8 octobre 2016

Il y a 100 ans : La question des sucres (1)

Sous ce titre et sous la signature d’« Un ancien », La Tribune du vendredi 14 juillet publie un article traitant cette question des sucres, de si haute importance pour notre colonie, et la présentant sous un jour tout nouveau. Nous ne saurions assez recommander à nos lecteurs d’en méditer les conclusions.
Nous avons lu un grand nombre de journaux, apportés par les derniers courriers, traitant de la question du sucre.
La guerre est la révélatrice par excellence ; grâce à elle, et au prix de quelques souffrances, hélas ! toutes les « combinaisons » s’écroulent, le factice fait place à la réalité, l’arbitraire s’efface devant la logique.
Nous donnerons à nos lecteurs le résumé, comme suit, des lectures que nous avons faites à leur intention.
Il appert que le marché des sucres avait été odieusement accaparé par les industriels allemands et leurs intermédiaires. Les fameuses « conventions sucrières » – celle de Bruxelles et les autres qui l’avaient précédée – ont été imposées au marché mondial par les associations teutoniques de producteurs, les fameux « Kartels ». Toute l’économie de ces associations quasi de malfaiteurs se résume en ces quelques mots : accaparer à bas prix le plus clair de la production d’outre-mer, marquer les stocks canalisés de cette façon, et vendre très cher au consommateur les produits des Kartels.
Ainsi, une fois de plus, apparaît la canaillerie de la méthode commerciale allemande en nos temps contemporains : par l’intimidation, forcer ou dénaturer tous les marchés à l’aide d’un crédit monstre, que l’on était bien résolu à régler à coups de canon !
On pourrait croire que la guerre a eu pour effet de restreindre la production globale du sucre. Il n’en est rien. S’il est vrai que quelques bandes de territoires à betteraves, en France et en Pologne, n’ont pu être emblavées, par contre la production des betteraviers d’Allemagne et d’Autriche a été particulièrement soignée, à l’aide de mesures générales prises par les deux gouvernements respectifs au cours des hostilités ; d’autre part, la production exotique (sucre de canne) a été singulièrement augmentée.
(À suivre.)
Un ancien.
Le Tamatave

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 52 titres parus à ce jour.

7 octobre 2016

Il y a 100 ans à Madagascar : La houille blanche à Madagascar (2)

(Suite et fin.)
À Madagascar, il n’existe rien de tel : tout le système fluvial est du domaine public, navigable ou non. Les chutes d’eau ou rapides susceptibles de production de force motrice et les rives de tous les cours d’eau appartiennent donc à l’État qui, pour permettre leur utilisation, n’aura pas besoin de procéder à des expropriations.
Sans nuire à personne, sans léser des droits acquis, le gouvernement de Madagascar peut donc établir le statut juridique des eaux ; il ne suffit pas, en effet, qu’elles fassent partie du domaine public, il faut tout un système de dispositions légales aussi bien pour l’industrie que pour l’hydraulique agricole.
Ne laissons pas l’utilisation des eaux passer dans la pratique courant : on se heurterait alors à des difficultés analogues à celles qui existent en France. Au lieu d’attendre que des droits sur l’eau aient pris naissance en la personne de prospecteurs ou spéculateurs, il faut faire au préalable des lois sur ces droits. À cette condition seulement la législation des eaux sera simple et logique.
Le Courrier colonial

En souvenir du Général Galliéni

Le 1er juin, jour fixé pour les obsèques nationales du Général Galliéni, le Gouverneur général, dans le but d’associer Madagascar au deuil de la France, a reçu à la Résidence, à 10 h. ½, les membres du Conseil d’administration, les corps constitués, les chefs de service, les délégations des fonctionnaires européens ainsi que les membres de la Colonie française et de la Colonie étrangère, et une importante délégation de notables et de fonctionnaires indigènes.
Devant une affluence considérable, plusieurs discours furent prononcés ; notamment par le Gouverneur général, par M. Bourdariat, membre du Conseil d’administration, par M. Smith, consul général de la Grande-Bretagne, M. Gros, consul du Portugal et vice-consul d’Italie, par le prince Ramahatra.
Ce fut véritablement le souvenir ému de la Colonie entière à celui qui lui consacra 9 années de sa vie, à celui auquel, lorsque sa santé l’obligea à quitter le Ministère de la Guerre, les colons envoyèrent d’enthousiasme un câblogramme de regret, et qui, malgré ses fatigues et ses souffrances, répondit par une lettre entièrement écrite de sa main.

Les Annales coloniales

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 52 titres parus à ce jour.

6 octobre 2016

Il y a 100 ans : La houille blanche à Madagascar (1)

À mainte reprise, nous avons attiré l’attention de nos lecteurs sur la question de la houille blanche dans la Grande Île.
Depuis que de nouvelles inventions ont permis d’utiliser les chutes d’eau pour faire de l’électricité, et que le transport de cette force motrice à distance est chose aisée, l’attention publique s’est de plus en plus passionnée pour la houille blanche. Cette dernière est presque la seule force pratiquement utilisable dans un pays comme Madagascar, où il est impossible d’amener le charbon loin des ports.
Tout le développement industriel de Madagascar est lié à l’utilisation des chutes d’eau et les questions si essentielles, pour un pays neuf, d’éclairage et de transport ne seront résolues de la meilleure façon que par leur emploi.
Mais il ne faudrait pas croire que l’industrie fût seule appelée à profiter de la houille blanche.
En matière économique tout s’enchaîne : l’agriculture en bénéficiera à son tour dans une large mesure, principalement grâce aux chemins de fer qui lui permettront d’augmenter sa production et écoulant ses produits soit bruts, soit déjà transformés.
Un exemple montrera mieux le caractère d’intérêt général de l’utilisation des chutes d’eau.
Mais l’exportation par chemin de fer est beaucoup plus profitable lorsque les produits bruts ont subi une simple transformation : par exemple, le blé transformé en farine ; les cocons, en soie grège ; les viandes, en conserves frigorifiées.
Les industries qui produisent ces transformations sont fort simples, mais nécessitent une force motrice fournie par la houille blanche.
Il faut pour cela une réglementation des eaux.
On sait qu’en France, la législation est si imparfaite sur ce point qu’elle entrave l’essor de certaines régions. Le gouvernement de Madagascar doit donc bien se garder de suivre la métropole dans cette voie, ce qui lui est relativement facile.
Les rivières françaises ne font partie du domaine public qu’à partir du point où elles sont navigables. En dehors de cette partie, comme pour tous les ruisseaux non flottables, les rives appartiennent aux particuliers, dont les prétentions exorbitantes, jointes au manque constant d’entente entre riverains voisins, empêchent toute industrie de s’établir sur les rives, ou bien de transmettre la force motrice au loin.
(À suivre.)

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 52 titres parus à ce jour.

5 octobre 2016

Henry Douliot, "Journal du voyage fait sur la côte ouest de Madagascar"

Une nouveauté de la Bibliothèque malgache

Un voyage interrompu, malheureusement, car il est de très grande qualité. De juin 1891 à mai 1892, Henry Douliot (1859-1892) herborise dans la région de Morondava puis de Maintirano. Il fait beaucoup plus que cela, en réalité : il vit avec la population et il maîtrise suffisamment le sakalava pour tenir des conversations pleines d’informations. On peut rêver à ce qu’aurait été ce récit si son auteur n’avait pas été frappé par la fièvre qui allait avoir raison de lui à Nosy Be où il avait été transporté pour y être hospitalisé. Moins connu que le voyage de Louis Catat, celui-ci est du même niveau d’intérêt.
Quelques articles sont parus en France à propos de Henry Douliot. En voici trois, contemporains du décès de l’explorateur ou de la parution de son livre.
Le premier, signé M. D., probablement Marcel Dubois, paraît dans les Annales de géographie, que celui-ci dirige avec Paul Vidal de La Blache. On lit, dans le numéro du 15 octobre 1892 :
Le 2 juillet de cette année, une dépêche nous apprenait la mort à Nossi-bé de l’explorateur Henry-Louis Douliot, emporté par un accès de fièvre. Les lettres de son courageux successeur, M. Émile Gautier, ajoutèrent, un mois après, quelques détails à cette foudroyante nouvelle. Après une difficile et fructueuse exploration du Mailaké, Douliot était rentré fatigué à Mainty-Rano. C’est là qu’il ressentit les premières atteintes du mal, les premières du moins que la douleur le força d’avouer à ses compagnons de voyage et à ses hôtes. Comme tant de nos compatriotes chargés de missions scientifiques à l’étranger ou aux colonies, Douliot reçut de nos marins les meilleurs et les plus prompts secours ; le commandant de la canonnière Le Sagittaire prit à bord notre malheureux ami, le combla de soins, de prévenances, et le transporta à Nossi-bé. Tous les efforts de la science et de l’amitié restèrent inutiles. Douliot mourut le 2 juillet, à trente-trois ans, après quinze mois d’un labeur auquel il s’était attaché avec passion, s’imposant les plus rudes fatigues pour mener à bien l’œuvre qui lui était confiée. Il repose en terre française, dans le petit cimetière de Nossi-bé, mais bien loin des siens, bien loin des honneurs que nous aurions voulu pouvoir rendre à ce zélé serviteur de la science et de l’intérêt français. Il faut souhaiter que l’on mette bientôt en pleine lumière la valeur scientifique de son trop court voyage ; ses confrères en géographie et ses amis auront soin de sa mémoire. Dès que les dernières notes de Henry Douliot auront été retrouvées et mises en ordre, les Annales de géographie offriront à leurs lecteurs une étude complète de cette remarquable exploration. Mais les directeurs et les éditeurs ont voulu s’associer sans retard aux regrets unanimes des maîtres de Henry Douliot et à la cruelle douleur de sa famille.
Le 29 avril 1895, après la publication de ces notes, le Journal des débats politiques et littéraires leur consacre une partie de la rubrique « Au jour le jour », en première page :
Dans le journal du voyage que fit M. Henry Douliot en 1891 et en 1892 sur la Côte Ouest de Madagascar, nous relevons un certain nombre de traits de mœurs dont plusieurs sont intéressants. Au moment où l’on signe un traité d’amitié et d’alliance, l’usage, pour les deux parties contractantes, de boire réciproquement quelques gouttes de leur sang existe chez les races malgaches, comme dans presque tous les pays du monde où la civilisation est encore rudimentaire. À Madagascar, cette cérémonie s’appelle le fatidra ; elle s’accompagne d’une série de cérémonies connexes assez compliquées, et dont le sens nous échappe, mais qui toutes naturellement doivent avoir, ou devaient avoir jadis une signification mystique très précise. Il est à remarquer également que là-bas, comme d’ailleurs chez beaucoup d’autres peuples asiatiques ou africains, le serment parlé a une valeur morale infiniment supérieure au serment écrit ; pour des intelligences à moitié sauvages et très simplistes, l’écriture ne représente rien. C’est un trait de caractère que pourront à l’avenir méditer avec profit les signataires de traités diplomatiques.
Enfin, également en première page et dans la rubrique « La foire aux livres », Le Journal écrit, le 6 juin 1895, quelques lignes sur une publication que l’on doit « aux soins pieux d’un père inconsolé ».
C’est le Journal du voyage fait sur la côte Ouest de Madagascar, par Henry Douliot, trois ans avant l’expédition, la promenade pacifique d’un jeune naturaliste qui abandonna son laboratoire du Muséum où il était préparateur, pour aller là-bas, du côté des rivières mal connues, sous les forêts sans chemins du Ménabé, chercher quelques fleurs nouvelles, quelques échantillons de pierres manquant à la géologie ; promenade d’un an autour de Nosy Miandroka et de Morondava, à travers les tribus sakalaves, de l’enclos où trône un vieux chef aveugle, collectionneur d’amulettes, à la hutte où une vieille buveuse de rhum, demi-reine et demi-fermière, prépare elle-même, le soir, le lit du voyageur. Il y a dans ces notes autre chose que les sèches observations d’un savant : des détails de mœurs amusants, des descriptions de cérémonies étranges, surtout beaucoup de bonne humeur naïve et de franchise aventureuse.

4 octobre 2016

Il y a 100 ans : Des bateaux, des capitaux, des colons (4)

(Suite et fin.)
Certes, le temps est passé où le colon était reçu dans la Grande Île avec l’effusion réservée aux chiens dans un jeu de quilles. M. Picquié et son successeur, M. Garbit, ont mis un terme à ces fâcheux errements. Malheureusement, il faut beaucoup plus de temps pour réparer les conséquences du mal que pour le faire et, après la guerre, il sera beaucoup plus malaisé qu’avant d’attirer des colons dans un pays où il en serait venu un bien plus grand nombre si le proconsul n’y avait jamais sévi !
Nous avons demandé un jour qu’on ouvrît toutes larges les portes de nos colonies à nos compatriotes des régions envahies, dont les terres ne pourront, de longtemps, être remises en culture. Cette idée n’a pas reçu un accueil favorable chez les intéressés. Nous n’insisterons pas, ne voulant pas faire leur fortune malgré eux. Nous n’en conservons pas moins le ferme espoir que l’aisance acquise par maints de nos compatriotes dans la Grande Île y attirera peu à peu de nouveaux colons que les capitaux français se décideront, après la leçon de cette guerre, à prendre le chemin de colonies comme Madagascar, où ils sont certains de fructifier, qu’enfin l’administration saura faire comprendre à nos sujets la nécessité de collaborer, par un travail régulier, au développement du pays.
F. Mury
Le Courrier colonial

Nouvelles de Sainte-Marie de Madagascar

Farine. – Le vapeur Ispahan a débarqué, pour un commerçant de notre place, sept balles de farine soit sept cents kilos, ce qui nous permet d’avoir du pain journellement. Par vapeur Caucase attendu ce jour, le même réceptionnaire doit recevoir la même quantité de farine.
Heureux habitants de Sainte-Marie qui peuvent manger du pain à leur faim !…
Lait condensé. – Par contre, cet aliment indispensable pour les enfants nous fait complètement défaut. Et dire que, malgré les exemples de Tananarive et de Tamatave, personne ici n’a encore pris l’initiative de l’élevage des vaches laitières pour les besoins journaliers des habitants.
Pourtant, ce n’est pas le moyen financier qui manque aux thésaurisateurs du pays. Avis à qui de droit.

Le Tamatave

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

3 octobre 2016

Il y a 100 ans : Des bateaux, des capitaux, des colons (3)

(Suite.)
Eux aussi, les Anglais nous donnent une leçon à cet égard. Que font, en effet, nos alliés pour mener à bien l’organisation d’une colonie ? Ils y posent le rail, y édifient un temple et y créent une banque.
Mais entendons-nous : pour qu’une banque ait toute son utilité et puisse favoriser l’expansion économique d’un pays, il faut que le pays puisse à son tour l’alimenter largement. Or, Madagascar n’est pas encore suffisamment riche en colons. Une des provinces les plus favorisées sous ce rapport, celle de Vatomandry, ne compte pas plus de deux colons pour mille indigènes. La proportion est tout à fait insuffisante. Malgré cela, Vatomandry est la plus belle « colonie » de la Grande Île : on y trouve de vastes concessions, riches, bien plantées ; quelques-unes sont en plein rapport. Que serait-ce si le colon y était moins rare !
Vous allez dire : « Et les indigènes ? » Mais les coloniaux avertis savent bien que, quelles que soient les qualités de l’indigène, celui-ci ne saurait être qu’un collaborateur qui a besoin d’un initiateur, lequel ne peut être que le colon, et non le fonctionnaire, quoi qu’en pense ce dernier.
Jamais l’administration n’a pu assurer avec le seul concours de nos sujets la mise en valeur d’une colonie ; seul le colon peut remplir ce rôle, en dirigeant le travail indigène, en éduquant nos sujets parmi lesquels il a décidé de vivre.
Et en même temps qu’il leur inculque le goût du travail, si toutefois l’administration le lui permet, il les guide fatalement sur la route de la civilisation.
Et si Madagascar avait assez de colons, la civilisation aurait fait des progrès beaucoup plus sensibles et l’on n’aurait pas vu les illuminés de la V. V. S., par exemple, prendre tant d’importance et organiser des complots.
Malheureusement, notre humanitarisme mal compris a laissé l’indigène malgache évoluer tout seul, confondre liberté avec licence, méconnaître la supériorité morale du blanc et refuser peu à peu tout effort.
D’ailleurs, si les colons français avaient été plus nombreux à Madagascar, les Allemands n’auraient pu prendre une place aussi importante dans une colonie qui était nôtre.
(À suivre.)
F. Mury

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

2 octobre 2016

Il y a 100 ans : Des bateaux, des capitaux, des colons (2)

(Suite.)
Voyez ce que les Allemands ont su faire non seulement dans leurs colonies, mais aussi dans celles d’autrui. Certes, ils possèdent un esprit de suite, une ténacité qui leur permettent d’ouvrir les portes les mieux fermées, mais tout leur esprit de suite, toute leur ténacité n’eussent pas suffi pour instaurer l’emprise mondiale qu’ils rêvaient, si les efforts de leurs émigrants n’avaient été soutenus, notamment, par un système bancaire merveilleusement organisé, comme nous n’en avons jamais eu de pareil pour venir en aide à nos colons.
Notre excellent confrère de Tananarive, la Tribune de Madagascar, dit fort judicieusement : « Nous autres, Français, nous sommes le peuple le plus enclin à l’étatisme. Mais il y a aussi cela de curieux, c’est que nous sommes aussi celui qui sait le moins tirer parti des ressources de l’État. »
Nous ajouterons, parodiant Bossuet : « C’est là le secret de la force des Allemands et celui de notre faiblesse. »
Il est un fait avéré que partout où les Boches ont voulu ouvrir un commerce ou évincer un négociant rival, ils n’ont jamais eu à redouter le manque de ressources. Des banques ont toujours secondé leurs efforts, quand ce n’était pas l’État lui-même. Il ne faut pas chercher ailleurs l’explication de leur succès persistant. Aussi, quelle réussite n’auraient-ils pas obtenue si leur camelote avait eu les qualités de nos produits ? Il nous aurait fallu leur abandonner complètement la place.
À notre différence, nos adversaires sont doués d’une persévérance à toute épreuve qui les empêche d’abandonner la partie tant qu’ils ne la considèrent pas comme irrémédiablement compromise.
Que d’entreprises coloniales françaises ont passé entre des mains allemandes au moment où elles allaient devenir fructueuses ! Certes, nos colons s’entendent merveilleusement à mettre une affaire debout, mais ils manquent trop souvent d’esprit de suite : ils se découragent trop vite. Disons toutefois à leur décharge qu’ils appréhendent à juste titre de ne pas trouver l’appui nécessaire dans les moments critiques, alors que cette crainte n’existe pas pour les Allemands. Maintes fois, le Courrier colonial a signalé la grave lacune que constitue, dans nos méthodes de colonisation, l’absence de toute aide financière pour les colons un peu hardis.
(À suivre.)
F. Mury

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

1 octobre 2016

Il y a 100 ans : Des bateaux, des capitaux, des colons (1)

Ce ne sera pas un des moindres services rendus par la presse au cours de cette guerre que d’avoir inlassablement lancé, sous des formes variées, d’heureux cris d’appel qui auront probablement ému l’opinion et obtenu, grâce à la pression de celle-ci sur les pouvoirs publics, un effort de plus en plus puissant, sans lequel la victoire nous aurait échappé.
« Des canons ! Des munitions ! » s’écrie tous les jours Charles Humbert dans le Journal.
« Des carottes ! Des épinards ! » supplie Laforest dans le Matin.
« Des aéros ! Des avions ! » conjure un troisième confrère.
Et canons et munitions, carottes et épinards, aéros et avions, sortent de terre à ce pressant appel que toute la presse reprend quotidiennement, si bien que les esprits les plus imbus des vieilles routines doivent, bon gré mal gré, emboîter le pas.
La presse coloniale n’a malheureusement pas pareille influence sur les hommes dont dépend la reprise de notre activité coloniale. Tous les jours, elle réclame : « Des bateaux ! Des bateaux ! » sans pouvoir faire appareiller ces bateaux aussi vite qu’entrent en ligne les nouveaux canons, que poussent les carottes et les épinards, que s’élancent dans les airs les nouveaux aéros et avions.
C’est une besogne bien ingrate que celle qui incombera au journaliste colonial jusqu’au jour où il sera parvenu, comme son confrère métropolitain, à imposer ses desiderata à l’attention de ceux qui président aux destinées de nos territoires d’outre-mer. Espérons qu’il ne prêchera pas toujours dans le désert et qu’à force de crier : « Des capitaux !… Des colons !… De la main-d’œuvre !… » il verra enfin l’argent affluer dans nos possessions, les colons venir en grand nombre les mettre en valeur, les indigènes se décider à travailler raisonnablement. Car c’est bien de l’insuffisance de ces trois éléments de prospérité que souffrent la plupart de nos colonies.
Prenons Madagascar, par exemple : voilà une île qui a atteint un certain degré de prospérité et qui voit d’autant mieux ce qui lui manque pour poursuivre son ascension, c’est-à-dire des capitaux, des colons, de la main-d’œuvre, enfin des bateaux pour enlever ses produits.
(À suivre.)
F. Mury

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

29 septembre 2016

100 mètres à Mexico avec Jean-Louis Ravelomanantsoa

Dur réveil ce matin, quand j'apprends la mort de Jean-Louis Ravelomanantsoa, 73 ans et athlète hors pair, le plus grand probablement que Madagascar a connu dans un sport planétaire, l'athlétisme - et sur une des distances reines, le cent mètres.Pendant un an, en 2007 et 2008, nous avons caressé ensemble l'idée de publier un livre qui relaterait sa fabuleuse carrière. Nos séances hebdomadaires ont été exaltantes. Jean-Louis savait raconter, et ses souvenirs nourrissaient un texte que nous voulions écrit à la première personne, avec ma collaboration - sous ma peau blanche, j'étais son nègre, pour reprendre le mot consacré dans l'édition. Finalement, pour diverses raisons, le projet n'a pas abouti. Mais il a donné de beaux restes. Je viens de relire le chapitre consacré à son aventure mexicaine, un des grands moments de sa vie d'athlète puisqu'il est entré en finale du cent mètres. En souvenir des nombreuses heures passées ensemble, lui et moi, et en hommage à ce grand homme, je vous l'offre aujourd'hui.
Entre la chambre d’appel et le stade, il y a ce qu’on appelle « le couloir de la mort »… Psychologiquement, tout se joue là. Et le mental est très important, surtout dans une course qui se joue au dixième de seconde. Avant même d’entrer sur la piste, on est dans sa bulle. Donc, je ne me suis pas occupé, au premier tour, de la série courue avant la mienne. C’est aussi un entraînement, d’arriver à se dire que personne ne me dérangera dans ma course, et certainement pas les autres concurrents.
Mexico a ceci de particulier que la ville se situe en altitude, à 2 200 mètres. Les réflexes ne sont pas les mêmes et il faut un temps d’adaptation, facilité bien entendu par le stage que j’avais effectué à Font-Romeu.
Nous y étions, à nouveau, une toute petite délégation malgache : Fernand Tovondray participait au 110 mètres haies et au saut en hauteur ; Dominique Rakotarahalahy était inscrit au saut à la perche et Solo Razafinarivo, en cyclisme.
J’avais Jacques Dudal comme entraîneur avec moi, ce qui est très important pour la préparation psychologique. Pendant l’échauffement, il surveille les gestes pour voir s’il n’y a pas un petit souci technique de dernière minute. Il a les mots nécessaires pour dire que ça va bien, que ça se passe bien et que ça se passera bien. Puisque, pendant la course, l’entraîneur ne peut plus rien dire. Mais il est là et il observe.
Il y a aussi, bien entendu, le côté physique, préparé avant la course par un échauffement sur la piste annexe. Cela prend une heure avant la compétition proprement dite. Mais la préparation commence bien plus tôt. Pour les séries du matin, il faut prendre le petit déjeuner trois heures avant. Et, trois heures avant le petit déjeuner, on effectue un réveil musculaire. Le corps doit retrouver ses habitudes. Certes, les Jeux olympiques, c’est spécial. Mais il faut se remettre dans ses repères, physiquement et mentalement. Il faut se sentir bien…
Idéalement, quand tout se passe normalement, la course est faite avant de la courir, si j’ose dire. Tous les détails sont importants. Je reviens à cette belle expression : « être dans sa bulle ». Elle correspond exactement à l’état d’esprit avant la course. On ne doit pas être perturbé, par quoi que ce soit. Ni par qui que ce soit. C’est souvent plus facile à dire qu’à faire. La perturbation peut survenir, alors qu’on est dans la chambre d’appel, dans le silence complet de sa bulle, au moment où on sort de cet isolement intérieur pour se retrouver sur le stade où il y a des dizaines de milliers de spectateurs… Mais il faut à tout prix rester concentré sur la course à faire.
Dès avant la première série, on connaît les performances des concurrents qui ont été placés dans la même course par tirage au sort. Le couloir a été déterminé de la même manière. Et la stratégie de course est toujours identique : partir de manière explosive, accélérer longtemps et finir vite.
Le premier tour avait lieu un dimanche, le 13 octobre. J’avais déjà un médaillé potentiel dans ma série, la deuxième de neuf courses, l’Américain James Hines, qui avait été le premier à franchir la barrière symbolique des 10” lors des championnats des États-Unis, lors des sélections pour Mexico. Et je termine immédiatement derrière lui, dans le même temps, en 10”2. Les autres concurrents étaient moins connus.
À ce niveau, déjà le meilleur niveau en principe, parce qu’on n’a pas le droit à l’erreur, surtout quand on a l’objectif d’aller jusqu’en finale, mon état d’esprit était surtout de me qualifier pour le tour suivant. Il fallait terminer dans les trois premiers pour aller en quarts de finale, et les cinq meilleurs quatrièmes étaient repêchés. Ma deuxième place était donc automatiquement qualificative.
En réalité, j’avais un statut d’outsider. Mais j’étais conscient d’avoir ma chance, d’avoir un coup à jouer, comme on dit. Ce que le premier tour me confirme, en réalité, puisque je suis très proche de Hines.
Le même jour, donc, je me présente au départ du deuxième tour, un quart de finale en réalité. C’est évidemment plus sérieux, puisqu’un écrémage a eu lieu. Il ne reste, il faut bien s’en rendre compte, que les trente-deux meilleurs, qui sont à peu près les meilleurs du monde. Mais j’avais confiance, et je croyais avoir de bonnes chances de franchir ce deuxième tour.
Entre les deux courses, celle du matin et celle de l’après-midi, le temps est court. Dès ma série terminée, je rentre pour préparer le quart de finale. Il faut faire une séance de massage, récupérer, se restaurer, recommencer l’échauffement. Tout cela constitue un enchaînement assez contraignant. Il est indispensable d’être très organisé, de penser à la circulation en ville, de tenir compte de tous les éléments, en réalité. On n’est pas à la merci d’une petite erreur : un embouteillage imprévu, un oubli d’équipement…
L’objectif, après avoir passé l’obstacle des séries, est de refaire la même course à l’étape suivante, et en mieux si possible. Retrouver sa bulle, à l’intérieur de laquelle rien ne peut m’arriver. Il n’était pas question pour moi, en tout cas, de revivre sans cesse la course précédente, de la ressasser si l’on peut dire, sinon pour comprendre les éventuelles erreurs que j’ai pu commettre et qui, corrigées, me permettent de regarder en face le prochain défi avec de meilleures chances de réussite. Le prochain défi, c’est donc le quart de finale.
Avec, puisque je parlais d’erreurs et des corrections à y apporter, la certitude que je pouvais mieux me relâcher. Il y a toujours un peu de crispation, parce que l’enjeu est important. Mais il faut lutter contre cette tentation naturelle. Lutter contre soi-même en se disant : ce n’est qu’une course, il faut la faire comme elle est déjà faite dans la tête, puisqu’il n’y a aucune raison de la faire autrement. Sinon que, peut-être, il est possible de gagner un peu de temps au départ ou sur le finish. En tout cas, les concurrents ne doivent pas impressionner, quand bien même on connaît leur niveau – un haut niveau, cela va de soi en quart de finale olympique, confirmé par leur propre qualification.
Je suis, à ce tour-là, dans la dernière course. Mais je ne m’intéresse pas aux trois premières, je me concentre sur la mienne. Toujours dans ma bulle. Je n’étais pas non plus très expansif, comme pouvaient l’être certains Américains. Et je m’installe dans les starting blocks avec la certitude que rien ne peut m’arriver. Avec, aussi, l’envie de gagner cette course pour montrer, aux autres autant qu’à moi-même, que j’ai franchi une étape. Parce que la journée se termine mais je sais qu’il y en aura une autre demain…
Je me souviens évidemment moins bien du quart de finale que des deux courses suivantes, parce que cette sorte d’entonnoir dans lequel on se trouve à force de sélections de plus en plus difficiles génère aussi une intensité qui va croissant.
En tout cas, je prends le départ pour gagner. Dans la même course, il y a un autre Américain, Charles Greene, autre candidat à un podium. Mais personne ne m’impressionnait vraiment. J’étais en train de me révéler comme un concurrent sérieux, comme un outsider. La confiance, toujours.
Je pense, et d’autres l’ont dit, que j’aurais pu gagner ce quart de finale. En fait, je termine deuxième, en 10”1, derrière précisément Charles Greene qui réalise 10”. Un Américain après un autre, mais j’avais quasiment fait jeu égal avec eux.
D’une certaine manière, après ces deux courses du dimanche 13 octobre 1968, j’étais devenu quelqu’un d’autre, en particulier aux yeux des spécialistes. J’avais confirmé mes performances antérieures, à propos desquelles quelques doutes avaient parfois été émis. Je devenais un concurrent sérieux puisque seuls deux athlètes, le Cubain Hermes Ramírez dans la deuxième série et l’Américain Charles Greene dans la mienne avaient réalisé un meilleur temps que moi en quart de finale. Potentiellement – en sachant que ce calcul est théorique et est très éloigné de la réalité de la compétition –, j’avais peut-être ma place sur le podium de la finale…
Mais, avant la finale, il y avait encore la demi-finale. Toujours est-il que, ce dimanche-là, je rentre au village olympique avec le désir d’être seul avec mon entraîneur, avec aussi le sentiment du devoir accompli, d’avoir fait ce qu’il fallait. J’éprouvais en même temps le besoin de m’éloigner pour quelques instants de la course, de la pression qui accompagne la compétition. Dans le Village olympique de Mexico, malgré la présence de 5 500 athlètes, l’art et la culture étaient vraiment mis en exergue, et il y avait de quoi se distraire. Je ne parle pas d’une distraction fatigante, bien sûr, puisqu’il y a avait la suite de la compétition le lendemain. Mais l’art aztèque m’intéressait. Je ne sais plus, honnêtement, si j’ai visité une exposition ce soir-là. Mais j’ai dû discuter avec Isabella, l’hôtesse qui s’occupait de la délégation malgache, une Mexicaine qui apprenait le français, et la conversation me décontractait psychologiquement.
J’en avais besoin : la tension était forte et j’avais du mal à me distraire. Je lisais, ça ne me plaisait pas. Je regardais la télévision, ça ne me plaisait pas. L’enjeu du lendemain me rendait nerveux.
Cet enjeu, c’est la demi-finale. Un niveau qui commence à faire peur… Avec, en outre, la perspective de la finale quelques heures seulement après, à condition de terminer dans les quatre premiers de la demie.
Dans cette course, il n’y a plus d’athlète inconnu. Dans la deuxième demi-finale, où je courais, le Français Gérard Fenouil était au premier couloir. Au deuxième, l’Allemand Hartmut Schelter, à côté de moi. Au couloir 4, à ma droite, l’Américain Charles Greene, puis le Chilien Ivan Moreno, le Jamaïcain Lennox Miller, le Cubain Pablo Montes et, au couloir 8, l’Ivoirien Gaoussou Koné, mon principal rival en Afrique puisqu’il était champion continental.
Avant le départ, j’ai l’impression que mon objectif est atteint. La demi-finale, c’est déjà très bien. Passer cette étape-là, ce serait vraiment énorme. Beaucoup de mes adversaires sont, sur papier, meilleurs que moi. Mais pourquoi pas ? J’avais battu Koné en série et en quart de finale, où j’avais terminé très près de Greene…
Bref, je sais que ça va être dur mais je garde confiance. Bref, un 100 mètres l’est. Et pourtant, il s’y passe tellement de choses, en 10 secondes et des poussières…
En tout cas, je connais mon point fort et mon point faible. Je sais donc que mon départ doit être parfait et que la fin doit être plutôt meilleure que d’habitude.
Après un faux départ, provoqué par je ne sais plus qui, la course démarre. Je sors très bien des starting blocks, je suis devant tout le monde, jusqu’aux soixante mètres environ. Mais la fin est pénible. Je me fais remonter par un, deux, trois autres coureurs. Greene, Miller et Montes, pour être précis. Sur la ligne, je ne sais même pas si un quatrième, Koné, n’est pas devant moi aussi. J’ignore si je suis qualifié pour la finale ou non. Il faut attendre la photo-finish…
La « glorieuse incertitude du sport », quand elle se situe après l’arrivée, est plutôt angoissante. Au lieu de quitter la piste tout de suite, comme je l’avais fait lors des deux premiers tours, j’attends le résultat définitif. Qui est enfin annoncé, après un temps qui semble interminable : je suis quatrième, en 10”2, dans le même chrono que Koné et à un dixième des trois premiers. Ouf !
Pendant cette attente, j’ai cru ne pas être qualifié. Mais je savais avoir fait de mon mieux. Et, quand mon nom s’affiche sur le tableau, à la quatrième ligne, il y a un mélange de soulagement et de bonheur. Qu’on ne peut pas vraiment goûter, puisqu’il y a la finale immédiatement après, ou presque, et qu’il faut s’y préparer.
L’inquiétude – le mot est faible – éprouvée avant de savoir que j’étais qualifié pour la finale n’est évidemment pas la meilleure préparation psychologique en vue de cette ultime course. Mais il y a aussi un sentiment de libération. Puisque le devoir a été accompli jusqu’au bout – cette qualification pour la finale –, il n’y a ensuite plus rien à perdre. Ce qui compense les moments difficiles.
J’espérais être finaliste olympique, mais je ne croyais pas que cela pouvait se réaliser, compte tenu du niveau très dense.
Je me retrouve donc dans ce que les journaux ont parfois appelé la finale des Noirs, puisque les huit coureurs l’étaient tous, même le Français Bambuck, qui était antillais. Nous étions trois Américains, un Jamaïcain, un Cubain, un Canadien, noir lui aussi, le Français et… un Malgache. Ma présence, il faut bien le dire, semblait un peu incongrue. Pour beaucoup, j’étais celui qui sortait de nulle part. Un outsider inattendu. Et peut-être, pour mes adversaires de la finale, celui qu’il fallait désormais battre.
À l’échauffement, je refais alors les gestes techniques qui sont la base du sprint. Le départ, le relâchement en course… Et cela revient très facilement, comme des automatismes déjà utilisés et qu’il suffit de répéter. Cela permet de n’avoir peur de personne. Chacun est dans sa bulle, qui peut prendre des formes différentes : l’exubérance des Américains, par exemple, une fausse désinvolture qui, bien entendu, n’en est pas du tout. Et chacun se dit qu’il peut être le meilleur.
Le moment de vérité ne correspond évidemment pas à ce qu’on pense mais au moment où on se retrouve sur la piste, au départ, au couloir 8 pour moi, avec tout le monde à ma gauche. Charles Greene, le recordman du monde, au premier couloir, puis Pablo Montes, James Hines, co-recordman du monde, Lennox Miller, Mel Pender, Roger Bambuck et, à côté de moi, Harry Jerome.
Peut-être ai-je voulu trop bien faire : je pars trop vite et je suis sanctionné par un faux départ. C’est la conséquence d’un mélange de nervosité et de relâchement. La conséquence, aussi, de ma volonté de jaillir avant les autres, de profiter de mon point fort, l’explosivité.
Je reçois donc un avertissement, après lequel je ne peux plus me permettre un deuxième faux départ, sous peine de disqualification. Du coup, ma mise en action, lors du deuxième départ, est plus prudente. Autant dire que mon meilleur atout a disparu. Et que je suis en état d’infériorité par rapport aux autres, qui pourraient encore se permettre un faux départ, ou tout au moins qui ont le droit de partir à l’extrême limite.
Donc, je n’exploite pas ma principale qualité et, au contraire de ce qui se passe habituellement, je ne pars pas devant. Aux soixante mètres, je suis avec tout le monde, au lieu d’être en tête. Dans cette situation, on sent les autres plutôt qu’on ne les voit vraiment. Ça m’a un peu crispé. Et j’ai mal fini la course, encore plus mal que les autres fois, si j’ose dire.
Objectivement, terminer trois dixièmes de seconde après le premier, ce n’est pas si mal, dans une finale olympique. Mais je n’avais pas fait la course telle que je l’avais rêvée avant. À cause du faux départ, bien sûr, à cause aussi de ce placement au huitième couloir.
À l’arrivée, je connais ma place. Tout le monde est devant moi. J’ai quand même le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait faire : atteindre la finale, être parmi les huit meilleurs coureurs de 100 mètres du monde. Il faut comprendre que les Jeux olympiques de Mexico ont été, sur ces distances, les plus relevés de l’histoire, même si on a amélioré les records depuis. Il y avait de quoi être fier d’avoir été parmi ceux-là, parmi les huit meilleurs des soixante-six engagés dans les séries du 100 mètres. À une époque où nous étions tous des amateurs et où la pratique du dopage n’était pas répandue comme elle l’est devenue ensuite.
Mes entraîneurs français, Jalabert et Dudal, étaient au même diapason que moi : la joie d’être en finale était plus forte qu’une éventuelle déception.
Bien sûr, on se dit toujours qu’on aurait pu mieux faire. Mais j’avais réussi mes Jeux, et je savais que ce n’était pas fini. À vingt-cinq ans, beaucoup de choses restaient possibles. J’étais entré dans l’élite sans avoir, peut-être, atteint mes limites. Il restait une marge de progression. Et du travail, aussi bien physique que, surtout, mental. Parce que la progression est là.
On croit parfois que la réussite dans le sport est purement physique. Mais, à partir d’un certain niveau, elle est essentiellement mentale. Sur le plan physique, tout de monde fait la même chose. Tandis que la préparation psychologique est individuelle. Et débouche sur une finale olympique. On ne se rend pas bien compte, souvent, de l’importance de cette préparation psychologique. Elle est pourtant à la base de bien des performances. Elle fait la différence, dans n’importe quel sport.
Il me reste à dire un mot du 200 mètres de Mexico, dont les séries se couraient le lendemain de la finale du 100 mètres. Mais, comme je l’ai déjà dit, cette épreuve n’a jamais eu pour moi l’importance de la distance inférieure. Et je n’arrive même pas à regretter d’avoir été éliminé dès les séries, en terminant cinquième de la mienne, crédité d’un temps de 21”5, à huit dixièmes de l’Américain Larry Questad qui serait sixième en finale.

28 septembre 2016

Il y a 100 ans : Le carnet d’un boto de pousse-pousse

Avec un programme identique ou presque à celui des années précédentes, le 14 juillet 1916 s’est passé normalement ; j’ai cependant à signaler quelques innovations officielles ou privées qui ont remporté auprès du public un légitime succès.
Au premier plan, je citerai un cinéma nouveau qui fit courir après la retraite du 13 le tout Tamatave au Théâtre Municipal. Quelques centaines de personnes durent rester à la porte mais elles n’y perdront rien car l’impresario nous a promis une seconde prochainement en ayant soin, cette fois, d’éclairer sa lanterne.
Je préfère de beaucoup la soirée du lendemain au même théâtre coquettement décoré et au cours de laquelle nos meilleurs artistes recueillirent de chaleureux applaudissements. M. Prevel, toujours aimable et dévoué, fut l’âme de cette soirée dont un incident de coulisse, un simple malentendu sans doute, ne put ternir l’éclat.
Sarah B.
La Dépêche malgache

Çà et là

Ceux qui ont connu le général Gallieni savent qu’il méprisait l’élégance dans sa tenue civile. Il avait cependant un superbe parapluie dont le manche était un objet d’art et de luxe.
À Madagascar, le port du parapluie était réservé aux plus hauts dignitaires de la Cour de la Reine. Le général supprima cette règle absurde et permit à tous les Malgaches de se préserver de la pluie. D’où fortune des marchands de parapluies, qui envoyèrent de France tous les rossignols de leurs magasins.
L’un d’eux, sans doute, voulut témoigner sa reconnaissance au libéral gouverneur de notre colonie, mais il ne dit pas son nom, de crainte de froisser la susceptibilité d’un incorruptible.
Le Gaulois

Les lambamena

Un de nos lecteurs nous a demandé quelques détails complémentaires sur l’industrie des lambamena. Nous avons peu de chose à ajouter.
Cette industrie, après avoir traversé une crise aiguë en 1910, est à l’heure présente et malgré les circonstances actuelles en pleine prospérité, principalement dans le district d’Ambalavao.
Dans un hectare d’ambrevade, on récolte de 6 à 8 000 cocons qui, vendus deux par deux, valent de 5 francs à 5 fr. 60 le mille. La récolte du seul district d’Ambalavao donne, en moyenne, environ 3 millions de cocons, dont une bonne part a été exportée.
L’industrie du cocon et des lambamena porte sur un chiffre de près de 250 000 fr.

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

26 septembre 2016

Il y a 100 ans : À propos des graphites

On nous écrit :
La semaine dernière, à propos des graphites de Madagascar, je vous ai adressé une lettre que vous avez bien voulu publier, en tête de votre numéro 375 de mercredi dernier, et je vous en remercie. Mais, en même temps, permettez-moi de vous signaler une erreur qui s’y est glissée, qui dénature ma pensée et que je vous serais obligé de rectifier.
En effet, vous me faites dire : « … il y a des intérêts particuliers considérables qui peuvent échapper à la perspicacité de notre gouverneur général… »
Alors que j’avais dit : « … qui ne peuvent échapper à sa perspicacité… »
Cette rectification s’impose d’autant plus que je savais que cette question avait déjà été étudiée en haut lieu, et que, depuis, une solution satisfaisante avait dû intervenir puisque la baisse motivée par les causes que je vous ai dénoncées a été immédiatement arrêtée, et par suite n’a été que très passagère, ce qui fait qu’actuellement le graphite de Madagascar est de nouveau en hausse.
Malheureusement, la question du fret ne paraît pas encore avoir été solutionnée, pour notre plus grand préjudice.

M. le Gouverneur Général

M. Garbit qui, selon la tradition, doit venir passer quelques jours à Tamatave, sera dans nos murs probablement samedi matin.
Le Tamatave

Un monument à la mémoire de Galliéni

En apprenant la mort du général Galliéni, différentes personnalités de Madagascar ont pris l’initiative de faire revivre un projet dont il avait été déjà question il y a quelques années et dont la guerre avait empêché la réalisation.
Il s’agit d’élever à Tananarive un monument à la mémoire du chef éminent qui, avant de rendre à la France les derniers services que l’on sait, fut le véritable créateur de notre grande possession de l’océan Indien.
Un Comité, qui sera présidé par M. Alfred Grandidier, membre de l’Institut, est en voie de formation à Paris pour réaliser ce projet auquel le rôle joué en 1914-1915 par le général Galliéni donnera le caractère d’une manifestation nationale.
Nous ne saurions trop applaudir à cette touchante initiative.

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

24 septembre 2016

Il y a 100 ans : Les chevaux de Madagascar

Un de nos correspondants nous envoie quelques détails complémentaires au sujet de notre article sur l’exposition chevaline de Tananarive.
Au point de vue production générale, on peut être assuré que l’élevage du cheval a pris, en Imerina, une place vraiment importante dans l’activité économique de l’île.
Je puis vous dire que 1 850 chevaux ont été visités par la commission de recensement au cours de sa tournée et qu’il y a eu malgré cela de nombreuses abstentions, si bien que le Service vétérinaire estime à 2 200 au moins le nombre total des chevaux existant entre Tananarive et Antsirabe ou dans les environs.
Comme vous le voyez, nous sommes loin des premiers temps de l’occupation, où l’habitant sortait curieusement sur sa vérandah, en entendant le pas d’un cheval dans sa rue.
D’ailleurs, il paraît que, depuis un an ou deux, la production s’étend à des régions jusqu’ici négligées telles que l’ouest de l’Ankaratra, dans les districts de Faratsiho et Mandrarivo ; en un mot, l’élevage ne se cantonne plus en Imerina.
L’indigène commence, d’autre part, à se rendre compte de l’importance des bons soins donnés à ses chevaux et il faut bien qu’il en soit ainsi pour que 250 animaux aient pu être rassemblés à Mahamasina, dans un aussi parfait état d’entretien.
Enfin, le type s’est très sensiblement amélioré.
Il nous a été donné de voir, à cette exposition, dans la catégorie des juments poulinières, dans celles des chevaux de trois ans et au-dessus, des spécimens de bonne taille (1 m. 50, 1 m. 52, 1 m. 54 et même 1 m. 63), fort élégants, très suffisamment étoffés, capables de porter sans fatigue un cavalier déjà lourd.
Si vous voulez me permettre de confesser mon sentiment, qui est celui de beaucoup de colons, c’est que cette amélioration du cheval malgache est due à la race tarbe du Midi français, que quelques-uns disent anglo-arabe ; il paraît avoir été importé il y a une quinzaine d’années et ce serait un des bienfaits les plus tangibles des services des Haras dans la colonie, lesquels nous ont promis de poursuivre leurs essais jusqu’à l’obtention d’un type idéal.

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.

23 septembre 2016

Il y a 100 ans : Morts au champ d’honneur

de Labrouhe de Laborderie (André-Marie-Joseph), colonel commandant une brigade d’infanterie. – « Commandant de brigade superbe, calme, réfléchi, résolu. S’est distingué à la bataille de Verdun, en tenant en échec, pendant plusieurs jours, une division ennemie dont l’artillerie battait d’écharpe et à revers l’aile droite de sa position. A été blessé mortellement à son poste de commandement. Avait été nommé commandeur de la Légion d’honneur pour prendre rang du 10 mars 1916. »
M. de Labrouhe de Laborderie était le frère de l’administrateur, chef de la province de Tamatave.
Imhaus (Théodore), chef de bataillon commandant le 3e bataillon du 163e régiment d’infanterie. Tué à l’ennemi. – A été cité deux fois à l’ordre du jour dans les termes suivants : « Officier supérieur animé des sentiments les plus élevés. Venu sur le front à 61 ans, a donné un exemple superbe de bravoure en se jetant, revolver au poing, suivi de ses agents de liaison, sur une troupe ennemie qui tentait un encerclement. A réussi par son action héroïque à arrêter le mouvement enveloppant. A été tué d’une balle au cœur. » (J. O. R. F. du 7 juin 1916.)
« Le 30 mars 1916, étant blessé à son poste après la relève de son régiment, a donné le plus bel exemple de courage et d’énergie en se portant à la tête d’une poignée de braves et, revolver au poing, à la contre-attaque de groupes ennemis qui avaient réussi à s’infiltrer dans nos lignes. A été tué. » (J. O. R. F. du 7 juin 1916.)
Le chef de bataillon Imhaus avait pris sa retraite à Diego-Suarez, où il avait créé avec ses fils d’importantes entreprises industrielles.
Journal officiel de Madagascar et dépendances

Pour la culture du ricin à Madagascar

La Chambre consultative de Tananarive s’est préoccupée tout dernièrement de l’exportation des graines de ricin, ce produit semblant trop négligé jusqu’à présent parmi les cultures locales.
Cependant, les exigences de la Défense nationale devraient provoquer l’attention du commerce et de l’industrie de la Grande Île. Aussi, la Chambre consultative a-t-elle demandé à M. Garbit d’inciter les indigènes à cultiver le ricin et d’en vendre toute la récolte à l’Administration.

Le Courrier colonial

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 50 titres parus à ce jour.