5 avril 2017

Il y a 100 ans : Joyeusetés coloniales

Il y a des gens qui ne lisent jamais le compte rendu des séances de nos doctes académies ; ils ne savent pas ce qu’ils y perdent, car les esprits curieux y découvrent souvent des perles.
Ainsi Madagascar a l’heur de posséder une académie siégeant à Tananarive, où les discussions offrent un grand intérêt, car elles nous tiennent au courant des découvertes scientifiques dont la Grande Île est le théâtre et… d’autres choses aussi, parfois assez drolatiques.
J’ai appris, par exemple, qu’un savant, parti pour aller étudier les variations barométriques sur le mont Tsiafajavona, s’était trouvé dans la triste nécessité d’interrompre ses intéressantes expériences parce qu’un gasy inconnu avait eu le mauvais goût de lui voler ses instruments de précision !
Certes, les savants, particulièrement ceux qui se nourrissent de chiffres, d’algèbre et de logarithmes, sont des êtres fort distraits, à telle enseigne que nos écrivains leur font jouer des rôles plutôt comiques ; mais enfin un astronome qui se fait dépouiller de ses instruments barométriques, thermométriques et autres appareils en ique doit en rester inconsolable, car il commet un crime de lèse-science !
Dans l’Aurore boréale d’Henri Rochefort, nous voyons bien un astronome si absorbé par le phénomène étudié qu’on le trompe derrière lui sans qu’il s’en aperçoive. Jules Verne nous a également fort amusés avec Nicolas Palender, Paganel et Palmyrin Rosette ; mais ces types de savants, pour distraits qu’ils soient, n’atteignent pas aux chausses de notre géodésien, tellement dans la lune qu’il se laisse subtiliser ses précieux instruments !
Une servante malgache, ramenée par moi de la Grande Île il y a déjà pas mal d’années, à qui je narre l’aventure parce qu’elle me paraît drôle, agite mélancoliquement sa perruque toute blanche au-dessus de son visage d’ébène, et me répond : « On n’aurait jamais vu pareil scandale au temps de Rainilaiarivony ou du général Gallieni. »
Évidemment, ma vieille Rakotobe, mais au temps de Rainilaiarivony et de Gallieni, les savants n’allaient pas étudier les variations atmosphériques sur le mont Tsiafajavona, raison péremptoire pour qu’un effronté gasy ne fut pas tenté de leur voler leurs instruments !
Chanteclair.

Le Courrier colonial

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