7 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (7)

(Suite.)
Mais une ramatoa ne cède point ainsi ; il faut se refuser avec des yeux câlins et une voix douce, se dérober avec souplesse et rire en se moquant. La petite ramatoa n’a garde d’y manquer ; tout son chagrin s’efface en un instant ; elle oublie le lieu de son exil, le mal terrible, les monstres qui gîtent dans la nuit. Elle n’est plus qu’une coquette qui veut plaire, une femme prête à l’Amour, inscrivant le monde dans l’orbe de son désir. Cependant il la saisit et l’enlace, l’entraînant loin de la case et de l’espace blanchi par la lune. Sous l’ombre du bosquet, l’indiscrète lueur argentée ne se posera point sur leurs visages, ne révélera pas leur bonheur ignoré de tous les malheureux qui les entourent. Elle appuie sa joue, qui sent les larmes et le mimosa, contre l’épaule du jeune homme. Elle est une petite fleur au royaume des herbes folles et elle va être cueillie. Ainsi l’amour fleurit sur la mort.
La petite ramatoa ne connaît point les mythes divins, ni même la voix qui murmure au fil de l’eau, parmi les feuilles captives, aux vents du ciel, au rythme du cœur. Elle obéit à la terre, à l’odeur des orangers, au désir de la joie. Et l’adolescent demi-nu, à peine touché par le mal, suit l’instinct dominateur qui condamne l’homme à donner la vie. Le monde se pare, à leurs yeux éblouis, qui voient la triste vallée se transformer en un jardin enchanté où fleurit la rose merveilleuse. Désormais ils possèdent le bonheur, et le parfum des orangers monte ainsi que le cantique de la Sulamite dans la douceur de l’air du soir.

*

La langue hova est précise, sans ailes, sans rêves ; le mot « mélancolie » n’y est point exprimé. Cet oubli, que les civilisés demandent à l’alcool, le peuple primitif le trouve dans l’amour, non dans ces grands sentiments plus hauts que la vie, mais à chaque heure joyeuse cueillie sur le chemin des jours. Le Hova a aussi le goût des longues histoires, des paysages et des fleurs ; il sait en voir la beauté, dont les travailleurs d’Europe ont perdu le sens. Ceux que la main de fer de la nécessité courbe sur le sol ou sur des machines ignorent à présent la splendeur du monde : ils possèdent peut-être la mélancolie !
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.

Mercure de France


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