Ceux qui trouvent que les indigènes de nos colonies viennent
timidement à la civilisation les calomnient tout simplement ; les
indigènes y mordent au contraire à belles dents et se hâtent d’en ingérer les
morceaux qui leur paraissent particulièrement succulents. C’est ainsi qu’à
Madagascar, il y a maintenant des citoyens conscients et organisés, des
camarades syndiqués qu’il ne fait pas bon contrarier, car vous êtes aussitôt
mis à l’index comme un infâme buveur de sueur.
Un de nos confrères de Tananarive nous conte l’interdit qui
fut jeté sur lui dans la Grande Île pour avoir renvoyé son cuisinier : car
c’est le syndicat des maîtres-queux qui a le plus conscience des beautés de la liberté.
Notre confrère avait donné congé à son gâte-sauce indigène,
mais avec plus d’un mois de préavis de sorte que ce fonctionnaire des fourneaux
ne pouvait guère crier à l’arbitraire. Par ailleurs, notre confrère avait
retenu l’émule de Vatel d’un de ses amis, et, tranquille, il attendait la
transmission des pouvoirs.
Hélas, cette transmission ne se fit pas, et, entre deux
cuisiniers, se trouvant… assis par terre, notre confrère dut faire sa cuisine
lui-même, avec la maigre ressource d’ouvrir une enquête sur les causes de sa
mésaventure.
Celle-ci, d’ailleurs, ne fut pas inutile, car elle lui
permit de découvrir l’existence du syndicat, et d’apprendre qu’à ce syndicat il
était de règle de punir en le mettant à l’index le vazaha qui se permettait de
remercier son cuisinier.
Il sut encore que les cuisiniers syndiqués avaient un
président qui était chef-cuisinier chez un gros bonnet de l’administration.
Vous voyez que les cuisiniers conscients et organisés de la
Grande Île apprécient, comme il convient, le dogme des droits de l’homme et du
citoyen : tout pour l’indigène et rien pour le vazaha. Tout le monde ne
peut pas, comme certain chef de district boycotté, faire rafler tous les
cuisiniers sans ouvrage et en choisir un à son goût.
Aussi bien aurions-nous quelque hésitation à forcer un
indigène à nous servir malgré lui ; trop forte serait la tentation de nous
faire absorber des mets à l’huile de ricin ou à autre chose. Aussi notre
confrère fit-il bien en se résignant philosophiquement à préparer ses plats
lui-même.
Le Courrier colonial
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