(Suite.)
À
cette époque, l’île était « déchirée », comme on
dit dans les manuels d’histoire, par une véritable guerre
religieuse entre protestants et catholiques. Elle avait pris la forme
scolaire. Imaginez des fourmilières qui cherchent réciproquement à
se voler leurs œufs. De temps en temps, les instituteurs
protestants, dans les villages, faisaient un raid sur les écoles
catholiques, et leur chipaient leurs élèves, qu’ils emmenaient
dans leurs établissements, pour ainsi dire en esclavage. Mais,
d’autres fois, c’étaient les instituteurs catholiques qui
faisaient irruption dans les écoles protestantes, et y ravissaient,
telles des larves inertes et innocentes, les candidats aux voluptés
de l’alphabet et des quatre règles. Et ça n’en finissait pas !
Et les bons Malgaches, qui avaient pris, sous le gouvernement de leur
bonne reine Ranavalo, des habitudes enracinées d’espionnage et de
cafardage, passaient les trois quarts de leur temps à se dénoncer
les uns les autres.
Un
jour, le général Gallieni reçut, du village d’Ampasimbe – ça
veut dire « l’endroit où il y a du sable tant qu’on en
veut » – une de ces dénonciations. Un certain Rakoutou,
paysan à son aise, y était accusé de se livrer à une propagande
échevelée en faveur des protestants : comme quoi c’était un
fauteur de troubles, bon à fusiller dans le plus bref délai, ou,
tout au moins, à jeter sur la paille humide des cachots. Le général
Galliéni fit ce qu’il faisait toujours : il envoya, pour
enquête, la dénonciation, sans la lire, à l’officier du cercle
dont dépendait
« l’Endroit-où-il-y-avait-du-sable-tant-qu’on-en-veut ».
Mais, à quelque temps de là, le général reçut du même lieu une
autre dénonciation où un indigène était accusé de se livrer à
une propagande malhonnête, autant que fougueuse, en faveur des
catholiques ; comme quoi c’était un fauteur de troubles, bon
à fusiller dans le plus bref délai, ou, tout au moins, à jeter sur
la paille humide des cachots. Le général fit ce qu’il faisait un
pareil cas : il renvoya, pour enquête, la dénonciation à
l’officier-chef de cercle, etc.
(À suivre.)
Pierre Mille.
Le Petit Marseillais
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