J’allais tout le long, le
long du rivage, d’Hastie à Tanio – pour fuir un peu mes semblables, pour
causer, ou plutôt écouter causer les bêtes, en l’espèce les poissons.
Ils approchaient tous du
bord de l’eau, contemplant le spectacle qui pourrait être féerique des lumières
de la ville, projetant leurs éclats comme des tessons brillants sur la mer pour
l’instant pousseuse.
Il y en avait de toutes
les tailles, de toutes couleurs et de toutes espèces.
— Que faites-vous là
et que dites-vous, ô poissons ?
Une forte et belle
carangue, large et grasse et ondulante comme une belle personne de trente ans,
eut un rire perlé :
— Nous jouissons de
la soirée qui est belle, et nous rions de l’imbécillité des hommes qui est sans
mesure !
— Comment
cela ?
— Mais oui !
Vous vous plaignez de pâtir sur votre languette de sable rouge, alors que nous
croissons et multiplions dans l’eau qui nous entoure ! Vos pêcheurs
d’Hastie en sont encore à leurs antiques pirogues qu’une lame sournoise
chavire, tandis qu’un bateau breton nous apporterait en masses sur votre
marché. Il n’y a pas de meilleur vivier pour nous que Tamatave, parce qu’il n’y
a guère que vos puissants du moment qui envoient de temps en temps leurs
Betsimisaraka nous harponner ou nous amorcer. Vous êtes pour nous les meilleurs
propriétaires : vous passez devant notre abondance rêvant à votre pays
lointain et vous serrant la ceinture ; d’autres que vous auraient depuis
longtemps organisé un système d’engins qui racleraient nos récifs dans les
moindres recoins, et nous serions obligés de nous précipiter au fond des abîmes
océaniques… Vivez longtemps, ô Tamataviens !
Le jour viendra où
Tananarive vous enverra jusqu’aux minces goujons de l’Ikopa ; alors nous
jouirons de la liberté complète, sous l’égide de votre indifférence, et nous
irons déposer nos laitances au bord du quai, sous les yeux de vos
douaniers !
Ainsi causa la belle
carangue, applaudie par un parti de mulets gras qui firent des cabrioles dans
l’eau en son honneur.
Flanoche.
Le Tamatave
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