Après Le murmure des
îles indociles, Jean-Louis Cornille donne, aux mêmes Éditions Passage(s),
un nouvel ouvrage dont le sujet nous touche de près : Lémures, sous-titré Hantologie
de la littérature malgache en français. Hantologie, une coquille ? Que
nenni ! Pour l’auteur, les écrivains étudiés dans son essai sont
littéralement hantés par la littérature française – ou traduite en français. Qu’ils
s’en imprègnent comme Rabemananjara ou Rabearivelo, qu’ils la bousculent comme
Raharimanana, qu’ils la tiennent à distance comme Ravaloson, elle est le point
de repère constant.
Le livre s’ouvre sur la Lucarne
de Raharimanana, son premier recueil de nouvelles (mot que Cornille place, à
juste titre, entre guillemets, tant l’imprégnation poétique est forte), on
reviendra au même écrivain avec, précisément, Revenir (comme Ulysse), avant la « So(r)tie » et après
avoir traversé les vers de Rabemanjara, les romans de Rabearivelo, les nuits de
Ravaloson.
Le choix est (volontairement) restreint, l’essayiste a
malgré tout fait du chemin depuis son livre précédent, il y a deux ans – il reconnaît
volontiers ici qu’il lui restait, à l’époque, beaucoup de lectures à découvrir
et il s’est bien rattrapé. Mais les cinq chapitres sont fouillés, bourrés de
références extérieures (l’inflation de celles-ci est un passage obligé,
probablement, pour un universitaire) parfois tordues avec enthousiasme pour
coller au propos. C’est très conscient : « Nous sommes tantôt le
chien qui ne lâche pas son os, tantôt le pou qui s’incruste sous le poil de la
bête. » Pareille justification fait pardonner ce qui semble quand même, de
temps à autre, une entreprise de brouillage plutôt que d’élucidation.
Superposer une nouvelle de Le Clézio à une autre de
Raveloson, est-ce encore lire celle de l’écrivain malgache ? Poser la
question n’est pas y répondre, d’autant moins que les liens créés avec d’autres
œuvres révèlent un goût très sûr dans les choix littéraires. Cette nouvelle de
Le Clézio, par exemple, « Villa Aurore », tirée de La ronde et autres faits divers est
lumineuse et puissante. La fréquentation des chiens « féraux » par
Jean Rolin a donné le splendide Un chien
mort après lui. Du coup, voici de belles pistes ouvertes pour les lecteurs
et lectrices désireux d’élargir leurs horizons.
Et puis, ce que l’essai
pourrait avoir de lourdeur universitaire est compensé par de belles éclaircies
dont Jean-Louis Cornille pourrait prendre conscience afin de donner, un jour
peut-être, une étude plus dégagée des contraintes, dans le genre de ces lignes
(on aurait pu en citer d’autres) : « Les livres, qui ne s’écrivent
jamais seul, se parlent par-dessus nos têtes, conversent à notre insu, tels des
fantômes : nul n’est à l’abri de leurs visitations. Un texte s’avère
toujours plus intelligent que celui qui s’en proclame l’auteur et qui ne fait
en réalité souvent qu’en accompagner le dire secret. »
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