A l'occasion de l'anniversaire d'une date inscrite au fer rouge dans l'Histoire de Madagascar, on rompt avec les habitudes. Voici, en guise de document historique, un discours prononcé le samedi 19 avril 1947 par le Gouverneur Général Marcel de Coppet et publié le même jour dans le Journal officiel de Madagascar et dépendances, dans lequel il revient longuement sur les événements des jours précédents.
Discours prononcé par
M. Marcel de Coppet,
Conseiller d’État, Haut
Commissaire de la République française, Gouverneur général de Madagascar et
dépendances,
Le 19 avril 1947, à
Antsirabe,
À l’occasion de la première
session d’ouverture de l’Assemblée Représentative de Madagascar et dépendances
Messieurs,
Aujourd’hui va s’ouvrir la
première session
de l’Assemblée Représentative de
Madagascar. Il était permis d’espérer que ce jour
serait un jour faste. La création de
Conseils dont les membres, désignés en totalité
par l’élection, jouissent de tous les pouvoirs compatibles avec
le maintien de l’indispensable unité française, fruit de la politique libérale
traditionnelle de la France, représente, en effet, le couronnement d’une longue
évolution.
C’est hélas dans une
atmosphère de profonde tristesse et de deuil que commencent vos
travaux. La Grande Île vient d’être le
théâtre de sanglants événements ; contre la souveraineté de la France, on a tenté une entreprise de force. Des
Français sont tombés, victimes d’agressions aussi odieuses qu’insensées. Des
Malgaches ont payé, de leur vie, leur
loyalisme. Devant les tombes à peine
closes, nous nous inclinons tous avec respect et nous rendons un suprême
hommage à ceux qui sont morts pour
sauvegarder la présence française dans
la Grande Île.
À vous, Messieurs, qui êtes
les élus de la population de Madagascar, je dois de
complètes explications, tant sur l’action menée
par les autorités locales dès le début de
la crise, que sur les perspectives d’avenir
qui s’offrent à nous.
Les heures d’angoisse que
nous avons vécues ne sont pas près de s’effacer de nos
mémoires : voici, dans sa tragique simplicité,
le déroulement des faits.
Le 24 mars courent à
Tananarive des bruits suivant lesquels une opération serait
peut-être entreprise contre les Européens, le
même mois, dans la nuit du 29 au 30.
De telles informations m’avaient
déjà été communiquées à plusieurs reprises et,
chaque fois, j’avais demandé aux chefs de
province de prendre les précautions d’usage. Cette fois encore, ils furent
mis au courant. De son côté, l’autorité
militaire avisa les unités stationnées sur le territoire.
Le 29 mars, le chef du
district de Fort-Dauphin confirme l’éventualité d’une
attaque pour la nuit suivante. À 22 heures,
l’État-Major transmet des nouvelles
inquiétantes. Aussitôt Tananarive est mis en état d’alerte. Les troupes
sont consignées tandis que les forces de
police, de gendarmerie et la garde indigène
effectuent des patrouilles à travers la ville.
L’annonce de l’attaque du
camp militaire de Moramanga parvient, le 30 au matin.
Peu après, on apprend les incidents de Diégo-Suarez où un vol d’armes a
été commis.
Dans la même matinée, par
téléphone, le chef de la province de Fianarantsoa signale
qu’un sabotage de lignes téléphoniques et de l’énergie électrique a isolé la
ville durant la nuit. À 17 kilomètres, sur la route d’Ambalavao, un soulèvement
du M. D. R. M. a eu lieu dans
un village.
Dès le début de l’après-midi,
je me rends à Moramanga pour juger sur place
de la situation et saluer les victimes au nom du Gouvernement que j’ai
l’honneur de représenter. En rentrant à Tananarive dans la soirée, je croise
sur la route des forces militaires importantes qui
vont renforcer la garnison de Moramanga et former une colonne
de secours.
À mon retour, j’apprends que
Manakara est occupé par les rebelles, qui menacent
Vohipeno. Les liaisons entre ces deux
centres et Fianarantsoa sont interrompues.
Des faits d’insurrection se
produisent le long de la voie ferrée Moramanga-Ambatondrazaka et
dans la région d’Ifanadiana.
Je décide alors de
réquisitionner les équipages et
les appareils de la Compagnie Air-France.
Grâce au dévouement des aviateurs et à une parfaite organisation
militaire, des renforts aéroportés
permettent, dès le lendemain, une intervention rapide à Manakara. Six cents
arrestations sont opérées, dont une devait contribuer largement à la découverte
de la vérité.
Le 1er avril,
je réunis le Conseil de Gouvernement et
le Conseil de Défense. Ces réunions ont été renouvelées aussi souvent
que le commandaient les circonstances.
D’autre part, les faits qui
établissent le caractère politique du soulèvement se
multiplient : colons tués au nom du M. D. R. M. ;
drapeaux M. D. R. M. brandis par
les rebelles ; pancarte portant l’inscription
« M. D. R. M. » placée sur une locomotive.
En 48 heures, à la suite
d’une remarquable opération, la colonne du commandant Joubert dégage la voie
ferrée de Moramanga à Ambatondrazaka.
Les 5 et 6 avril, j’inspecte,
par avion, les régions troublées. Accompagné du Général
Commandant Supérieur, je passe
successivement à Ambalavao, Fianarantsoa,
Ihosy, Farafangana où en présence d’une
situation tendue, je laisse un « Junker »
avec des inspecteurs de police, des
armes automatiques et des munitions.
Après m’être arrêté à Manakara, où d’autres
mesures sont prises, je rentre à Tananarive.
La capitale reste calme. Les
régions Ouest et Sud de l’Île ne semblent point participer
au mouvement. Mais cette localisation de
l’insurrection, rassurante en ce sens qu’elle écarte toute menace
immédiate de révolte généralisée, n’en laisse pas moins apparaître une
situation extrêmement grave.
Les premières informations
détaillées venues de l’intérieur montrent, en effet,
le caractère odieux des attentats perpétrés. À
Moramanga, sur la voie ferrée d’Ambatondrazaka
où je me rendis le 10 avril, à Manakara, à Vohipeno, on
compte de nombreuses victimes parmi
les colons, les fonctionnaires, les Malgaches restés fidèles.
Chaque jour sont découverts
de nouveaux actes de barbarie et de sadisme : maris
assassinés en présence de leur épouse ;
cadavres indignement profanés ; colons mis à mort après des tortures
que la parole se refuse à décrire.
Contre ces attaques
déloyales, dans des conditions rendues singulièrement difficiles
par leur dispersion et la précarité des communications, les Européens, civils
ou militaires, fonctionnaires ou colons, se défendirent avec héroïsme.
La fermeté des chefs de district
menacés vous est déjà connue. Les Français isolés opposèrent aux rebelles
une résistance déterminée, tel ce colon de la
région de Moramanga, M. Lesport,
qui, avec un seul fusil de chasse, tint
tête, jusqu’au 7 avril, à plus de
200 rebelles et ne fut délivré, avec sa
famille, qu’au moment où il allait
succomber sous le nombre.
En présence d’une telle
situation, Messieurs, il importait de réagir avec la plus
grande énergie, et de réagir vite. La simultanéité des mouvements
insurrectionnels, à Moramanga, à Diégo-Suarez, à Manakara, à Vohipeno,
témoignait, à l’évidence, de l’existence d’un vaste
complot étendant ses ramifications dans toute l’Île.
D’autre part, après les
heures d’incertitude des deux premiers jours, il s’avère
qu’en fait, les troubles se limitent à des régions nettement particularisées,
essentiellement les pays Bezanozano, Antaimoro et Tanala. Le reste du territoire
demeure calme et l’ensemble de la
population se tient à l’écart de la rébellion.
Enfin, le 4 avril, on
pouvait affirmer que le
mouvement, décapité de ses chefs, avait perdu son caractère de révolte ouverte
contre la souveraineté française, pour
revêtir celui d’actes de banditisme,
accomplis, certes, à la faveur du soulèvement, mais réalisés sans plan
d’ensemble et sans buts définis, au préjudice de
la population autochtone aussi bien que des Européens. Les forces
primitives, ainsi mises en mouvement par des mains criminelles, étaient
revenues à leurs traditions séculaires de rivalités de tribus et à Farafangana,
par exemple, il est vraisemblable que les Zafisoro et les Antaifasy ont profité
de l’insurrection pour régler une
vieille querelle.
Telles sont, Messieurs, les
constatations essentielles qui ont commandé l’action
entreprise par les autorités locales depuis
le début des troubles.
Il fallait d’abord mettre un
terme aux assassinats perpétrés et réduire les taches de
dissidence. Il fallait ensuite, par des
enquêtes précises, menées concurremment dans tous les points de l’Île,
rassembler les fils du complot, dont l’existence
ne pouvait faire de doute, et
établir, d’une manière irréfutable, les responsabilités encourues.
Des opérations militaires,
des mesures de police et l’entrée en jeu du Service
Judiciaire furent autant d’aspects de cette immédiate réaction de défense.
En présence des remous d’une
opinion publique justement alarmée par l’étendue du
péril, le devoir du Chef du Territoire
était de garder son sang-froid et de ne tomber dans aucun des excès
qui pouvaient, d’une part, nuire à la
manifestation de la vérité et, d’autre part, empêcher
notre justice de demeurer implacable, mais sereine.
Il fallait châtier
impitoyablement les coupables, mais
les coupables seuls. Compromettre de façon irrémédiable, par une répression
aveugle, les possibilités d’entente avec cette immense majorité de Malgaches,
qui parfois, au péril de leur vie, nous restaient fidèles, eut
été une lourde faute. De cette faute, c’est, en
définitive, la France et les Français de
Madagascar qui auraient supporté les
conséquences. Malgré les pressions dont
j’ai été l’objet, malgré des
manifestations aussi bruyantes qu’inopportunes,
je n’ai pas voulu la commettre.
En plein accord avec le
Conseil de Gouvernement et le Conseil de Défense, tous
les moyens militaires dont nous disposions ont été immédiatement engagés.
Après une période de cruelle inquiétude,
durant laquelle, privé d’informations précises, et soucieux de ne pas
renseigner ceux qui préparaient peut-être une
seconde ruée, j’ai dû garder le
silence, la phase véritablement critique apparut dépassée. Pour faciliter
la tâche de l’autorité militaire et assurer une
prompte justice, l’état de siège fut
déclaré dans les districts en rébellion ou
directement menacés. Cette mesure, on m’a demandé de l’étendre
à la Grande Île tout entière.
C’est, croyez-le bien, après
de mûres réflexions que je m’y suis refusé. Proclamer
l’état de siège généralisé n’aurait pas
accru nos moyens de défense. Par
contre, une telle décision risquait de
provoquer, à l’égard des populations
demeurées paisibles, des opérations
superflues dont les effets lointains
eussent été désastreux et qui, dans l’immédiat,
pouvaient allumer l’incendie au
lieu de l’éteindre. Quant aux
répercussions extérieures d’une mesure aussi
grave, elles sont trop évidentes pour
qu’il soit utile d’y insister.
Je ne m’étendrai pas sur le déroulement
des opérations militaires ; elles sont maintenant
connues de tous. Qu’il me suffise de
signaler que, dès le lendemain de l’insurrection, des renforts importants
furent demandés à la Métropole et
que ceux-ci, dont les premiers
éléments sont à pied d’oeuvre depuis une
semaine, permettront une pacification
plus rapide et plus complète des régions agitées.
Les résultats de l’enquête judiciaire
entreprise eurent, eux aussi, une influence déterminante sur le cours des événements.
Tous les premier renseignements recueillis prouvaient l’existence
d’une organisation méthodique ayant pour but
d’évincer les Français de Madagascar. Tous mettaient également en cause la
responsabilité des membres du Mouvement
Démocratique de Rénovation Malgache. Des lors de nombreuses
arrestations furent opérées et c’est, sans
doute, dans une large mesure, à cette
prompte intervention de la Justice
que nous devons d’avoir évité une
extension de l’insurrection.
Cette action répressive, Messieurs, j’insiste
sur ce point, a été menée avec un souci
constant de demeurer dans le cadre de la
légalité.
Ainsi s’expliquent et se justifient certains
faits dont, je ne l’ignore pas, s’est émue l’opinion
publique que vous représentez.
Les parlementaires jouissent,
vous le savez, de privilèges particuliers que toutes
les Constitutions de la France leur ont
successivement conférés. Or, le respect des
règles de droit est à la base même de
notre civilisation occidentale et c’est pour assurer le triomphe
de ce principe fondamental que les Nations
Unies ont poursuivi, pendant de
longues années, la plus terrible des
guerres.
Il ne pouvait donc être question d’accomplir,
dans ce domaine, ce qui n’aurait pas
manqué d’être interprété comme un fait
du prince. Aussi, fut-ce seulement
lorsque le déroulement de l’enquête eut
fait ressortir la responsabilité personnelle et la complicité flagrante, dans
les crimes commis, des leaders parlementaires du Mouvement Démocratique
de Rénovation Malgache, que des mandats
d’arrêt furent délivrés à leur
encontre. Quant à l’exécution de ces mandats, elle eut lieu séance tenante.
Messieurs, la Justice suit
son cours et toute la lumière sera faite. Mais dès maintenant,
je le répète, nous sommes en mesure d’affirmer
l’existence d’un complot
organisé sous une forme para-militaire, dans ses moindres détails, et qui
disposait pour son exécution dans toute l’Île de
cellules et d’agitateurs locaux. Le rôle
du M. D. R. M., dans cette
machination préparée de longue date par des
hommes qui avaient trouvé dans les
prérogatives de leurs fonctions
électives le moyen d’attiser les rancœurs,
ne peut, lui non plus, faire de doute
pour personne.
Ce qu’il importe, d’autre
part, de souligner une fois de plus, c’est que la
plupart des Malgaches n’ont point participé au
mouvement. La plus grande partie
du Territoire n’a connu aucun trouble.
Parmi les populations mêmes qui se
sont soulevées, on peut discerner l’effet
de manœuvres qui, avec une
suprême habileté, ont su jouer de superstitions,
de traditions et d’antagonismes profondément enracinés chez des races
encore peu évoluées. La dégradation
progressive de l’insurrection en actes de banditisme, que je rappelais il y a un instant, en fournit une preuve indiscutable.
Telle apparaît, Messieurs, dans toute sa gravité, la situation du Territoire dont nous avons la charge. Pour opérer le redressement qui s’impose, il est indispensable d’avoir une vision exacte des raisons profondes qui ont permis ces actes séditieux.
Sans aucun doute, ces causes sont multiples, diverses et d’inégale importance,
les unes ne sont propres ni à Madagascar,
ni même à l’Union Française.
L’action colonisatrice, dans la mesure même où elle
entreprend l’éducation des populations autochtones, et les fait accéder à un niveau social supérieur, crée chez les individus des aspirations nouvelles qui bien souvent, sans tenir compte des inéluctables
réalités, prennent l’allure de revendications déraisonnables, contraires à l’intérêt
même de ceux qui les formulent. De cette constatation, les difficultés que rencontrent à l’heure actuelle, sans exception aucune, les différentes
puissances coloniales du monde, fournissent, chaque jour, des exemples à méditer.
Mais il est d’autres facteurs dont l’influence, sur la période de crise que nous traversons, agit plus directement encore.
Madagascar, durant la dernière décade, a connu
successivement la crise économique mondiale ; le régime de Vichy ; le débarquement anglais en
1942 ; le Gouvernement de la
France Combattante ; la difficile
adaptation qui a suivi la libération du territoire métropolitain ; enfin,
les réformes profondes opérées par la IVe République. Autant de secousses,
de changements d’orientation, de bouleversements sociaux, inséparables d’une époque où le monde entier cherche sa voie, mais générateurs d’un malaise profond et généralisé.
De cette crise, l’aspect politique doit être le premier signalé, car c’est une action politique qui est à l’origine immédiate du mouvement insurrectionnel.
Lors de mon arrivée à Tananarive, l’année
dernière, je me suis trouvé en présence d’un certain nombre de partis. Parmi eux, le Mouvement
Démocratique de Rénovation Malgache, parti
parlementaire, créé en France même,
était de beaucoup le plus important par la popularité de ses chefs, ses ressources financières considérables et l’habileté de sa propagande.
Après avoir pris l’apparence d’un mouvement tendant à l’octroi à Madagascar,
par des moyens légaux, de l’indépendance
au sein de l’Union Française, ce parti
a révélé peu à peu ses véritables
buts, en se livrant à des manœuvres
dirigées contre la souveraineté de la France. Des campagnes d’excitation ont été entamées par la presse tandis qu’à l’intérieur de l’Ile, certains de ses chefs s’efforçaient de provoquer des manifestations
antifrançaises.
Les réformes accomplies librement, au cours de l’année passée, par la France et par la France seule, ont été faussement présentées par le M. D. R. M.
comme autant de concessions à des revendications
inadmissibles. Quant aux fréquentes
consultations électorales imposées par
la mise en place de nos nouvelles
institutions, elles ont, elles aussi,
entretenu une atmosphère de fièvre.
Pour le recrutement de leur clientèle, les organisateurs du Mouvement qui utilisaient sans scrupule la contrainte, les vieux souvenirs laissés par une domination raciale, la corruption, voire les superstitions de peuplades encore peu évoluées, bénéficiaient, en outre, de circonstances économiques exceptionnellement
favorables.
Les réquisitions abusives de travailleurs, accentuées par l’effort
de guerre des années 1943, 1944 et
1945, la chute de la production, la
pénurie des produits d’importation, en particulier des tissus, la hausse des prix, le marché noir, les erreurs commises dans la gestion de l’Office du Riz, avaient, en effet, provoqué chez une partie importante
de la population un mécontentement qu’il était facile d’exploiter à des fins politiques.
À cet égard, il est symptomatique de remarquer que ce sont précisément les régions orientales de l’Île, c’est-à-dire
les districts les plus touchés par les
réquisitions, ceux où s’exerce, contre
la déforestation, une lutte indispensable mais parfois mal contrôlée, où la
cueillette du caoutchouc, durant les
hostilités, a donné lieu à d’incontestables abus, qui ont constitué les principaux foyers de l’insurrection.
La présence à Madagascar de 15 000 tirailleurs et
travailleurs malgaches qui, pendant un
exil de sept années, avaient connu la
guerre, l’occupation allemande, les
camps de travaux ou de concentration,
dont certains avaient participé à des
opérations de maquis, ajouta au
malaise de ces derniers mois.
Réadapter à une existence normale des hommes ayant si longtemps vécu hors de leur milieu d’origine n’était pas chose aisée. Beaucoup retournèrent paisiblement à leur rizière natale. Mais d’autres, mécontents de leur sort, incapables de s’astreindre à un travail régulier, fournirent un précieux appoint
aux fauteurs de désordres. Grâce à
eux, le complot antifrançais qui prenait
corps disposa de cadres disciplinés et militairement formés.
Messieurs, depuis plusieurs mois déjà, l’autorité locale s’efforçait, par tous les moyens en son pouvoir, de contrebattre l’activité subversive qui s’exerçait
à Madagascar. Plus de vingt condamnations,
allant jusqu’à 5 ans de prison et
25 000 francs d’amende, ont
été prononcées depuis le mois de juin
dernier à l’encontre des auteurs d’articles
incendiaires ou d’agitateurs répandus
à l’intérieur de l’Île.
Mais si nous pouvions frapper ceux des membres du M. D. R. M.
qui se plaçaient en dehors du droit, l’organisation
elle-même de ce parti, en tant que
groupement légalement constitué, en
tant que personne morale, échappait à
notre atteinte. La loi de 1901 sur les associations,
étendue à Madagascar par un décret de
mars 1946, constituait, en effet, une
barrière juridique que seuls les
événements de ces dernières semaines, en établissant la responsabilité du parti tout entier, a permis de franchir.
Messieurs, le prompt rétablissement de l’ordre et de la sécurité sur toute l’étendue de l’Île doit être, de toute évidence, notre objectif immédiat. Sans parler des vies humaines qui risquent, chaque jour, d’être sacrifiées, le climat d’insécurité que nous connaissons actuellement
ne saurait se prolonger sans mettre en
péril l’économie même du pays. Les
moyens militaires dont nous disposons
désormais vont nous permettre d’atteindre
rapidement un tel résultat.
Pour nous prémunir contre l’éventuel retour d’un mouvement insurrectionnel, pour
assurer la sauvegarde de ces colons
isolés dans la brousse, qui ont tant
fait pour la prospérité de Madagascar, l’affectation à la Grande Ile de forces importantes est indispensable. Le Conseil de Défense l’a souligné, nos effectifs et notre armement étaient insuffisants.
Nous avons besoin de deux avisos pour contrôler nos côtes. Il nous faut des
troupes plus nombreuses et, pour permettre une intervention rapide dans ce
territoire si vaste au relief tourmenté, de nouveaux terrains d’aviation, des
avions supplémentaires et des parachutistes sont indispensables.
J’ai, en outre, sollicité du Gouvernement les pouvoirs
politiques et administratifs nécessaires pour assurer, d’une façon rigoureuse,
le maintien de l’ordre. Car les pouvoirs spéciaux conférés aux Hauts
Commissaires par le décret du 4 mai 1946, ces pouvoirs dont on m’a si
souvent demandé de faire usage, ne présentent un caractère exceptionnel que du
seul point de vue économique.
Aux victimes de la rébellion, nous avons le devoir social d’accorder
tout l’appui, toute l’assistance qui leur sont dus. Et personne à Madagascar ne
faillira à ce devoir de solidarité. Mais nous devons voir plus haut et plus loin.
Il faut reconstruire ce pays ; il faut le reconstruire politiquement ;
il faut le reconstruire économiquement.
Une instruction est actuellement ouverte à l’encontre des
dirigeants du M. D. R. M. ; les responsables de la révolte
seront châtiés.
Les crimes commis ne doivent pas être mis à la charge de l’ensemble
des Malgaches. La population autochtone, en refusant, dans sa majorité, de
suivre les rebelles, a prouvé son loyalisme.
Avec ses éléments sains, nous pouvons et nous devons trouver
un terrain d’entente. La pire des erreurs serait de laisser se creuser un
infranchissable fossé entre les Français et les Malgaches. Il y va du maintien
de la présence française à Madagascar où, ainsi que je le disais le 18 octobre
dernier devant le Conseil Représentatif, « la
France ne tolère pas que sa souveraineté soit mise en cause ».
Pour empêcher que le malaise qui est à l’origine des
événements actuels ne se perpétue au risque d’être, à nouveau, exploité contre
la France par de mauvais bergers, un effort de redressement économique n’est
pas moins indispensable.
À cette fin, des mesures importantes ont été déjà prises.
Certaines, je le sais, peuvent paraître sévères aux producteurs et aux
commerçants.
Toutes, cependant, n’ont pour objet que le bien public et,
en définitive, ces mesures ne sauraient avoir qu’une heureuse influence sur les
entreprises qui travaillent dans l’intérêt général.
La lutte contre le marché noir, depuis déjà plusieurs mois,
a été menée avec une énergie dont témoignent les très nombreuses condamnations
prononcées.
La baisse générale des prix, de son côté, contribuera à
assainir une situation économique artificiellement faussée.
Quant à la récente rationalisation de nos achats à l’Étranger,
elle nous permettra de réserver notre contingent de devises à des produits
vraiment essentiels pour la vie du pays, tels les tissus, les hydrocarbures et
les machines, et d’éviter ainsi le scandaleux gaspillage que représentait, par exemple,
l’acquisition aux Etats-Unis de cosmétiques et de parfums.
La Métropole, elle aussi, le Chef du Gouvernement vient d’en
donner l’assurance, est décidée à fournir un effort particulier en faveur de
Madagascar. Les produits qu’elle mettra à notre disposition, en même temps que
le démarrage du Plan d’Equipement et de Développement économique et social de
la Grande Ile, permettent donc d’escompter une élévation substantielle du niveau
de vie de la population. Ainsi, le mal sera atteint dans sa racine.
Messieurs, ce sont de bien lourdes responsabilités qui vont
peser sur votre jeune Assemblée. Pour accomplir la tâche qui vous est dévolue,
il importe que vous délibériez dans le calme, avec une totale liberté d’esprit.
À elle seule, cette considération justifierait le choix de la ville d’Antsirabe
pour siège de vos débats.
Toutefois, à cette décision, il existe une autre raison sur
laquelle je ne saurais trop insister. Vous constituez une Assemblée fédérale
qui se superpose à des Assemblées provinciales, à compétence territoriale
limitée, mais dont, sous cette réserve, le rôle n’est pas moins important. La
coexistence à Tananarive de deux Conseils élus aurait créé une fâcheuse
équivoque, alors que l’heureuse mesure de décentralisation administrative
réalisée par le décret du 25 octobre 1946, doit apparaître à tous les
yeux. Et à ceux qui s’étonneraient de ne point voir siéger l’Assemblée
Représentative de Madagascar dans la ville principale du Territoire, il suffit
de citer l’exemple des États-Unis, de la Suisse, de l’Australie, du Cameroun ou
de l’Union Sud-Africaine, où la capitale fédérale est toujours isolée des
capitales politiques des États fédérés.
Messieurs, nous avons tout à l’heure rendu hommage à nos
morts. Je voudrais, maintenant, adresser l’expression de notre reconnaissance à
tous ceux qui participèrent, qui participent encore, au rétablissement de l’ordre.
À l’Armée d’abord, dont l’intervention rapide, énergique et
efficace permit, en plein accord avec les pouvoirs civils, de redresser une situation
critique.
À la Compagnie
Air-France qui, avec un dévouement et un courage admirables, se dépensa
sans compter et effectua de périlleuses missions aériennes.
Au personnel français et malgache des Chemins de fer, auquel
nous devons le maintien, en dépit des plus grandes difficultés, des liaisons
indispensables à la vie du pays.
À la Sûreté Générale et au Service Judiciaire, sans qui les
responsabilités encourues ne pourraient être déterminées.
Aux colons isolés dans les régions menacées, dont la
courageuse attitude a fait l’admiration de tous.
Aux Chefs de Circonscriptions territoriales, enfin, de qui
dépend, en dernière analyse, le maintien de l’armature administrative de la
Grande Île. Qu’ils sachent bien que leurs efforts ne sont pas demeures vains. Mieux
que personne, je connais, par expérience, leurs difficultés et je mesure tout
leur mérite. Plus que jamais, dans les circonstances présentes, je demeure à
leurs côtés.
Messieurs, le déploiement d’une telle somme de courage, d’intelligence
et de ténacité nous fournit de sérieuses raisons d’espérer en l’avenir. La France,
je le déclarais naguère, est à Madagascar et elle y restera. Elle en le droit,
car après un demi-siècle d’action colonisatrice, elle peut considérer son œuvre
d’un cœur serein. Elle en a le devoir, car la tâche entreprise n’est point
terminée.
La France n’entend rien renier ni abandonner de sa politique
généreuse, Mais selon les paroles du Chef du Gouvernement lui-même : « Nous
ne permettrons pas que ce message qu’elle apporte Outre-Mer, message de paix,
soit interprété comme un signe de faiblesse ».
La justice passera donc, impitoyable, mais elle demeurera la
justice : la population autochtone doit être assurée que la distinction
sera faite entre les éléments loyaux et les ennemis déclarés de la souveraineté
française. Ceux-ci seulement seront frappés. Ceux-là doivent retourner sans
crainte à leurs champs et à leurs rizières. L’appui tutélaire de la France leur
et assuré.
Messieurs, l’Union n’est jamais si nécessaire que dans les heures
de danger. Nous voulons tous qu’à Madagascar comme ailleurs, la France reste forte
pour le plus grand des peuples qu’elle rassemble autour d’elle. À cet effort de
consolidation d’une œuvre demi-séculaire, il faut que nous consacrions le
meilleur de nous-mêmes. C’est donc en affirmant le maintien dans la Grande Île
de la présence française, que je déclare ouverte, Messieurs, la première
session de l’Assemblée Représentative de Madagascar.
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