Avant de revenir aux chroniques traditionnelles d'il y a 100 ans et de basculer vers des articles publiés en 1918 (on en était resté, jusqu'à présent, à 1917), un interlude d'une actualité qui reste ancrée dans le passé avec deux articles parus dans Les Nouvelles (ce journal publie aussi quotidiennement les chroniques reprises ici avec un décalage) le 9 février.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris accueille depuis la fin
du mois dernier et jusqu’à l’année prochaine une exposition de peintures. Près
de deux cents œuvres doivent révéler l’évolution du « regard porté en
Occident sur les peuples, sociétés et territoires lointains, de la fin du XVIIIe
siècle jusqu’au milieu du XXe ». Donc, aussi, sur Madagascar.
Le dépliant gratuit qui accompagne l’exposition fait
d’ailleurs la part belle à Madagascar. Seuls trois peintres y sont représentés.
Et, si Eugène Fromentin s’est arrêté en Afrique du Nord, les deux autres ont
visité nos contrées : Louis Tinayre à l’occasion de la campagne militaire
de 1895 – nous y reviendrons en détail dans l’article suivant – et Marcel
Mouillot.
Celui-ci, nous explique le commentaire, est un artiste
autodidacte (1889-1972) qui partit en 1930 pour l’océan Indien, comme passager
d’un bateau à vapeur. Il passa donc ainsi par Madagascar et par La Réunion. « Les paysages découverts lui inspirent
des toiles qui renouvellent l’imaginaire visuel de l’exotisme. Dans des teintes
souvent froides de bleus et de verts, Marcel Mouillot pétrifie la nature en
usant de la simplification et de la géométrie des motifs. »
Dans ses œuvres (dont nous ignorons lesquelles sont exposées
à Paris), on trouve notamment une pirogue à Nosy-Be. Et il est possible que sa Vue d’un bateau à travers des branches de
palmiers, une gouache sur papier, soit au moins inspirée par Madagascar.
Mais, en 1930, la Réunion était presque aussi exotique…
Péric Bietry-Rivierre, qui a visité l’exposition (ce n’est
pas notre cas) pour en rendre compte dans Le
Figaro (édition d’hier, jeudi 8 février), signale un tableau d’André
Liotard, Femme malgache à sa
toilette : « une Noire
essuie une Blanche au sortir d’un bain, prétexte à un saphisme racoleur et au
rappel du pouvoir. »
André Liotard (qui se prénommait en réalité Alcide, mais il
ne devait pas être fou de son prénom), né en 1887 et mort en 1973, possède une
carrière singulière qui a toujours laissé une place à l’expression artistique
mais qui s’est aussi développée sur d’autres terrains. Directeur des travaux en
Afrique, il termina, après la Première Guerre mondiale, la ligne ferroviaire
qui relie le littoral du Gabon à Léopoldville, alors au Congo belge. Et en
1926, voilà qui le rapproche géographiquement de nous, il est nommé directeur
de la Compagnie coloniale de Madagascar. Il démissionnera de ce poste pour
redevenir architecte et construite, dans la Grande Île, des églises, des
couvents et une gare ferroviaire. Opposé au pouvoir de Vichy dès le début de la
Seconde Guerre mondiale, il est élu conseiller municipal de
« Tananarive » en 1944. Il présidera en 1947 la Ligue de défense des
intérêts franco-malgaches et deviendra sénateur en 1948, représentant
Madagascar pendant son unique mandat.
En 1952, l’année où celui-ci se termine, selon sa biographie
établie par les services du Sénat, il publie dans Le Monde un article où « il
refuse le terme d'autochtones, « non-sens de la constitution » qui
fige des « fractions indépendantes » dans une situation précaire. Il
affirme que « le développement normal de [ces] territoires ne saurait être
que celui des populations toutes entières qui les peuplent aujourd'hui,
ensemble, dans tous les domaines d'activité, et non point en séparant une
fraction, dite autochtone ».
Dans l’exposition, on peut croiser aussi, avec Marécage à Madagascar, le nom d’Adolphe
Martial Potémont (1828-1883). Ce paysagiste a vécu à La Réunion, de 1847 à 1857,
et se trouvait donc très proche d’autres terres qu’il a forcément visitées.
L’Iconothèque historique de l’océan Indien reproduit plus de cent de ses
œuvres, parmi lesquelles certaines sont puisées dans des décors que nous
connaissons bien. Un dessin, gouache et crayon, par exemple, où des Malgaches
conduisent un troupeau de zébus. Un autre, selon la même technique, où deux
zébus se trouvent dans une clairière. Un paysage avec rivière, huile sur toile.
Une estampe : Grève de Tamatave.
Etc. Comme on le voit, les décors l’intéressaient davantage que les humains –
les gardiens de zébus sont noyés dans le paysage, splendide, il est vrai.
Ce ne sont là que quatre exemples puisés au plus près de
nous dans une exposition qui, on le rappelle, n’est pas consacrée qu’à
Madagascar. Et peut-être ne sont-ils pas représentatifs des grandes tendances
qui traversent l’ensemble de Peintures
des lointains. Quand même, osons en tirer un enseignement, avec toute la
prudence nécessaire.
Les paysagistes, essentiellement Marcel Mouillot et Adolphe
Martial Potémont, se moquent pas mal des mœurs locales et des rapports humains.
Ils ont devant les yeux quelques-unes des plus grandes beautés du monde et ne
se privent pas de s’en inspirer pour montrer en Europe des images devenues communes,
aujourd’hui que l’audiovisuel a envahi le monde, mais peu connues à leurs
époques respectives.
Les deux autres sont plus engagés dans leur temps. En suivant l’armée française, Louis Tinayre ne dit pas qu’il approuve l’action colonialiste. Mais il ne dit pas le contraire non plus. André Liotard semble avoir bâti sa vie sur des nuances. Il serait utile de creuser le sujet.
Les deux autres sont plus engagés dans leur temps. En suivant l’armée française, Louis Tinayre ne dit pas qu’il approuve l’action colonialiste. Mais il ne dit pas le contraire non plus. André Liotard semble avoir bâti sa vie sur des nuances. Il serait utile de creuser le sujet.
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