December 28, 2011

Jean-Claude Mouyon, vu par Ben Arès

Jean-Claude Mouyon est mort, dit-on, il y a quelques jours à La Réunion. Il est toujours bien sûr. Pour ceux qui le portent dans leur cœur. Au-delà de l’écriture, au-delà de l’écrivain quelque peu reconnu ici à Madagascar, injustement méconnu en dehors.
On oublie trop souvent qu’écrire est un travail sérieux. De chaque heure, chaque minute. On oublie bien souvent qu’écrire n’est pas de tout repos et qu’écrire ce n’est pas qu’écrire mais avant tout vivre, éponger et s’imprégner, être sur le fil, jouer avec les feux et les diables, courant parfois les risques de dérives ou de noyades, avant de jeter son dévolu sur le métier. L’écriture c’est la vie, l’homme et l’écrivain ne font qu’un : une idée qu’on ne pourrait prêter mieux qu’à ce type qui s’est efforcé de rester authentique, proche de ces êtres qu’il aimait, dont il parlait, qu’il faisait parler dans ses écrits. Et ce n’est pas peu de le souligner, dans un contexte économique, un pays, où les moyens de nourrir son homme, sa famille, sont loin d’être aisés.
Il est de bon ton de rappeler le rituel de ce travailleur. Il était debout chaque jour à trois heures du matin pour véritablement composer ses phrases, rythmées, et créer une histoire truffée toujours de rires, de rebondissements. Plus tard dans la matinée, il faisait son petit tour Chez Baba, son bar favori. Il s’attablait, prenait son verre d’Ambilobe, écoutait, regardait, prenait des notes, celles dont il pouvait se servir le lendemain bien avant le chant du coq. Il se plaisait à capter des bribes de conversation, un riff de tsapiky, les variations de tons, les intonations. Il cherchait la couleur, le tempo et tentait de saisir la mentalité, l’esprit autant que possible de ces gens du sud de l’île. Par-delà les mots, entre les mots jetés sur la page dans un flux à nul autre pareil. Il avait une haute estime pour l’Imprévisible, une soif absolue pour toute situation déjantée. Ce qui le captivait c’était le climat, l’ambiance, l’atmosphère, une situation prise sur le vif. Il ne manquait pas de dire « On n’est auteur que grâce à la vie, aux autres, à ceux qui nous entourent. » Il n’est possible aujourd’hui de trouver langue plus actuelle sur le contexte qui est celui du sud malgache. À cheval sans doute, entre deux cultures sans doute. Je pourrais simplement dire qu’il avait su créer une langue bâtarde, digne de ce pays si métissé, sans s’assoir sur des vérités absolues ou des finalités mensongères.
J’ai eu la chance énorme de le rencontrer, l’écouter, le lire. Moi qui ai jeté mon dévolu sur Toliara, y résidant depuis près de trois ans à peine. Moi qui ai tout apprendre encore sur un terrain toujours déconcertant. Moi qui, rétif parfois, aux remontrances, aux sermons des « mieux expérimentés », étais probablement perçu par moments par lui comme un blanc-bec, un insolent. Il avait, certes, son autorité d’aîné, mais aussi des acquis, une longue vie déjà dans le pays, qui ne pouvait que me la boucler. Comme il était sain, en fin de compte, nous eûmes des accrocs, des engueulades, nous nous lançâmes des injures. Rien jamais n’était ruminé et, en finalité, après s’être séparés un jour bien fâchés, nous nous retrouvions le lendemain ou surlendemain en train de rire autour des verres de l’amitié. J’ai eu l’occasion, bien souvent, de repenser à ces propos, à ses visions qu’auparavant je ne pouvais entendre ou accepter.
Si Toliara est aujourd’hui la ville où je vis, c’est certes un peu grâce à son éditeur Pierre Maury, porteur d’eau de tous les liens, mais aussi grâce à lui. Moi, sans doute, parmi quelques autres. Sans Jean-Claude, il n’y eût point de Toliara plus longtemps, des Lalin, Patrice, Jacques, Bernard, Eric, Alain Jean Pierre ou Jean François, Moustou, Mamod, Baba, Riri ou Le Marin ou des farfelus, déboussolés, hauts en couleur, hors pistes, de tous les carrefours. Sans Jean-Claude, il n’y eût pour moi de souffle et d’avenir ici. Même si d’autres facteurs ont, certes, influé. Sans Jean-Claude, il n’y aurait pas eu mon amour du pays. Si le quotidien, ici, n’est pas du petit rhum toujours, il apporte aussi son lot de situations cocasses non négligeables. Pour moi, Toliara, c’est en somme du Mouyon de corps et d’esprit à chaque coin de rue.
En finalité, au-delà des frontières, bien au-delà des questions de terres et de cultures, des lopins qu’on n’est pas aptes à maîtriser, à comprendre, comme il le disait, cet homme reste pour moi un être doué d’un sens aigu de la réalité de l’instant. Bien au-delà de nos limites géographiques et idéologiques, il est et reste du pur bœuf ou du zébu de vraie vie, et l’Europe, la vieille, n’a qu’à bien se tenir ! Par-delà le foutre et la merde, et, bien au-delà de toute usure...
Ben Arès

December 25, 2011

Une page consacrée à Jean-Claude Mouyon

Dès lors que la Bibliothèque malgache est sortie de son premier champ d'activités, les ouvrages libres de droit, Jean-Claude Mouyon s'est trouvé au cœur de ce que j'ai appelé la Bibliothèque malgache contemporaine.
Les quatre romans dont je vous rappelais rapidement l'existence jeudi vont, à l'évidence, survivre à leur auteur. Il m'appartient de fournir au plus grand nombre possible de lecteurs le bonheur de les rencontrer.
J'ai donc ouvert une page spéciale du site de la Bibliothèque malgache, entièrement consacrée à l’œuvre de Jean-Claude Mouyon.
Vous trouverez là tous les liens susceptibles de vous faire découvrir ses livres, sous toutes leurs formes. En version papier, comme c'est le cas depuis le début et, c'est nouveau, en version EPub pour à peu près toutes les manières de lire sur écran.
Jusqu'au 31 janvier, Roman vrac est disponible gratuitement en livre électronique. Ensuite, il sera vendu, comme le sont déjà les trois autres romans de Jean-Claude, 4,99 €.
Et, puisque la nostalgie, contrairement à ce que disait Simone Signoret, est toujours ce qu'elle était, je republie ici une émouvante archive: l'affichette qui annonçait la présentation de Roman vrac il y a quatre ans, presque jour pour jour...



December 24, 2011

Hommages à Jean-Claude Mouyon

Décidément, tout le monde l'aimait, cet homme - et tout le monde avait bien raison.
Je reçois, de partout, des témoignages de celles et ceux qui l'ont connu, ou qui l'ont manqué. Aujourd'hui qu'il a été inhumé, j'aimerais vous faire partager quelques-unes de ces réactions.

Merci de me faire connaitre lui et ses œuvres. Surtout que je suis trop addicted du Sud de Mada. [...] Il est parti comme les abeilles en laissant de la douceur.
Rondro

Je viens d'en avaler la moitié d'une traite... [Il s'agit de Roman vrac.] Saisissant...
Jean-Marc

[A propos d'une vidéo partagée sur Facebook.] Très belle cette vidéo pierre, très touchante...
Laura

Monsieur de Malgachie, j'ai été faire un tour sur le blog. J'en ressors un peu triste. J'aurais vraiment aimé rencontrer Jean-Claude Mouyon :-(
Vahömbey

C'est un choc. Le personnel de la Médiathèque Ifm Madagascar se remémore avec émotion le Forum littéraire avec Jean-Claude le 8 mai de l'année dernière. Nous perdons non seulement une plume qui savait si bien parler de Madagascar, avec réalisme et sensibilité, mais aussi un homme d'une gentillesse extrême.
Médiathèque IFM Madagascar

J'ai beaucoup ri avec Roman vrac, également avec Beko, beaucoup appris ... Jean-Claude Mouyon va manquer à la littérature malgache d'expression française.
Johary

C'est bizarre, je parlais précisément de lui avec Mic hier. Et je lui disais combien je regrettais de ne pas l'avoir rencontré avant mon départ de Madagascar. C'est lui qui est parti maintenant. Je bois un verre à sa mémoire, et je pense bien fort à toi.
Alexis

J'en oublie certainement. Du moins sommes-nous tous réunis en pensant à Jean-Claude et à ses proches.
Il s'agit maintenant de lire ses livres. Je vous en reparle demain.

December 23, 2011

Une heure avec Jean-Claude Mouyon

Ceci n'est pas une véritable vidéo, mais le son d'un forum dont Jean-Claude Mouyon était l'invité, en mai 2010, au CCAC (actuellement IFM). Je réécoutais cela tout à l'heure et, même si certains d'entre vous l'ont déjà entendu, il me semble utile d'y revenir.


December 22, 2011

Jean-Claude Mouyon, mon héros, mon frère

D'apprendre, ce matin, la mort de Jean-Claude Mouyon, m'a donné un sacré coup de vieux. Un coup douloureux sur la tête, aussi. Je vais tenter, malgré tout, et sachant que je ne serai pas à la hauteur de son talent, de dire deux ou trois choses que je pense essentielles sur lui - l'homme et l'écrivain.
Quand je l'ai croisé pour la première fois, en 2001 ou 2002, c'était par hasard. Non, il n'y a pas de hasard. Il écrivait, je lisais - je ne savais pas encore que je monterais une maison d'édition -, il était assez naturel que nous ne soyons pas indifférents l'un à l'autre.
D'autant que j'avais eu l'occasion de me convaincre de son talent - en même temps que d'une propension certaine à le gâcher parfois, abandonnant un texte en cours de route alors qu'il était encore à l'état de brouillon. C'est dans cet état que j'avais lu pour la première fois Roman vrac, cette trilogie foutraque dont je me suis bien demandé alors ce qu'il allait pouvoir en tirer. Il y avait là de toute évidence un tempérament, et tout aussi évidemment un tempérament mal maîtrisé.

Puis, quand j'ai eu l'inconscience de me lancer (à Madagascar, faut-il être fou!) dans l'édition de livres papier, je me suis quand même, bien entendu, tourné vers Jean-Claude. Je me disais qu'il avait, entretemps, peut-être écrit autre chose. En effet. Mais, heureuse surprise, il avait aussi retravaillé Roman vrac, qui était devenu, mieux qu'un livre, un emblème. Quand, fin 2007, entre Noël et Nouvel An, lui et moi avons placardé un peu partout à Toliara des affichettes qui annonçaient la sortie du livre, je n'étais pas peu fier du slogan que j'avais imaginé - non parce qu'il était neuf, mais parce qu'il était vrai. "Le Sud comme vous ne l'avez jamais lu."
En effet. Il y a dans ces pages une manière d'envisager l'humain, et en particulier la part d'humain qu'il côtoyait, qui était la sienne, à mes yeux (de grand lecteur) totalement inédite. Jean-Claude était devenu précieux, non seulement pour moi mais aussi, comme j'allais le constater dans les endroits les plus improbables, pour tous ceux qui, découvrant sa trilogie romanesque, la feraient lire à leur tour, transmettant leur enthousiasme avec un coeur immense.
Jean-Claude n'était pas l'homme d'un seul livre. Il en avait écrit avant Roman vrac, il en écrirait dès lors d'autres. Depuis 2007, lui et moi, surtout lui bien sûr, n'avons pas cessé de travailler sur ses manuscrits. Mes séjours, une ou deux fois par an, à Toliara, n'avaient d'autre but que celui-là. Rectifier des fautes d'orthographe (il était fâché, une fois pour toutes, avec certains aspects de l'orthographe), redresser quelques phrases tout en gardant le savoureux déhanché de son écriture, son invention verbale, tout ce qui faisait, fait encore puisque ses livres sont là, un écrivain.

Il y a eu ensuite Beko ou La nuit du Grand Homme, un roman plus travaillé dans sa structure, dans lequel la voix des sahiry répondait à un récit plus classique, digne d'un polar contemporain - et du Sud, forcément du Sud. Il y fallait de la finesse. Jean-Claude la possédait à un degré qu'il ne montrait pas toujours, même si la lecture ne trompait pas. Il n'essayait pas de se faire passer pour un Malgache, il n'était pas le "décivilisé" (pour reprendre un mot de Charles Renel) que certains croyaient voir en lui. Il était le vazaha, avec ses antécédents et sa culture - immense, sa culture, car s'il ne lisait pas énormément, il assimilait ses lectures comme le fait un écrivain. Je me souviendrai toujours de nos conversations sur, par exemple, Antoine Blondin, qu'il me reprochait, en rigolant, d'avoir eu la chance de rencontrer (et d'avoir bu avec lui un ou deux coups de trop). Le vazaha, disais-je, mais acharné à comprendre le monde où il avait choisi d'être - et presque de mourir, mais cela, il ne le savait pas encore. Il en parlait parfois, cependant, comme Beko parle de la mort. Comme si c'était, pour les autres, toujours l'occasion d'une fête qui se superpose à la tristesse pour faire oublier celle-ci. On va la faire, Jean-Claude, la fête, on n'en sera pas moins triste pour autant!

Mais, pour gommer la tristesse, nous n'utiliserons pas que le rhum et la THB. Nous relirons Carrefour, ce moment inoubliable où un quartier de Toliara titube entre fête et folie à l'occasion de la rencontre entre un rastaman de renommée internationale et une campagne électorale comme il n'en existe que chez nous - non, bien entendu, il en existe ailleurs, d'aussi pittoresques et peu démocratiques, mais celle-ci nous appartient puisque Jean-Claude l'a racontée.
De tous ses livres publiés, il m'a semblé que c'était le plus abouti, le plus cohérent. J'ai cru, peut-être un peu naïvement, qu'il suffirait à imposer Jean-Claude auprès d'une grande maison d'édition française. Cet échevèlement si personnel devait marquer les esprits, trouver d'autres défenseurs que moi et se propager au-delà de nos rivages. Il s'en est fallu de peu, plusieurs fois. Mais chaque fois la décision a été négative. Excessif, Jean-Claude Mouyon? Probablement. D'un excès salutaire - sauf pour sa santé, bien sûr -, du genre qui balaie les clichés et remet les choses à leur place, c'est-à-dire cul par-dessus tête. Là où elles doivent être. Mieux: là où elles sont. Jean-Claude ne faisait pas de rangement (il fallait voir son bureau!), il racontait comment c'était, et tant pis si cela ne plaisait pas toujours.

Son dernier roman paru à la Bibliothèque malgache, L'Antoine, idiot du Sud, est, comme le premier, une trilogie. Je me flatte d'y faire une apparition - Pierrot, l'éditeur. Il y a aussi une voiture pourrie et des trous dans la rue du front de mer à Toliara, il y a des personnages hauts en couleurs (je ne parle pas de moi, là), il y a cet élan vital avec lequel Jean-Claude rencontrait les protagonistes de ses livres comme s'il leur tapait dessus jusqu'au moment où ils avoueraient même ce qu'ils n'avaient pas fait, parce que de toute manière la réalité dépasse la fiction et qu'elle est si invraisemblable qu'il vaut mieux en rester à la fiction.
Je crois que j'aimais Toliara avant de connaître Jean-Claude. Il y a quelque chose de tellement décalé dans cette ville qu'elle devait me plaire. Mais ses livres me l'ont fait découvrir encore d'une autre manière, ils m'ont fait rencontrer en chair et en os, autour de quelques verres, du genre que quand on aime on ne compte plus, ceux qui peuplaient ses pages. Ils les peuplaient si bien qu'ils en débordaient. Comme je déborde d'affection pour ce type à nul autre pareil, titubant certains jours sur ses jambes mais mieux campé sur le sol poussiéreux que personne.

Jean-Claude, mon héros, mon frère, je te déteste de nous avoir abandonnés. Mais je t'aimais et je t'aime. Et nous n'en avons pas fini, nous deux!