonctionnement de deux organismes judiciaires, malgré la juxtaposition de leurs codes, il apparut que ni l’un ni l’autre de ces appareils n’était capable de prévenir ou de réprimer certains actes contraires à l’ordre et à l’intérêt publics.
Nous nous trouvons au milieu de populations récemment soumises, défiantes, faciles à émouvoir contre l’étranger occupant le pays. Des bruits alarmants, mis en circulation, sont susceptibles de troubler les esprits, de déterminer les mouvements de révolte, d’entretenir une agitation dangereuse. Les auteurs de ces excitations sont connus. La loi indigène n’a pas prévu la répression de tels agissements : la législation française, dans laquelle est inscrite la liberté de la presse et de réunion, n’est pas moins désarmée, et la procédure, le juge interprétant la loi de la façon la plus favorable à la répression, serait trop lente pour que les coupables fussent atteints. Afin de prévenir les conséquences de l’agitation, il est nécessaire que les responsables soient appréhendés au plus vite. La machine judiciaire normale défaillant, force est de recourir à des moyens qui seraient illégaux si l’autorité compétente ne les légitimait par des décisions régulières.
Le Code de l’Indigénat est le recueil de ces mesures répressives d’urgence, que les lois ne prévoyaient pas et qui ont paru indispensables à la sécurité de tous, colons et indigènes. Il est un progrès, en ce sens qu’il substitue des mesures régulières, prises dans des conditions et avec des formes prévues, aux expédients arbitraires que certaines situations imposaient aux chefs de poste civils ou militaires.
Il est bien entendu que le régime de l’Indigénat n’est que temporaire, qu’il doit disparaître le jour où la discipline imposée par la civilisation aura soumis tous les indigènes aux dispositions plus larges des lois. Chaque progrès de notre protection s’accusera nécessairement par la suppression de quelque clause désormais inutile : le nombre des infractions se réduira de plus en plus.
Le principe absolu est que le Code de l’Indigénat n’atteigne que des actes non prévus par les lois, qu’il ne contienne aucune stipulation en opposition avec ces lois ; il comblera les lacunes, il ne fera pas double emploi, bien moins encore il entrera en opposition avec la législation de droit commun.
L’arrêté de 1908 avait été rédigé en se conformant à ces directions. Les pénalités étaient réduites, le droit d’appel étendu, plusieurs des infractions, prévues dans l’arrêté de 1901 disparaissaient.
Je constate, avec quelque surprise, que le Gouvernement général, en décembre 1912, a ressuscité certaines dispositions abandonnées en 1908, et c’est sur ces innovations que je veux attirer l’attention.
Deux délits nouveaux sont créés :
1° Altération des monnaies ayant cours légal en dehors de toute intention frauduleuse et notamment dans l’intention de les marquer.
2° Achat des monnaies ainsi altérées à un taux intérieur à leur valeur nominale.
La première de ces dispositions institue un délit bien singulier, puisqu’elle punit un acte n’enlevant aucune valeur à des monnaies dont la seconde disposition proclame la libre circulation.
Je serais curieux de connaître comment l’infraction sera établie. Puisque les monnaies marquées conservent toute leur valeur nominale, puisqu’il est interdit de les acheter au rabais, ce n’est pas un délit de les détenir, et celui qui les détient ne peut être responsable de l’altération. À moins de prendre en plein travail l’auteur de la détérioration, je n’aperçois pas quand et comment s’appliquera la disposition. Par contre, je crains qu’elle soit l’occasion de dénonciations et d’injustes poursuites. Sera passible des pénalités quiconque achètera ces monnaies à un taux inférieur à leur valeur nominale. Pour qui connaît Madagascar, l’effet de cette clause sera tout autre que celui désiré. Les aigrefins exploitant l’ignorance des Malgaches de la brousse ou leurs préjuges en matière monétaire, sont des Indiens, commerçants avisés et retors. On les trouve partout, faisant métier de changeurs. Que se passera-t-il ? Le Malgache nanti d’une pièce marquée, craignant de se voir attribuer l’altération, la vendra, au-dessous de sa valeur, à l’Indien qui, lui, assimilé aux Européens, n’est pas justiciable du Code de l’Indigénat.
Ces innovations auront pour conséquence de conférer aux Indiens, pour leur plus grand avantage, le monopole de l’agio sur les pièces détériorées ou marquées.
Plus grave est la modification de l’article premier, rappelant à l’activité une infraction supprimée par l’arrêté de 1908 :
« Refus d’obtempérer, sans excuse valable, aux convocations régulièrement faites à l’occasion d’enquêtes administratives et judiciaires. »
Certains administrateurs abusaient d’un texte analogue, inscrit en 1901.
Un indigène de Tananarive (aujourd’hui naturalisé), instruit, ayant fait plusieurs séjours en France, interprète du Gouverneur général, avait été convoqué par l’administrateur-maire de Tananarive pour assister au bornage d’une parcelle de propriété lui appartenant devant être incorporée à la voie publique. En contestation avec l’Administration sur la contenance et le prix du fonds en litige, l’indigène, se conformant aux avis de son conseil, un avocat redoutant que la présence de son client fût considérée comme un acquiescement, l’indigène ne se rendit pas à la convocation. Armé de l’arrêté de 1901, l’administrateur-maire de Tananarive lui infligea huit jours de prison. Le rédacteur de l’arrêté de 1908, ému par ce fait et d’autres semblables, avait considéré les indigènes comme possédant le droit de faire défaut, dans les enquêtes administratives et judiciaires où pouvaient s’agiter leurs intérêts, et effacé la disposition par laquelle il était loisible de les contraindre à y prendre part.
Je sens la raison de ce retour à des procédés abandonnés. Des colons, pressés de faire immatriculer des terres, se sont plaints des lenteurs résultant de l’absence des indigènes convoqués par le géomètre pour suivre les opérations préalables au jugement. Ces absences étaient souvent nécessaires aux indigènes pour revoir les titres de propriété qu’ils entendaient faire valoir. Prévenus au dernier moment, ils ne sont pas en mesure d’apporter au géomètre les oppositions motivées qu’il doit mentionner dans son procès-verbal ; s’ils se rendent à la convocation sans être munis des témoignages établissant leurs droits, ils sont dépouillés. Le Tribunal, mis en face d’un procès-verbal ne mentionnant pas d’oppositions, ou les écartant comme sans preuves, prononcera l’immatriculation au bénéfice du requérant. Les terres passent ainsi des propriétaires véritables, mais n’ayant pas eu le temps de produire leurs titres, à un trop habile homme, ayant su jouer de la procédure.
Désormais, ces pratiques deviendront plus aisées. Les indigènes n’auront pas le moyen, en traînant les choses en longueur, de réunir les documents nécessaires à la défense de leurs intérêts, l’administrateur expéditif et favorable aux acquéreurs de terrains, coffrera ceux qui ne se rendraient pas aux enquêtes administratives ou judiciaires.
Le Code de l’Indigénat n’est pas fait pour favoriser certaines entreprises de spoliation. Au moment où l’Administration de Madagascar décide de concéder aux colons la riche plaine de Marovoay, grenier à riz, que les régimes précédents avaient décidé de conserver comme réserve indigène, il est singulier que, par une révision du Code de l’Indigénat, elle rende plus malaisée la défense de la propriété indigène.
Victor Augagneur
Député du Rhône,
ancien gouverneur général de Madagascar.
Les Annales coloniales

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).

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