La peste de Tamatave jugée par le bon sens des
indigènes
Le public de Tamatave est
en émoi. Il y a de quoi, et en voici les raisons : le 23 octobre
dernier, une femme indigène venant de Tananarive, logée dans une boulangerie
européenne de Tamatave, avec son mari et d’autres employés indigènes, fut
déclarée suspecte de peste, et dirigée aussitôt sur l’hôpital de la
Pointe-Tanio. À la date du 24, elle y décéda.
La boulangerie fut
immédiatement fermée, le mari de la femme décédée ainsi que toute la famille et
les autres employés indigènes furent
consignés dans la boulangerie, transformée ainsi en lazaret improvisé… Mais la
vente du pain continuait tous les jours devant la porte sous la vérandah.
Le public fit
naturellement des réflexions peu indulgentes pour l’administration de Tamatave
et chercha vainement à éclaircir cette affaire.
« Comment, se
demanda-t-il, à juste titre ! On fait livrer à la consommation le pain
fabriqué dans une boulangerie contaminée par la peste ! N’est-ce pas le
meilleur moyen de propager les germes de la peste à travers la ville ?
Faut-il croire, comme il s’agit d’une boulangerie européenne, que cette
boulangerie, comme tout ce qui est européen, se trouve réfractaire à la peste,
administrativement parlant ? Seuls, les indigènes qui manipulaient le pain
pouvaient avoir le microbe de la peste. Mais quant au pain lui-même, comme
c’est la propriété d’un Européen, les microbes ne se permettent pas de passer
sur le pain… ce en quoi, ils ont évidemment raison. De cette façon, grâce à
l’intelligence du bacille de la peste, toute production européenne se trouve
immunisée de plein droit. Quelle brave peste… ou quelle vaste plaisanterie.
D’autre part, dans les
environs de la rue de Tananarive, le 26 octobre dernier, la peste a été
déclarée dans une maison indigène, tous les occupants de cette maison ainsi que
ceux d’une autre maison se trouvant à plusieurs mètres de distance ont été
jetés au Lazaret ; boutiques et maisons d’habitation furent hermétiquement
fermées, tout fut arrêté. Il n’en fut pas de même à la boulangerie, car il y a
toujours à Madagascar deux poids et deux mesures, les uns pour les Européens,
les autres pour les indigènes.
L’Aurore malgache
Vendredi 7 novembre 1930.
Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).
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