December 31, 2017

30 (dernier épisode) - La peste à Madagascar (1931)


La peste à Madagascar (3)

(Suite et fin.)
Dans les débuts, lorsque l’Administration les obligeait ou les invitait à se faire vacciner contre la peste, ils se rendaient en foule à la vaccination. Mais actuellement qu’ils ont constaté que la vaccination antipesteuse n’est exigée que des indigènes seulement et encore de ceux qui ne sont point naturalisés, les Européens, les Arabes, les Hindous, les Chinois en sont exempts, que sur cent cas de mortalité par la peste, il y a rarement un cas atteignant les étrangers, dans leur simplicité, ils se disent : qu’est-ce que c’est que cette vaccination ? Nous préserve-t-elle de la peste ou nous donne-t-elle la peste ? Nous, qui sommes vaccinés, nous sommes seuls atteints tandis que les étrangers qui ne sont jamais vaccinés n’en sont jamais atteints.
Grâce à ces prescriptions maladroites inaugurées à Madagascar et appliquées uniquement aux indigènes non naturalisés, la méfiance règne actuellement au sein de la population malgache. Doux mais désabusés, ils regardent tout avec méfiance.
Lorsque l’épidémie de grippe s’est déclarée à Madagascar en 1919, tout le monde fut atteint, Européens, Hindous, Chinois, Arabes et Malgaches ; la grippe n’a pas choisi spécialement une race de préférence à une autre. Voilà une véritable épidémie. Les mesures sanitaires furent appliquées à tout le monde sans exception et bien vite la grippe a disparu totalement.
Actuellement, la peste persiste depuis dix ans. Que chacun tâche d’en découvrir les motifs.
Devant le piteux résultat obtenu pour vaincre la peste, en présence de la méfiance croissante des indigènes, pour l’honneur de la science médicale française et le bon renom de la France, nous invitons l’Administration de Madagascar :
1° Si la peste n’existe pas, à supprimer toutes les mesures sanitaires qui ne revêtant la plupart du temps que la forme de brimades et de vexations à l’égard des indigènes.
2° Si la peste existe réellement, à appliquer à tout le monde, sans exception, les mesures sanitaires et prophylactiques : Européens, Chinois, Hindous, Arabes, Malgaches naturalisés ou non, et non point aux indigènes non naturalisés seulement.
Auguste.
L’Aurore malgache

Vendredi 18 septembre 1931.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 29, 2017

29 - La peste à Madagascar (1931)


La peste à Madagascar (2)

(Suite.)
Au début de l’apparition de la peste, les villes déclarées contaminées étaient mises en quarantaine immédiatement. Européens, Asiatiques, Africains, Malgaches, marchandises, animaux étaient soumis au même régime de mesures sanitaires contre la peste. Ceux qui étaient à l’intérieur de la zone contaminée ne pouvaient sortir ; ceux qui se trouvaient à l’extérieur de cette zone ne pouvaient y entrer. Bref, personne n’avait le droit de franchir le cordon sanitaire. En même temps, la vaccination antipesteuse était obligatoire pour tout le monde.
Mais, bientôt, on trouva que ces mesures étaient trop sévères, gênaient les Européens et les assimilés ainsi que le commerce, et vite un changement s’opéra dans les règlements sanitaires, au grand ébahissement des indigènes. Voici quelques exemples.
Quand une région est déclarée contaminée, il est bien établi un cordon sanitaire, mais uniquement pour les Malgaches non encore naturalisés. À ces indigènes, il faut un certificat de vaccination antipesteuse et toutes sortes de formalités administratives pour sortir de la zone contaminée. Quant aux Européens, Asiatiques, Arabes, etc., absolument aucune formalité n’est exigée d’eux.
Actuellement, à la gare de Tananarive, par exemple, aucun indigène non naturalisé ne peut se faire délivrer un billet de chemin de fer sans être muni d’un certificat de vaccination antipesteuse et de passeports administratifs.
Un Malgache et un Chinois voyagent dans le même wagon, le contrôleur demande au Malgache ses passeports et ne demande absolument rien au Chinois, à plus forte raison à un Européen.
Très souvent, on expédie des bœufs et des porcs dans des wagons à la gare de Tananarive sur d’autres destinations. On n’exige aucun passeport sanitaire pour le transport des bœufs et des porcs. Il est donc certain que ces animaux sont mieux considérés que les indigènes. On les considère comme les Européens et les assimilés ou encore les Malgaches naturalisés.
Les Malgaches, toujours dociles, s’empressent d’obéir aux prescriptions administratives.
Auguste.
(À suivre.)
L’Aurore malgache

Vendredi 18 septembre 1931.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 28, 2017

28 - La peste à Madagascar (1931)


La peste à Madagascar (1)

Rien de plus désolant que l’histoire de la peste à Madagascar !
D’après les communications officielles, elle fit son apparition pour la première fois à Tamatave, en avril 1921 ; un mois après elle était à Tananarive, puis s’étendit à tout Madagascar.
Depuis dix années qu’elle est dans notre pays, on dirait qu’elle va s’y fixer définitivement. Depuis le début, on n’a constaté que des cas isolés : en la comparant aux épidémies de peste qui ont sévi dans d’autres pays, on se demande vraiment si la peste existe à Madagascar.
En 1912, en Chine, l’épidémie de peste fit une véritable hécatombe. Il en fut de même à Bombay, en 1897. Les épidémies de peste ont été constatées à Marseille, à Saint-Louis de Sénégal, en Égypte ; mais partout, on a pu l’enrayer complètement et, dans ces pays, la peste n’existe plus qu’à l’état de souvenir.
Ce n’est qu’à Madagascar seulement que la peste demeure invincible, du moins selon les communiqués officiels qui ne manquent jamais d’enregistrer les morts dans les colonnes des journaux.
Des docteurs diplômés de France sont dans toutes les grandes villes de Madagascar, et des médecins diplômés de Tananarive existent un peu dans toute la brousse. Pourquoi donc cette épidémie de peste persiste-t-elle toujours dans le pays, depuis dix ans ? Est-ce la science française qui a pu enrayer définitivement la peste à Marseille et dans d’autres régions, et est-ce que cette science est ignorée de nos docteurs et médecins actuels ? Ou plutôt, nos praticiens, à Madagascar, n’auraient-ils pas la même aptitude que leurs aînés ? On sait que les docteurs européens et indigènes ont la même valeur-diplôme que leurs devanciers. Il reste à savoir s’ils ont la même valeur professionnelle et la même conscience.
Sans vouloir entrer dans la discussion de savoir si la peste existe ou n’existe pas, car les quatre cinquièmes des Malgaches n’y croient pas, nous nous bornerons tout simplement à faire passer sous les yeux des lecteurs les mesures que l’on emploie à Madagascar pour combattre la maladie n° 9.
Auguste.
(À suivre.)
L’Aurore malgache

Vendredi 18 septembre 1931.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 27, 2017

27 - La peste à Madagascar (1931)


La peste par conviction

Le samedi 28 novembre 1930, une jeune fille, du nom de Razanabelo, âgée de 14 à 15 ans, tomba malade. Son oncle, Rakotovao, accompagné de sa femme, Razanamaro, demeurant à Morarano, quartier de Mahazoarivo, conduisit la malade chez le médecin Rabe-Régis, à l’ouest du lac Mahazoarivo. Après la consultation, le médecin dit aux parents de la jeune fille : « Son cas est grave, faites-la soigner à l’hôpital indigène de Befelatanana. » Puis, il en rendit compte au bureau d’hygiène. Mais la jeune fille mourut tandis qu’on la transportait à l’hôpital de Befelatanana. Ses parents firent rapporter le corps à la maison.
Le lendemain matin, dimanche 29 novembre, Rakotovao fit appeler le médecin. Arrivèrent à la maison mortuaire MM. Bouvier, inspecteur de police, le docteur commandant Faucon d’Ambotofotsileky, l’infirmier Rajaona, des prisonniers, etc., etc.
Le docteur commandant entra dans la maison pour examiner la morte.
Il ressortit au bout d’un moment en disant à l’inspecteur qu’il ne trouvait pas le bubon dont avait parlé le médecin Rabe-Régis. Il retourna auprès du cadavre, et s’écria de nouveau : « Je ne trouve rien.»
Alors on se demanda, puisque le docteur n’avait pas trouvé de bubon, qu’allait-on faire du corps de Razanabelo. Pour répondre à cette question, on décide d’attribuer quand même le décès à la peste (sans qu’il ait été fait aucune analyse de sang).
La maison fut désinfectée, le mobilier et tous les effets furent brûlés ; le corps fut confié aux prisonniers jusqu’à l’endroit où se trouvaient les autos de service. Rakotovao, sa femme Razanamaro, son beau-frère Rakotovao furent internés au lazaret d’Ambohimiandra où ils furent isolés pendant dix jours, les bœufs et les animaux de basse-cour furent confiés aux voisins.
Mais, jusqu’à présent, les habitants ne sont nullement convaincus que la malheureuse jeune fille soit morte de la peste, puisqu’aucun médecin n’a reconnu cette maladie. Il est vrai qu’il y a eu peste par conviction.
C’est par des procédés de ce genre que l’on dissuade les Malgaches de l’existence véritable de la peste à Madagascar, et qu’on les entretient dans la conviction que la peste, dans ce pays, n’est qu’une peste politique, à l’usage des autochtones non naturalisés seuls.
L’Aurore malgache

Vendredi 1er mai 1931.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 26, 2017

26 - La peste à Madagascar (1930)


Où les Européens et assimilés sont officiellement considérés comme réfractaires à la peste (2)

(Suite et fin.)
Évidemment, les membres de la mission se contentèrent de rigoler en guise de réponse car tous, sauf Maître Foissin, appartiennent à cette catégorie de Français de deuxième zone dits sujets.
Il fallut donc trouver un autre expédient pour pouvoir sortir légalement de ce cordon sanitaire spécial, établi uniquement pour les autochtones.
J’intervins alors en offrant de délivrer des certificats médicaux pour mes camarades, car je suis médecin.
Mais une question se pose d’elle-même : pourquoi le service de santé de la colonie a-t-il pris une pareille mesure sanitaire qui est à la fois absurde et criminelle et qui ne rime à rien ?
Je dis que c’est une mesure tout à fait absurde, car la véritable peste atteint tout aussi bien les Européens et les indigènes qui vivent ensemble. La couleur de l’épiderme ne constitue pas un rempart contre les maladies microbiennes.
D’autre part, je dis que c’est une mesure criminelle, car il se peut fort bien que des Européens ou des indigènes citoyens français atteints d’une peste pulmonaire, par exemple, voyagent dans une même auto avec des indigènes munis des certificats médicaux lesquels, on le sait, ne constituent pas des garanties contre le danger de contamination. Bien entendu, on leur permettra tous de franchir le cordon sanitaire, les Européens et assimilés à cause de leur statut politique, tandis que les indigènes, en raison de leurs certificats médicaux. Donc, il peut s’en suivre un triple crime !
1er crime : c’est de laisser librement une personne déjà contaminée sortir d’un foyer de peste, parce que cette personne est censée réfractaire à la peste à cause de son statut politique ;
2e crime : c’est d’exposer au danger de contamination des indigènes crédules auxquels ont fait croire officiellement que le contact avec les Européens et assimilés provenant d’un foyer de peste n’est pas dangereux et que la vaccination anti-pesteuse est efficace pour protéger contre la peste.
3e crime : c’est de laisser une population indemne se mettre en contact avec des personnes munies des certificats médicaux mais déjà contaminées par des Européens et assimilés atteints de peste.
Ravoahangy.
L’Aurore malgache
Vendredi 28 novembre 1930.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 20, 2017

25 - La peste à Madagascar (1930)


Une idée sur la peste (2)

(Suite et fin.)
Des notables idiots (il faut remarquer d’ailleurs qu’on ne choisit ces notables qu’à cause de leur idiotie) m’ont confié : « Les Malgaches ne doivent pas se plaindre de ces vaccinations et passeports, car cette mesure, ont-ils ajouté, prouve, une fois de plus, l’amour qui anime les corps constitués, les pouvoirs publics et tout ce qu’il peut y avoir de haute ou de basse autorité dans le pays à l’égard des Malgaches, en veillant sur leur santé, tandis qu’ils dédaignent les vazahas, les Chinois, les Indiens, etc., dont la santé est le cadet de leur souci. Ceux-ci sont des grands enfants maditra (méchants) que le Fanjakana ne protège pas comme les petits enfants indigènes, sujets français, bien doux, bien soumis. »
Et voilà les imbécillités que nous sortent ces nullités lamentables de notables, choisies par le Gouvernement Général de Madagascar.
À la suite de raisonnements de ce degré de crétinisme, Le Malagasy – Sûreté Générale se permet de nous traiter de plus dangereux que la peste !
Nous sommes certainement pour les mauvais fonctionnaires et les mauvais colons plus dangereux que la peste officielle ne l’est pour la santé publique.
Jules Ranaivo.

Où les Européens et assimilés sont officiellement considérés comme réfractaires à la peste (1)

[Extrait de « Notre voyage à Manakara », partie IV.]
Notre auto stoppa sur l’injonction des miliciens du cordon sanitaire, lesquels nous firent la déclaration suivante : « Les Européens et les chauffeurs peuvent passer, mais les autres voyageurs doivent nous présenter au préalable des certificats médicaux, sinon ils seront reconduits à Ambositra (c’est-à-dire à 100 kilomètres de là).
Un des membres de la mission, qui voulut savoir si les indigènes citoyens français n’étaient pas dispensés de cette formalité sanitaire absurde, leur répliqua : « Nous sommes tous des Français, est-ce que nous pouvons passer ? — Montrez-nous alors vos papiers d’identité, rétorquèrent les miliciens, pour que nous puissions savoir que vous êtes bien des citoyens français, car nous avons tout simplement reçu la consigne formelle de n’empêcher de passer que les sujets français non munis de certificats médicaux. »
(À suivre.)
Ravoahangy.
L’Aurore malgache

Vendredi 28 novembre 1930.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 19, 2017

24 - La peste à Madagascar (1930)


Une idée sur la peste (1)

Les vaccinations anti-pesteuses et les passeports sanitaires exigés des sujets français dits indigènes, seulement, dénotent vraiment un régime esclavagiste. Le Malagasy – Sûreté Générale qui nous qualifie de plus dangereux que la peste dont seuls les indigènes supportent toutes les mesures vexatoires avoue implicitement par là que cette peste n’existe pas, ou du moins n’existe pas telle qu’on veut bien nous le faire croire.
La vraie peste, d’après nous, pourrait bien exister, et dans ce cas, les mesures de protection ne doivent pas frapper uniquement les sujets français autrement cela ne devient plus qu’une mauvaise plaisanterie, et une arme de persécution entre les mains d’une administration sans scrupules. Comme la véritable peste ne fait aucune distinction de personnes, et frappe tout le monde, indigènes français, Indiens, Chinois, créoles de toutes les colonies, etc., les mesures d’hygiène doivent être générales et égales pour tous, vaccinations, passeports sanitaires, etc. Une commission, qui réunirait des représentants de chaque catégorie de la population, fonctionnerait en permanence pendant toute la durée de l’épidémie, et désignerait les personnes que le manque de propreté rendrait susceptibles des mesures d’hygiène d’exception.
Ainsi, il y aura plus d’ordre, plus de discipline et surtout plus de justice pour tout le monde.
Les mesures prises actuellement ne visent que les sujets français, dits indigènes, sans distinction, en faisant supporter par cette seule catégorie de la population le poids de la peste, sans que les corps constitués aient élevé, jusqu’ici, la moindre protestation, alors que ces représentants des intérêts généraux (pour rire) savent très bien que parmi les sujets français dits indigènes, il y en a qui sont certainement plus propres que certains vazahas, principalement les Asiatiques, lesquels sont exempts, de droit, de toutes les vexations engendrées par cette fameuse peste.
Naturellement, les sujets français, dits indigènes, en présence de l’odieux indigénat, n’ont qu’un seul droit, celui de se taire… ou d’aller en prison.
(À suivre.)
Jules Ranaivo.
L’Aurore malgache

Vendredi 28 novembre 1930.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 18, 2017

23 - La peste à Madagascar (1930)


La peste de Tamatave jugée par le bon sens des indigènes

Le public de Tamatave est en émoi. Il y a de quoi, et en voici les raisons : le 23 octobre dernier, une femme indigène venant de Tananarive, logée dans une boulangerie européenne de Tamatave, avec son mari et d’autres employés indigènes, fut déclarée suspecte de peste, et dirigée aussitôt sur l’hôpital de la Pointe-Tanio. À la date du 24, elle y décéda.
La boulangerie fut immédiatement fermée, le mari de la femme décédée ainsi que toute la famille et les autres employés indigènes furent consignés dans la boulangerie, transformée ainsi en lazaret improvisé… Mais la vente du pain continuait tous les jours devant la porte sous la vérandah.
Le public fit naturellement des réflexions peu indulgentes pour l’administration de Tamatave et chercha vainement à éclaircir cette affaire.
« Comment, se demanda-t-il, à juste titre ! On fait livrer à la consommation le pain fabriqué dans une boulangerie contaminée par la peste ! N’est-ce pas le meilleur moyen de propager les germes de la peste à travers la ville ? Faut-il croire, comme il s’agit d’une boulangerie européenne, que cette boulangerie, comme tout ce qui est européen, se trouve réfractaire à la peste, administrativement parlant ? Seuls, les indigènes qui manipulaient le pain pouvaient avoir le microbe de la peste. Mais quant au pain lui-même, comme c’est la propriété d’un Européen, les microbes ne se permettent pas de passer sur le pain… ce en quoi, ils ont évidemment raison. De cette façon, grâce à l’intelligence du bacille de la peste, toute production européenne se trouve immunisée de plein droit. Quelle brave peste… ou quelle vaste plaisanterie.
D’autre part, dans les environs de la rue de Tananarive, le 26 octobre dernier, la peste a été déclarée dans une maison indigène, tous les occupants de cette maison ainsi que ceux d’une autre maison se trouvant à plusieurs mètres de distance ont été jetés au Lazaret ; boutiques et maisons d’habitation furent hermétiquement fermées, tout fut arrêté. Il n’en fut pas de même à la boulangerie, car il y a toujours à Madagascar deux poids et deux mesures, les uns pour les Européens, les autres pour les indigènes.
L’Aurore malgache

Vendredi 7 novembre 1930.

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December 15, 2017

22 - La peste à Madagascar (1921)

La peste

La peste tend à disparaître de Tamatave. Avant-hier, il n’y avait ni cas nouveau, ni décès. Hier, deux cas seulement, dont un tirailleur qui avait été vacciné et qui actuellement va aussi bien que possible. Le second cas est un commandeur des canaux du Nord.
On persiste à croire que si, dès le début de l’épidémie, le vaccin était arrivé en quantité suffisante, le fléau serait en ce moment-ci complètement enrayé.
Le principal foyer d’infection où il y a eu le plus de cas de peste est le village d’Antanamakoa près de Tanio, aussi l’Administration a décidé de brûler complètement les cases de ce village et d’en construire de nouvelles, mieux aérées et plus confortables. Ce travail coûtera au Fanjakana 20 000 francs environ.
Étant donné la décroissance de la peste à Tamatave, un grand nombre de personnes voudraient voir lever la quarantaine ces jours-ci. En supposant qu’il ne se produise plus de cas, la quarantaine ne pourra être supprimée que lorsque les immeubles contaminés auront été désinfectés ou brûlés.
Le Tamatave
Samedi 26 mars 1921.

Le cordon sanitaire

On va enfin le reporter plus loin ; il va englober les régions de Melville et de l’Ivoloina, ce qui permettra aux affaires de reprendre en partie, et tirera beaucoup de gens de leur isolement.

On ne passe pas

Plusieurs indigènes ayant tenté de franchir le cordon ont été arrêtés par les sentinelles apostées. D’autres auraient réussi à le passer en cachette.
Le Tamatave
Mercredi 30 mars 1921.

Les bienfaits de la peste

La population tananarivienne a une frousse bleue de la peste de Tamatave. Or il existe des gens à Tamatave qui souhaitent que la peste dure tout comme pendant la guerre certains fournisseurs de l’État auraient désiré que les hostilités ne prissent jamais fin.
C’est que, par suite du cordon sanitaire, les indigènes, obligés de gagner leur vie à Tamatave même, viennent en foule demander du travail aux vazaha qui ont de la main-d’œuvre tant qu’ils en désirent et dont quelques-uns se voient obligés de refuser du travail.
Il est vrai de dire que cet encerclement a des inconvénients d’un autre côté.
Le Tamatave

Samedi 2 avril 1921

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December 14, 2017

21 - La peste à Madagascar (1921)


La peste (2)

(Suite et fin.)
Tel est bien loin d’être notre cas, car on a pu remarquer que, parmi plusieurs individus habitant une même maison, un ou deux seulement étaient atteints, et que tous les autres étaient indemnes, et ils le sont encore d’ailleurs. On a vu aussi que, parmi des indigènes logeant dans un même local, plusieurs présentaient les symptômes de la maladie, mais qu’ils ne continuaient à se manifester que chez l’un d’eux, les autres n’éprouvant plus rien dans la suite.
Tout cela porte à croire que les bacilles de la maladie sont bien répandus dans toute la ville, mais que par suite d’une longue incubation sans doute, ils ont perdu beaucoup de leur virulence, de sorte qu’ils ne déterminent la maladie que dans les terrains propices, c’est-à-dire chez les gens qui y sont sujets, et qu’ils n’ont qu’une action très faible ou nulle chez les autres.
Malgré le peu de violence de l’épidémie, on n’en prend pas moins des mesures énergiques. Tous les bâtiments où des cas se sont produits sont désinfectés, plusieurs ont été ou seront brûlés. Une commission d’évaluation déterminera auparavant le prix de l’immeuble et des objets détruits.
Il y a lieu de remarquer que c’est dans des cases d’Indiens que le fléau s’est déclaré, tout comme en 1898. Seulement, à cette époque, les Indiens étaient cent fois moins nombreux qu’à présent, et n’occupaient pas la formidable quantité d’immeubles qu’ils détiennent à l’heure actuelle. Or il est à remarquer quelle prise facile ces gens offrent aux épidémies de peste comme cela a pu se constater dans l’Inde même, à Maurice et ailleurs. En 1898, en effet, les Indiens furent les premiers contaminés ; il en mourut une très forte proportion, et à la suite de cela, toutes leurs marchandises furent jetées à la mer, car c’était bien là que le bacille de la peste pouvait se développer à son aise. D’après de vieux Tamataviens, nous serions de la sorte menacés d’avoir comme à Maurice la peste à l’état latent. Mais si on voulait à l’heure actuelle procéder à semblable opération, se doute-t-on du travail monstre et de la dépense fantastique que cela occasionnerait ? Il n’y aurait pas d’autre ressource que de se contenter de désinfectants. C’est à la science médicale de se prononcer sur leur efficacité.
Le Tamatave

Mercredi 16 mars 1921.

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December 12, 2017

20 - La peste à Madagascar (1921)


La peste (1)

Lorsque cette phrase : « La peste est à Tamatave » est prononcée en dehors de notre ville, immédiatement s’évoque la vision de gens affolés, de rues désertes, de boutiques fermées, de charrettes pleines de cadavres, d’ensevelissements à la hâte, et de tout le tableau dramatique qui accompagne le passage d’une épidémie de peste.
Or, nous nous rappelons bien qu’il y a deux mois, la situation sanitaire de Tamatave était épouvantable : les décès survenaient coup sur coup, et pourtant, nous n’avions pas d’épidémie. Au contraire, ces derniers temps, les décès d’Européens et assimilés sont devenus rares, ce qui faisait dire à un Tamatavien : « Je trouve que la situation sanitaire s’est considérablement améliorée depuis que nous avons la peste. »
Ne nous hâtons pas cependant de crier victoire, car nous ne pouvons pas présager le dénouement de cette épidémie qui, à part 3 ou 4 cas, n’a jusqu’ici touché que des indigènes. En réalité, elle a fait son apparition il y a déjà 3 mois, et ce n’est que ces derniers temps qu’on l’a signalée, depuis que des non-indigènes ont été atteints ; autrement, elle n’aurait peut-être pas attiré l’attention.
On dit que le point de départ de l’épidémie serait dans la maison de l’adjudant-chef où des cas antérieurs ont été constatés à des époques déjà lointaines. Mais on oublie que ce n’est là ni le premier cas ni le premier décès, et que les cas qui se produisent ne vont pas de proche en proche, mais se déclarent successivement dans des endroits fort distants les uns des autres : Tanambao, Pointe Hastie, Ambodimanga, rue du Commerce, rue Nationale. Les uns disent qu’elle vient de l’étranger avec des rats logés dans certain produit ; les autres qu’elle existait à Tamatave depuis de longues années et qu’elle s’est réveillée à présent. Chacune de sa version a sa part de vraisemblable.
Dans tous les cas, on s’accorde à dire que pour une peste ses ravages ne sont pas bien terribles ; ils sont encore bien moins rapides que ceux de la grippe espagnole qui sévit ici il y a deux ans. Or une épidémie de peste dans l’espace de temps que dure la nôtre enlève d’ordinaire une partie de la population.
(À suivre.)
Le Tamatave

Mercredi 16 mars 1921.

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December 11, 2017

19 - La peste à Madagascar (1921)


Le mal qui répand la terreur

La peste, ou du moins ce qu’il était convenu d’appeler de ce nom, est en décroissance à Tamatave, à en juger d’après les bulletins sanitaires.
Les autorités ont pris avec énergie les mesures qu’on prend en pareille circonstance. Un cordon sanitaire englobant les régions de l’Ivondro et de l’Ivoloina a été établi ; 300 tirailleurs sont venus de Tananarive pour le renforcer. Des avis que tout le monde lisait attentivement ont été affichés en ville pour indiquer les mesures individuelles que chacun devait prendre afin de se protéger. Une inspection minutieuse des habitations sera faite en vue de vérifier s’il n’y existe pas de foyer propre à la multiplication des microbes. Des mesures seront prises en vue d’assurer normalement le ravitaillement de la population. Un lazaret sera établi à Ivondro où se tiendra un docteur et où les gens devant se rendre à Tananarive resteront 5 jours en observation.
Le pot peste est un nom générique désignant différentes maladies de nature essentiellement épidémique. Le mal débute par un malaise général, anéantissement qui force le malade à s’aliter, puis surviennent de la fièvre, des vomissements, de la diarrhée, des hémorragies, parfois des convulsions. Vers la fin de la maladie, si le malade n’a pas succombé auparavant, se montrent des engorgements ganglionnaires ou bubons aux aisselles, au cou, etc. Les taches rouges ou pétéchies annoncent une terminaison funeste. Contre cette maladie, il n’existe guère de remède efficace. On peut toujours prévenir la maladie au moyen d’injections virulentes.
Les individus de race blanche passent pour avoir contre ce fléau une immunité plus grande que les gens de couleur.

Situation sanitaire du 9 au 10 mars à 8 heures du matin.
Cas nouveaux : Européens, créoles, asiatiques, néant ; Indigènes hospitalisés à Tanambao, 3
Décès : Européens, créoles, asiatiques, néant ; Indigènes hospitalisés à Tanambao, 1 ; en dehors de l’hôpital à Antanamakoa, 1

Du 10 mars 8 heures du matin au 11 mars 8 heures du matin.
Cas nouveaux : Européens, assimilés et asiatiques, néant ; Indigènes hôpital indigène, 2
Décès : Européens, assimilés et asiatiques, néant ; Indigènes, hôpital indigène, 2 ; ambulance militaire, 3
Le Tamatave

Samedi 12 mars 1921.

Extrait de La peste à Madagascar 1898-1931, un livre numérique de la Bibliothèque malgache disponible dans toutes librairies proposant un rayon ebooks (2,99 €) et, à Antananarivo, à la Librairie Lecture & Loisirs (9.000 ariary).

December 8, 2017

18 - La peste à Madagascar (1914-1915)


On a craint la peste à Tamatave

Nos compatriotes de Tamatave ont éprouvé une émotion bien légitime vers la mi-mars.
Le bruit s’était en effet répandu qu’un cas de peste venait d’être constaté dans la boutique d’un Chinois.
Le dernier courrier de Maurice avait amené plusieurs fils du Céleste Empire qui, avec les autres passagers, avaient été envoyés en quarantaine dans l’îlot Prune.
Or, rien de suspect ne s’étant révélé au cours de cette quarantaine, les nouveaux débarqués avaient été autorisés à séjourner dans la ville.
Les deux jours suivants, le Chinois en question vint passer la visite médicale à la mairie, mais le troisième jour on ne le vit pas.
Le médecin se rendit aussitôt à son domicile, et le trouva malade. Un certificat du docteur d’Emmerez, le déclarant atteint d’insolation, ne fut pas jugé suffisant, et le médecin municipal le fit immédiatement enlever de crainte qu’il fût atteint de la peste.
Les porteurs, les garde-malades et tous ceux qui avaient approché le malade furent immédiatement désinfectés, ainsi que la case où il avait séjourné.
Enfin on reconnut, avec un véritable soulagement, que sa maladie n’avait rien de commun avec la peste.
Cet incident a eu, du moins, pour effet de tirer de sa léthargie la commission d’hygiène de Tamatave. Elle va s’occuper de faire disparaître nombre de tanières infectes où vivent entassés d’innombrables Asiatiques, qui causent de légitimes inquiétudes à nos compatriotes.
Le Courrier colonial
Mardi 28 avril 1914.

Marchandises de Maurice

Il a été reçu de Maurice par le Djemnah des grains secs, du poisson salé et des ingrédients.
Est-il prudent d’admettre l’introduction, sans la moindre désinfection, de ces sortes de marchandises qui proviennent de l’Inde et qui ont séjourné à Maurice alors que la peste sévissait dans cette île ?
La Dépêche malgache
Samedi 3 avril 1915.

La peste à l’île Maurice

Le vice-consul de France à Port-Louis fait connaître à Madagascar que, du 26 décembre 1914 au 1er mars 1915, il a été constaté à l’île Maurice vingt cas de peste, dont dix-neuf se sont terminés fatalement.
Le dernier cas de cette maladie a été reconnu le 15 janvier dernier.
Les patentes de santé délivrées par ce poste sont ainsi libellées : « L’état sanitaire du pays est satisfaisant. »
Les Annales coloniales

Samedi 15 mai 1915.

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December 7, 2017

17 - La peste à Madagascar (1914)


Madagascar et la Réunion menacés de la peste

Les mesures de défense que nos colonies de Madagascar et de la Réunion sont obligées de prendre contre les provenances pesteuses de l’île Maurice deviennent vraiment onéreuses. Récemment encore, quatre personnes venant à la Réunion par un paquebot des Messageries Maritimes, il fallut débarquer à un débarquement en haute rade, conduire les suspects au lazaret, etc. L’île Maurice, grâce à l’insouciance de l’administration britannique, est devenue le rendez-vous de toutes les pestes asiatiques : le déboisement, l’absence de mesures prophylactiques contre les innombrables Hindous, toujours sales, toujours malsains, et toujours plongés dans les cours d’eau réduits, en été, à des filets bourbeux parce qu’aucune ombre ne les protège contre les rayons du soleil, ont fait de cette colonie, considérée autrefois comme un sanatorium, l’un des points les plus dangereux du globe au point de vue sanitaire.
L’administration anglaise, qui depuis la conquête en 1810, a l’idée fixe d’anéantir l’élément français existant dans l’île, et de la transformer en une dépendance de l’Inde, ne fait rien, ou presque rien, pour enrayer le mal.
La peste a éclaté à la Réunion, elle a été jugulée en trente jours. À Madagascar, l’administration n’a pas hésité à faire incendier plusieurs immeubles pour enrayer un commencement de peste importé de l’île Maurice.
Mais la menace reste constante, et nos compatriotes de la Réunion et de Madagascar réclament la suppression du service des Messageries Maritimes entre leurs îles et Maurice. Il faudra bien en venir là si nos amis, les Anglais, continuent à se livrer avec tant de sollicitude à la culture des microbes en vue de l’exportation.
Le Courrier colonial
Mardi 13 janvier 1914.

Nouvelles et informations

Le vice-consul de France à Port-Louis fait connaître que du 28 décembre 1913 au 13 février 1914, il a été constaté à l’île Maurice vingt-neuf cas de peste bubonique dont dix-neuf se sont terminés fatalement et un cas mortel de pneumonie pesteuse.
Durant cette période, il n’a été reconnu aucun cas de variole.
Journal officiel de Madagascar et Dépendances

Samedi 28 février 1914.

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December 6, 2017

16 - La peste à Madagascar (1907)


Situation sanitaire

Il paraît que c’est très sérieux : la peste a officiellement quitté nos murs. Ce qui le prouve péremptoirement, c’est qu’un ancien membre de la Commission sanitaire s’est empressé d’y rentrer, après trois mois de prudente absence. Il n’a pu s’empêcher de sourire quand, en plein centre du quartier général de l’épidémie, il retrouva intacte la légendaire masure frappée d’alignement, où gîtera longtemps encore son foyer domestique, malgré la colère motivée, dit-on, de grincheux voisins. Un Chinois, constitué gardien du premier étage de l’immeuble et de ses dépendances, a bien eu l’excellente attention de mourir de 29 courant et personne ne doutait que notre excellente Commission de salubrité saurait s’en émouvoir. Mais une méticuleuse autopsie a scientifiquement démontré que le cadavre de cet Asiatique était indemne du moindre microbe pesteux. Il en a été de même pour un Arabe, marchand d’opium au bazar. Quarante jours plus tôt, c’eût été une autre affaire !
C’était l’époque mémorable où l’on envoyait précipitamment au lazaret des pestiférés : une femme enceinte qu’un policier avait signalée comme atteinte d’une grosseur suspecte ; deux bourjanes trouvés ivres-morts sur la voie publique ; un pauvre petit gosse porteur d’un engorgement à l’aine, conséquence de la piqûre de son pied par une arête de poisson ! Il suffisait alors qu’un malade eut craché sur le plancher poussiéreux d’une maison pour que celle-ci et toutes ses voisines fussent condamnées à une impitoyable destruction… N’est-ce pas l’histoire exacte de la démolition du quartier Antoni ?
Si les temps sont changés, il faut nous en réjouir, que diable ! et ne pas s’arrêter à de futiles doléances aussi inutiles que rétrospectives !
Le Docteur Tant Pis et le Docteur Tant Mieux nous donnent l’exemple des sages conciliations ; ils sont pour une fois tombés d’accord et le Conseil d’hygiène a pu, enfin, demander par dépêche au Gouvernement Général la levée de la quarantaine et la suppression du cordon sanitaire. On attend d’un moment à l’autre la bonne nouvelle.
Dernière heure. – La quarantaine a été levée, à compter du dimanche 3 novembre.
L’Action à Madagascar (Majunga)

Samedi 2 novembre 1907.

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December 5, 2017

15 - La peste à Madagascar (1907)


Bulletin de la peste

L’état sanitaire s’est si subitement et nettement amélioré qu’il est enfin permis d’entrevoir la fin prochaine de l’épidémie. Aucun nouveau cas n’a été enregistré depuis dimanche et les esprits les plus pessimistes commencent à se tranquilliser. Les commissions d’hygiène et de salubrité, avec un zèle utile encore qu’il ne soit pas unanimement approuvé, redoublent de précautions pour nous épargner une reprise du fléau. Vingt-cinq constructions sordides qui étaient une lèpre pour notre cité ont été condamnées cette semaine.
Ceci ne nous dispense aucunement, bien au contraire, de présenter quelques critiques de détails étranges qui nous sont signalés.
Il paraît que les effets de literie ayant servi à des malades européens entrés en traitement, voire même décédés à l’hôpital, au compte de la peste, n’ont pas été détruits. On se serait bénévolement contenté de les passer à l’étuve de désinfection, après une promenade en voiture dans les rues de la ville et un stationnement d’environ une journée sur la voie publique !!! Il nous est même affirmé que le véhicule employé au transport des cadavres… et malades, depuis le début de l’épidémie, n’a jamais été désinfecté.
L’autorité militaire, embarrassée pour caserner les 280 tirailleurs sénégalais arrivés par le Mangoro en supplément d’effectifs, a été obligée de faire camper sous des abris en feuillage une partie du contingent de la garnison, d’autant qu’il a fallu procéder récemment au Rova à des mesures de salubrité.
Cet état de choses, qui menace de durer jusqu’à l’époque des pluies, est on ne peut plus déplorable et on ne sait trop comment y remédier, même provisoirement.
Il est écrit que, tout en nous trouvant sur place, nous n’aurons pas la joie d’être les premiers à annoncer la fin de la peste et à rassurer nos familles de la Métropole.
On lit en effet dans le Petit Journal de Paris, à la date du 28 août, la grosse nouvelle que voici :

Fin d’une épidémie
Tananarive, 27 août.
« L’épidémie de peste qui sévissait à Majunga a complètement disparu. »

Il est impossible de battre un pareil record d’informations ! Mais qui diable, à Tananarive, a eu intérêt à faire les frais de ce câblogramme de divination anormale ?
L’Action à Madagascar (Majunga)

Samedi 5 octobre 1907.

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December 4, 2017

14 - La peste à Madagascar (1907)


Bulletin de la peste

Cette semaine a été particulièrement fatale. On a enregistré des victimes de l’épidémie dans tous les quartiers et faubourgs de Majunga, y compris le Camp du Rova, demeuré indemne jusqu’alors. La statistique signale douze cas, dont deux Européens, et huit décès. Pareille recrudescence du mal semble avoir jeté un peu d’affolement dans les commissions et conseils sanitaires. L’incohérence et le désarroi des mesures prises commencent à être vivement commentés par le public.
Nous nous garderons bien d’émettre à la légère une opinion mais il nous paraît qu’après deux mois d’expériences et de tâtonnements, certaines fautes d’incurie ou d’impéritie ne devraient plus être commises comme au début du fléau.
Il est inconcevable qu’on n’ait pas encore trouvé le moyen d’arroser les rues au moins à l’eau de mer, ni songé à améliorer le service des vidanges qui n’a jamais été aussi exécrable. D’autre part, les employés à la désinfection continuent dangereusement pour la masse à aller manger et coucher à leur guise et sans plus de précautions dans les quatre coins de la ville. Faute de cases d’isolement aménagées pour Européens au lazaret d’Amboboka, les malades de cette catégorie sont toujours traités à l’hôpital. Il ne faut donc pas s’étonner que tout aille de mal en pis.
Nous croyons savoir qu’une notable partie de la population prépare une supplique de protestation à l’adresse du Gouvernement général où sera posée, en même temps qu’une demande de crédits très opportune, la question de la prohibition de l’immigration asiatique.
Enfin, des malandrins se livrent avec trop de liberté aux exploits les plus audacieux. Ils ouvrent de nuit tous les parcs du bétail de boucherie qu’ils chassent en dehors du cordon sanitaire à la merci de complices avisés et mettent ainsi en danger le ravitaillement de Majunga.
Il serait temps de réprimer énergiquement tous ces désordres.
L’Action à Madagascar (Majunga)

Samedi 21 septembre 1907.

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December 3, 2017

13 - La peste à Madagascar (1907)


Lettre d’Analalava

L’Action du 10 août dit avec justesse qu’à l’occasion de l’épidémie, la haute administration n’a pas hésité à s’engager dans de terribles responsabilités.
Celle-ci n’ignorait pas, en effet, que plusieurs boutres avaient quitté la rade de Majunga avec patente nette les 25, 26 ou 27 juillet, bien que l’attention des médecins eut été appelée, au moins dès le 23 du même mois, sur des cas suspects de peste.
Je vous signale entre autres le boutre Oussény appartenant à l’Indien Abdallah Achimo qui s’en vint tranquillement de Majunga à Analalava trois ou quatre jours après la première victime connue de l’épidémie. Il était chargé d’Asiatiques, hommes, femmes et enfants qui fuyaient le fléau avec leurs bagages pour se réfugier chez leurs amis et congénères d’ici.
Quand les services d’Analalava furent enfin prévenus officiellement, tous avaient déjà débarqué, en même temps que les marchandises contaminées, et donnaient en ville d’alarmantes nouvelles de Majunga !
L’autocrate Totor Ier, en quittant Majunga le 28 juillet sur La Rance, sans tenir compte des règlements d’utilité publique, a prouvé, une fois de plus, son outrecuidant esprit de despotisme. En toutes circonstances et au mépris des plus graves responsabilités, il impose avec cynisme ses capricieuses volontés. Le ministre de la Marine et le ministre des Colonies devraient bien appliquer la peine du talion à ce gouverneur qui donne de si fâcheux exemples de manquements à l’ordre général quand il poursuit avec la plus implacable et parfois la plus inhumaine des sévérités les anodins écarts des petits employés placés sous sa coupe.
N’a-t-il pas imposé, au surplus, avec sa morgue coutumière et impériale, son fils, l’aiglon, sous-officier en activité de service, à la table du commandant de La Rance ? Beau sujet de méditation, en vérité, pour ceux qui n’ont pas oublié les rigueurs de la discipline, ni désappris les règles formelles de la hiérarchie militaire : un sous-officier admis à prendre ses repas aux côtés d’un capitaine de frégate, commandant d’un navire de l’État !!! Les officiers du bord n’ont-ils pas été légitimement mortifiés, devant tout l’équipage, d’une si brutale entorse aux convenances usuelles ?
K. Bondos,
Sapeur mineur à Analalava.

L’Action à Madagascar (Majunga)

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