29 mai 2014

Il y a 100 ans : Une cité de lépreux (4)

(Suite.)
Tous ces pauvres gens, et les plus malades comme les autres, étaient doux et gais, complaisants, faciles, et légèrement malicieux. Ils étaient aussi très intéressés, doués du sens du commerce, et tout remplis d’innombrables superstitions, se figurant que les âmes de leurs parents morts habitaient les corps des gros serpents, et les traitant dès lors avec d’infinis égards, afin de ne pas risquer de mécontenter un vieil oncle ou un vieux cousin. Dans chaque village, le chef de la tribu tenait un peu à la fois du maire, du juge de paix et du directeur d’exploitation agricole. Il rendait la justice, intervenait dans les querelles, attribuait à chacun sa part de terre à cultiver, et le défrichement du sol et sa culture constituaient, en effet, la grande occupation de la colonie. Elle était naturellement la fonction des hommes, pendant que les femmes pilaient le riz, faisaient le dîner, tissaient les nattes ou les paniers, surveillaient les poules ou chassaient les sauterelles. Quelques-unes, cependant, s’employaient aussi dans la campagne, et notamment une lépreuse qui ne marchait plus que sur les genoux. On la voyait chaque jour s’en aller à quatre pattes, sa pioche entre son menton et sa poitrine, et se traîner ainsi à un kilomètre pour y travailler son coin de brousse.
Quant aux soins du ménage, ils n’existaient pas. Jamais, ou presque jamais, une case n’était nettoyée, et jamais non plus les vêtements n’étaient lavés, excepté lorsqu’on vous les avait donnés. Peut-être alors par superstition, ou peut-être par une naïve délicatesse, et pour mieux pouvoir les conserver, on lavait ceux-là, mais ceux-là seulement.
— Mais pourquoi ne lavez-vous pas tous ces lambas ? demandaient constamment les Sœurs.
— C’est inutile, leur était-il invariablement répondu, on ne nous les a pas donnés !

*

À l’ombre de ses cases et de ses eucalyptus, cette étrange et touchante cité de lépreux n’était pas, on le devine, sans avoir ses comédies et ses drames. Et quelles singulières comédies ! Quels drames également singuliers !
(À suivre.)

Le Gaulois


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