Le cas de Louis Tinayre, présent dans l’exposition, mérite
d’être examiné en détail. Au moins pour un moment particulier de sa vie quand,
en 1895, il accompagna ce que les Français appelaient « l’expédition de Madagascar »
et qui était, en réalité, la deuxième tentative de colonisation après celle de
1883 qui avait échoué.
Il est l’envoyé spécial du Monde illustré. Son frère Abel a déjà couvert quelque temps
auparavant, pour le même hebdomadaire, l’expédition du Dahomey. Bon sang ne
saurait mentir, se dit-on probablement à la rédaction. Louis Tinayre est un
collaborateur régulier mais, paradoxe pour un envoyé spécial sur le théâtre
d’un conflit, il n’écrit pas, ou très peu : il dessine, peint,
photographie… C’était, après tout, le principe même de la publication :
donner à voir les événements, le récit étant secondaire.
Le voici donc avec son portrait dans les pages intérieures
et sur le Yang-Tsé, un paquebot-poste
lancé en 1877 sur lequel, ironie de l’Histoire, navigueront aussi bien
Gallieni, gouverneur général de Madagascar colonie française, que
Ranavalona III en route pour son exil algérien.
Mais revenons à notre artiste des lointains.
Il a 34 ans, un des premiers documents qu’il envoie de
Port-Saïd, en cours de voyage, est l’image d’une sieste sur le gaillard d’avant
du navire. En même temps que sa vision de la traversée du canal de Suez.
Dès le numéro du 11 mai, les lecteurs du Monde illustré savent qu’il est à pied
d’œuvre sur le terrain : ce jour-là, la couverture du magazine (notre
illustration) montre un mirador, poste d’observation en avant de
« Majunga », occupé par la 1re compagnie des
tirailleurs malgaches, un dessin signé Louis Tinayre. Il en donnera beaucoup
d’autres au cours des mois suivants, et pas mal d’entre eux se retrouveront
également à la Une.
On assiste ainsi, au début de son parcours, à
l’interrogatoire d’un tirailleur « sakalave », au ballet des voitures
Lefevre, au débarquement des troupes et du matériel que déplacent des porteurs
« indigènes » lourdement chargés.
Le commandant Metzinger, qui dirige à ce moment les troupes
de l’expédition, fait aux Malgaches de belles promesses. L’avenir s’annonce
radieux pour ceux des habitants qui se placeront aux côtés des Français…
Et Tinayre dessine, photographie. Il aime à l’évidence, les
tirailleurs bien rangés en ligne sur ce que l’on suppose être une ligne de
front, ou en route pour Marovoay. Ce sont, écrit le journal, « certains des épisodes les plus
saillants des débuts de la campagne ».
Il visite un sanatorium, qu’ira voir plus tard le général
Duchesne – et, dans ce cas précis, on se demande un peu comment il a pu
s’attribuer une photographie sur laquelle il est porté en filanzane. Ses
éventuels assistants n’ont pas de nom…
A Mononga, il y a des combats. Il les dessine. On n’est pas
envoyé spécial pour se reposer à l’arrière, bien qu’il soit aussi photographié,
très tranquille, en chaise longue, devant une tente. Il s’essaie aussi à la
scène de genre, hors du brouhaha de la guerre : c’est un Malgache faisant
sa provision d’eau, celle-ci s’écoulant à travers un bambou au départ d’un
tonneau ; c’est la sieste des muletiers arabes, sous un manguier.
Suberbieville, cité industrieuse et minière fondée par Léon
Suberbie, est une halte bienvenue. C’est là, à peu près, à côté de Maevatanana,
que se termine prématurément le chemin de Louis Tinayre. Bien placé pour
dessiner la Betsiboka et l’Ikopa où naviguent des canonnières, il entend les
rumeurs du combat de Tsarasoatra. Le 14 juillet, il assiste à la revue et aux
divertissements qui conviennent à ce jour, et c’est à peu près son dernier fait
d’armes, si l’on ose l’écrire ainsi.
A la fin du mois d’août, en commentant la matière de ses
dernières productions – un immense convoi de vivres et de malades –, il annonce
aussi que le général Duchesne, décidé à prendre Andriba et à mobiliser toutes
les forces de son armée dans ce but, ne souhaite pas avoir les envoyés spéciaux
des journaux dans les pieds : « Il
est vraiment dur, pour un correspondant, de se voir arrêter juste au moment où
l’intérêt décisif de la campagne va s’engager ; et de perdre ainsi le
fruit de tant de fatigues subies depuis des mois dans l’espoir de recueillir, de
visu, le plus de documents
possibles ; mais que faire en présence de la volonté du général
Duchesne ? »
Il se console en se disant heureux d’avoir survécu au climat
meurtrier de Suberbieville et en ajoutant que sa santé ébranlée malgré tout par
la dysenterie trouverait à la Réunion un contexte favorable à un total
rétablissement.
Tandis que l’armée continue à avancer – on connaît la suite
–, Louis Tinayre bat donc en retraite. Son aventure malgache est bientôt
terminée. Mais, en un sens, elle ne fait que commencer. Car, à son retour en
France, il reprend les dessins et les photographies réalisés sur place et se
met à peindre. De grandes toiles, notamment, de 3,5 sur 5 mètres, exposées
à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Albert Ier de Monaco
les remarquera, ce qui décidera le prince à embarquer l’artiste comme peintre
officiel de ses campagnes océanographiques.
De la campagne de Madagascar au Rocher de Monaco, ce fut un long chemin pour Louis Tinayre, qui décédera en 1942.
De la campagne de Madagascar au Rocher de Monaco, ce fut un long chemin pour Louis Tinayre, qui décédera en 1942.
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