J'apprends, en lisant Midi Madagasikara, que Jean-Pierre Haga Andriamampandry est le lauréat 2018 du Prix Indianocéanie pour son roman Le jumeau. J'apprends en même temps cette nouvelle consternante: il est mort il y a quelques semaines. Je ne l'avais pas croisé depuis longtemps, mais j'avais eu le plaisir, il y a 10 ans, de le présenter lors d'un forum littéraire au CCAC. En hommage, je republie ici le texte que j'avais écrit pour servir d'introduction à ce forum.
Il sera également repris d'ici peu dans un volume d'articles que j'ai consacrés, au fil du temps, à la culture malgache - en prolongement de l'exposition qui se terminera le 1er janvier à Paris, et en complément d'un autre volume compilant des articles parus pendant la période coloniale.
Revenons à Jean-Pierre...
Jean-Pierre Haga n’a pas aimé l’école.
Il n’a pas aimé l’armée.
Il n’aime pas les 4 × 4.
Il n’aime pas les méchants.
Il n’aime pas les adultes.
Il n’aime pas les penseurs qui se poussent du col. Ni d’ailleurs,
plus généralement, en dehors des penseurs, ceux qui se prennent au sérieux.
Il n’aime pas les skinheads.
Il n’aime pas… encore plein d’autres choses, d’autres
personnes. « Je ne suis pas un gentil », me disait-il il y a quelques
jours.
Je me demande s’il va aimer être parmi nous pendant l’heure
et demie que nous avons prévu de passer ensemble… Je vais essayer, en tout cas,
de rendre supportable son séjour sur cette scène. J’ai eu et j’ai toujours, en
gros, les mêmes détestations que lui. Peut-être que cela va aider…
Ce qui va aider aussi, c’est qu’il n’est pas seulement une
boule de colère qui haïrait le monde entier. Il a aussi des passions, comme le
prouve la sortie de son deuxième livre, prétexte à la rencontre d’aujourd’hui, Sitarane Blues. Comme le prouve aussi la
présence de sa guitare, un instrument qui ne le quitte jamais et dont il fait
un usage… un usage… bon, vous verrez bien.
Mais reprenons au début : bien que son nom soit bien
malgache, il est né à Paris – personne n’est parfait, n’est-ce pas, Jean-Pierre ?
Malgré cela, il a passé l’essentiel de sa jeunesse, une dizaine d’années, à
Tana et à Ambohidratimo. Ses parents, tous deux universitaires, avaient en
effet décidé de rentrer au pays.
Il a longtemps travaillé dans le domaine du marketing, et
quand je dis « dans le domaine », c’est un territoire très large dont
il a exploré à peu près tous les aspects. En France métropolitaine, à
Madagascar et à la Réunion, il a acquis une expérience pour le moins éclectique
et l’énumération de ses emplois ressemble à un inventaire à la Prévert :
vendeur de bougies décoratives, vendeur de posters de pin-up
au porte à porte
vendeur d’encyclopédies
garçon de piste, pompiste, caissier, comanager dans une
station-service
chef de rayon stagiaire dans une grande surface
distributeur de journaux, responsable de zone de
distribution pour France-Soir puis
chef de zone pour le Figaro-portage
chef de ventes produits frais à Tana
organisateur d’enquêtes et concepteur de questionnaires d’enquête
formateur en techniques d’accueil et de vente
enseignant en marketing…
Expérience éclectique, je vous le disais… Pendant ce temps, il
avait l’air d’un homme normal. Enfin, normal dans le genre marketing…
Au fond, il n’aimait pas trop ça. Il y avait de l’argent, certes,
c’est le genre du marketing. Pour l’épanouissement, c’était autre chose. Alors,
comme ce sont toujours les femmes qui comprennent avant les hommes, c’est son
épouse, Fanja, qui lui a dit à peu près : « Tu es en train de devenir
très con. Arrête ce boulot. Écris ! »
C’était il y a huit ou neuf ans, à la Réunion. Depuis, Jean-Pierre
Haga a fait comme ses parents : il est rentré au pays. Et semble aujourd’hui,
malgré ses colères, le plus heureux des hommes.
À tel point que, si vous vous souvenez de deux ou trois
choses dont je disais tout à l’heure qu’il ne les aimait pas, il assume
tranquillement un apparent paradoxe. Lui qui n’a pas aimé l’école s’occupe
depuis 2005, toujours avec son épouse, d’une… école à Antsirabe. Mais attention :
pas n’importe quelle école ! Une école que les enfants aiment. Où il y a
un potager dont les enfants s’occupent, et quand les légumes ont poussé, c’est
lui qui fait la cuisine. Oui, Jean-Pierre Haga s’occupe de la cuisine. Et, d’après
ce qu’il dit – je ne crois pas qu’il se vante –, les enfants apprécient. Forcément :
il y met tout son cœur.
Mais bon, vous n’êtes pas venu pour entendre parler de
gratin d’aubergines, n’est-ce pas ? Nous sommes dans un forum littéraire. Avant
d’en venir à la littérature, il faut quand même faire encore un détour. Par la
musique, par la chanson. Sous le nom de Hagamena, Jean-Pierre a sorti un CD, Made in Antsirabe.
L’orchestration est minimale : Fafah joue de la guitare
et des instruments traditionnels, Jean-Pierre Haga chante… Il n’en faut pas
plus, car l’essentiel est dans les textes. Le disque reprend une grande
tradition de la chanson française, défendue par des
chanteurs-compositeurs-interprètes.
On y trouve, on y revient toujours, l’écho de ce qu’il n’aime
pas. Comme lorsque, dans « Les hypocrites », il explique pourquoi
certains de ces hypocrites prient : « au
nom du pèze, du fisc et de leur saint profit », ou « au nom du fer, du crime et de son
saint fusil », à moins que ce soit « au
nom du verre, du vice et de leur sainte orgie », tandis que la femme
aimée prie, elle, « au nom des mères,
des filles et puis des fils aussi ».
J’insiste sur la qualité de l’écriture. Un des titres (« Amours
océanes ») lui a d’ailleurs valu un prix de « chanson à texte »
tout à fait justifié dans le cadre d’un concours organisé par l’association « Bons
baisers de Jules Verne ».
Et j’en viens aux livres. Il a publié d’abord, chez Magnard,
il y a trois ans, Vert de peur, un
court roman fantastique pour la jeunesse. Il était d’ailleurs déjà sur cette scène
il y a quelques mois, c’était fin mai, dans le cadre d’un forum consacré à la
littérature de jeunesse, avec Laurence Ink et Jean-Claude Mourlevat.
Il aimerait bien ne pas garder l’étiquette d’écrivain pour
la jeunesse – pas exclusivement, en tout cas. Pas de chance : Sitarane Blues paraît encore dans une
collection destinée aux jeunes. Je ne vais pas m’y attarder, puisque nous
allons en parler ensemble – et avec vous. Mais je ne résiste pas au plaisir de
lire quelques lignes de la quatrième de couverture, l’avis de trois personnes
sur ce texte. Deux éloges et un coup de griffes :
« Un récit
sublime et plein d’humour ! »
(ma femme)
« Trop cool !
Super coooool ! »
(ma fille)
« N’importe quoi !
En plus, il dit des gros mots ! »
(ma voisine que je n’aime pas et qui me le rend bien)
On voit le genre d’humour que pratique Jean-Pierre Haga. Je
précise aussi, même si nous y reviendrons probablement, que ce texte, Sitarane Blues, appartenait en fait à un
recueil de douze nouvelles, auquel son auteur avait donné un titre qui claque :
« Bien fait ! » (Comme
on dit, pardon pour l’expression, mais je n’en ai pas trouvé de plus juste :
bien fait pour ta gueule !)
Et puis, comme il n’est résolument pas qu’un auteur pour la
jeunesse, il a écrit un roman, L’œil du
cyclone, pour lequel il a reçu en 2004 le prix de l’océan Indien. Jean-François
Samlong en dit : « Jean-Pierre
Haga passe à la loupe les faits et gestes des personnages, leurs pensées, tout
en jouant avec les onomatopées (à la manière d’une Anna Gavalda). »
À propos de ce roman, je vous confie un scoop, comme on dit
quand on est déformé par le journalisme : L’œil du cyclone est annoncé pour le début de l’année prochaine.
J’ai presque envie de vous raconter aussi de quoi parle le
roman auquel il travaille actuellement. Le sujet est excitant.
Je le fais ?
Non, il le dira mieux que moi tout à l’heure si
on trouve le temps d’envisager l’avenir. Je vais donc en rester là et permettre
à Jean-Pierre Haga de s’exprimer. Après tout, c’est lui que vous êtes venus
écouter.
Bonjour, très joli texte pour le présenter. Je ne l'ai pas connu personnellement mais il a été membre du comité de l'Alliance française d'Antsirabe, dont je suis directeur, tout le monde le connaissait ici, et son livre Le Jumeau a plus a tous ceux qui l'ont lu autour de moi. Nous avons décidé d'en faire notre livre du mois et sommes en contact avec sa veuve Fanja pour continuer à lui rendre hommage et à faire connaître au public son œuvre aussi brève qu'intense. Merci pour ce bel hommage.
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