La collection « Terre humaine », aux Editions Plon, est un
mythe. Créée par Jean Malaurie en 1954 avec son premier livre sur les Inuits,
dirigée aujourd’hui par Jean-Christophe Rufin, elle a accueilli des ouvrages de
Claude Lévi-Strauss, Victor Segalen, Wilfred Thesiger, Pierre Jakez Hélias,
Eduardo Galeano. Un catalogue prestigieux.
C’est dans ce catalogue que s’inscrit aujourd’hui La sentinelle de fer, de Roland Vilella,
avec un sous-titre plus explicite : Mémoires
du bagne de Nosy Lava (Madagascar). La sentinelle du titre est le phare de
l’île, qui prend sous les yeux de l’auteur des connotations négatives, comme
dans ce passage situé assez loin dans l’ouvrage, après que l’impression a été
répétée à plusieurs reprises : « la
silhouette noire du phare émerge dans les éclats du soleil à son coucher,
détachée sur le profil de l’île. Je frissonnais toujours à sa vue. L’obscurité
finissait par la dissimuler à mes regards, mais je ressentais se présence
hostile. »
A dire vrai, ce sentiment de malaise ne trouve jamais
d’explication rationnelle. Mais on le comprend néanmoins à la lecture du
livre : un phare a normalement pour fonction de sauver des vies, celles
des navigateurs pour qui il constitue un point de repère permettant d’éviter
les dangers ; celui-ci, en revanche, est assimilé à un des gardiens qui
ont longtemps sévi, avec une cruauté sans limites, au bagne de Nosy Lava.
Les scènes les plus fortes du récit sont d’ailleurs celles
de tortures poussées, s’il en plaît ainsi aux bourreaux, au-delà de la résistance
humaine. Bien des prisonniers subissent ainsi une exécution qui ne porte pas
son nom, mais au cours de laquelle le penchant de l’homme à la violence
s’exerce avec une impunité acceptée par les victimes – et ceux qui, à côté,
savent qu’il leur est interdit de voir ce qui se passe, même devant eux. Les
criminels sont des deux côtés, seul le pouvoir place une frontière entre eux. Encore
tous les prisonniers ne sont-ils pas des criminels endurcis et quelques
gardiens peuvent-ils faire preuve d’un minimum d’humanité.
Pages 62 à 67, des documents historiques surgissent de la
poussière où ils étaient oubliés de tous. Roland Vilella les a exhumés avec la
complicité d’Albert Abolaza, meurtrier qui purge une peine sans fin – les
travaux forcés à perpétuité – et qui, véritable mémoire du bagne, développe une
relation presque amicale avec l’auteur. Ces documents concernent des
prisonniers condamnés après l’insurrection de 1947, copies d’actes judiciaires
qui éclairent l’époque d’un jour inédit.
Albert Abolaza mérite la place particulière qu’il occupe
dans l’ouvrage. Il n’est pas exonéré de ses crimes, mais le moins qu’on puisse
dire, c’est qu’il a largement payés. Non seulement par sa longue détention,
mais aussi par des séances de torture auxquelles seule sa volonté lui a permis
de survivre. Par ailleurs, il lit – et a demandé au navigateur qu’est Roland
Vilella s’il n’avait pas un exemplaire, même ancien, du quotidien Le Monde à lui donner. Il a aussi été le
complice d’une évasion en pirogue, quand il a accompagné un autre prisonnier
jusqu’à la Grande Terre… avant de se rendre, car sa mère, confirmant à sa
manière le verdict du tribunal, lui avait demandé de ne pas s’enfuir.
Tout cela et bien d’autres choses encore fourniraient la
matière d’un livre remarquable si certaines pages ne péchaient par leur
imprécision, sinon par les erreurs qu’elles contiennent. Passons, en la
rangeant dans la catégorie des fautes d’inattention, sur la coquille, non
répétée, qui transforme le nom du premier président malgache en Antsiranana. Il
est plus difficile de digérer l’information historique selon laquelle l’armée
de conquête française aurait débarqué à Tamatave avant de se diriger vers le
Palais de la reine Ranavalona III… puisque le débarquement s’était fait à
Mahajanga ! Des événements plus récents sont aussi résumés de manière
confuse et quelques rumeurs, certes persistantes, sont prises pour des faits.
Péchés véniels, certes, mais qui empêchent d’accorder à La sentinelle de fer tout le crédit qu’on aurait voulu lui donner.
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