9 juin 2018

Il y a 100 ans : Sur la plage


J’allais tout le long, le long du rivage, d’Hastie à Tanio – pour fuir un peu mes semblables, pour causer, ou plutôt écouter causer les bêtes, en l’espèce les poissons.
Ils approchaient tous du bord de l’eau, contemplant le spectacle qui pourrait être féerique des lumières de la ville, projetant leurs éclats comme des tessons brillants sur la mer pour l’instant pousseuse.
Il y en avait de toutes les tailles, de toutes couleurs et de toutes espèces.
— Que faites-vous là et que dites-vous, ô poissons ?
Une forte et belle carangue, large et grasse et ondulante comme une belle personne de trente ans, eut un rire perlé :
— Nous jouissons de la soirée qui est belle, et nous rions de l’imbécillité des hommes qui est sans mesure !
— Comment cela ?
— Mais oui ! Vous vous plaignez de pâtir sur votre languette de sable rouge, alors que nous croissons et multiplions dans l’eau qui nous entoure ! Vos pêcheurs d’Hastie en sont encore à leurs antiques pirogues qu’une lame sournoise chavire, tandis qu’un bateau breton nous apporterait en masses sur votre marché. Il n’y a pas de meilleur vivier pour nous que Tamatave, parce qu’il n’y a guère que vos puissants du moment qui envoient de temps en temps leurs Betsimisaraka nous harponner ou nous amorcer. Vous êtes pour nous les meilleurs propriétaires : vous passez devant notre abondance rêvant à votre pays lointain et vous serrant la ceinture ; d’autres que vous auraient depuis longtemps organisé un système d’engins qui racleraient nos récifs dans les moindres recoins, et nous serions obligés de nous précipiter au fond des abîmes océaniques… Vivez longtemps, ô Tamataviens !
Le jour viendra où Tananarive vous enverra jusqu’aux minces goujons de l’Ikopa ; alors nous jouirons de la liberté complète, sous l’égide de votre indifférence, et nous irons déposer nos laitances au bord du quai, sous les yeux de vos douaniers !
Ainsi causa la belle carangue, applaudie par un parti de mulets gras qui firent des cabrioles dans l’eau en son honneur.
Flanoche.
Le Tamatave


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