29 avril 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (1)

De l’autre côté de la montagne s’étend une terre tragique, une vallée au sol rouge tacheté, çà et là, de bouquets d’arbres. Enserrée par une ceinture de collines qui profilent très haut leurs fronts inexorables, cette vallée ne voit du ciel qu’une coupe bleue ; toute échappée sur l’infini est close par les Gardiennes aux lignes sévères, et il n’est pas d’horizon lointain semblable à une grève d’or où passent des ailes et de flottantes vapeurs irisées. À mi-chemin de deux villages contigus, encerclés de murs, se dresse une maison européenne qui paraît être la surveillante de cette geôle ensoleillée des cases prisonnières derrière le rempart des murailles. Nul bruit. – La nature se recueille et attend. Ainsi qu’un rideau de théâtre, le silence tend son mystère entre l’inconnu et la vie apparente. De l’un et l’autre côté du voile ténébreux, le drame est poignant : ici on pleure, là on espère, et le destin ignoré s’accomplit… Cependant le silence donne sa plénitude à l’émotion humaine, il crée une harmonie entre les larmes et les choses, il est la beauté de la douleur. Qu’importe si demain des doigts sacrilèges soulèvent les plis de velours : l’heure est divine, qui fut sans vaines paroles !…
Ici palpite un silence vivant fait des mille bruits du vent et de la terre. On l’écoute… qui donc le troublera ? Les villages sont habités, une fumée floconneuse sort des cabanes, une faible rumeur monte, un éclat de rire a fusé vers le ciel calme… tout s’éteint, et la mélancolie flotte sur le paysage désolé, au pied des montagnes arides. Les villages muets se sont endormis dans quelque rêve heureux, aux lueurs blondes du soleil qui décline.
Le vent du soir s’élève, il chante dans les herbes ondulantes et disperse les pollens au gré de sa fantaisie. Son souffle frais ranime toutes les choses qui étaient anéanties par la chaleur. Voici, dans les villages, des silhouettes étranges qui semblent se mouvoir avec peine. Hommes et femmes, ralentis, entravés, paraissent privés de l’activité coutumière. Les femmes ne vont point à la fontaine d’un pas léger, une poterie de grès rouge posée sur la tête. Les hommes, séparés de leurs compagnes, tenus à part, se traînent, ombres lasses.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France


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