December 31, 2013

Il y a 100 ans : Lettre d’un broussard (2)

(Suite et fin.)
Il y a plus encore.
C’est aujourd’hui dimanche ; mes ouvriers sont on balade : j’ai donc le temps de vous exposer ma manière de voir, qui, du reste, est celle de tous les voisins avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler. Voici :
Quand M. Picquié est arrivé à Madagascar, il connaissait peu, ou imparfaitement du moins, la colonie et ses besoins. Puis il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il ne pouvait pas compter sur ses auxiliaires, du moins sur la plupart d’entre eux.
Alors, en administrateur avisé, consciencieux, vraiment à la hauteur de sa mission, il s’est mis à étudier le pays afin de se rendre compte par lui-même de ses besoins. Cela, on n’est pas venu nous le conter ; nous l’avons vu nous-même à l’œuvre de nos propres yeux.
Et c’est au moment où il vient d’acquérir cette expérience qui lui manquait, au moment où il connaît, en détail, les besoins de la Colonie et ses ressources, qu’il a étudié minutieusement les moyens de donner satisfaction à ces besoins en mettant ces ressources à profit, au moment, par conséquent, où il est le plus apte à rentre des services à notre colonie, c’est à ce moment-là, dis-je, qu’on l’éloignerait de Madagascar ?
Oh non !… ce serait un défi au bon sens et il y a lieu de croire, plus que jamais, que ce dernier règne encore en terre de France.
Que M. Picquié aille prendre quelques mois d’un repos bien gagné, rien de plus naturel et de plus légitime.
Mais qu’il nous abandonne ou qu’on le remplace au moment où il peut nous être plus utile, c’est ce que nous, colons, nous ne pouvons comprendre. Le gouvernement libéral que la France s’est enfin donné, n’y prêtera pas la main, dussent tous les blocards en crever de dépit.
M. Picquié doit à la Colonie, et se doit à lui-même de compléter son œuvre. C’est un droit et un devoir pour lui.
Du reste, rien de plus désastreux pour la bonne marche d’une colonie que ces à-coups, ces changements fréquents dans sa direction. À tout propos on nous cite les Anglais comme colonisateurs modèles. Mais eux ont soin de laisser quinze et vingt ans le même gouverneur à la tête d’une même colonie ; ils sont logiques. Qu’on les imite au moins en cela !
Excusez mon bavardage et cordialement à vous.
B.

Le Tamatave

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December 30, 2013

Il y a 100 ans : Lettre d’un broussard (1)

Ankorabé, 16 novembre 1913.
Cher Monsieur,
Le respect s’en va !… C’est ce que dit un journal qui m’est arrivé avec pas mal de retard, car la poste, dans la brousse, ne va ni vite ni régulièrement, quand on ne va pas soi-même chercher son courrier.
Et oui !… le respect s’en va !… Nous en savons quelque chose, nous pauvres planteurs que les ouvriers que nous employons traitent de la façon la plus cavalière et souvent la plus insultante. Ils travaillent quand ils veulent, et, il n’y a pas de contrat qui tienne, ils s’en vont quand ils veulent.
Le conseil d’arbitrage, me direz-vous ? Ah ! l’excellente blague, bonne tout au plus à perdre notre temps et notre argent, ainsi qu’à mettre en fuite les ouvriers qui restent, lesquels ont soin de nous planter là, juste au moment où la récolte a le plus besoin d’eux. Il n’y a qu’un moyen, si vous ne voulez pas être ruiné, celui de courber la tête et de ne rien dire.
Mais aussi, si le respect s’en va, à qui la faute ? L’exemple, ou plutôt la leçon, vient de haut, et les Malgaches qui sont de fins observateurs, comme tous les peuples primitifs, s’appliquent à nous imiter dans le bon comme dans le mauvais, et plus facilement dans le mauvais, cela va de soi.
Ceux qui viennent de la ville leur commentent, en les exagérant, ce que disent les gazettes, et je ne saurais vous dire à quel point certains d’entre eux sont contents de voir les insultes que certaine presse, qui se prétend française, déverse tous les jours sur ce qui, dans ce pays éloigné, conquis d’hier, a le droit à tous les respects et à la plus complète soumission, c’est-à-dire au principe même d’autorité qui représente ici la souveraineté française.
Et c’est nous, colons perdus dans la brousse qui en supportons le contrecoup, car, aux yeux de ces primitifs, nous faisons partie, comme Français, de ce principe d’autorité qu’ils voient, avec une satisfaction qui se comprend, bafoué et foulé aux pieds.
Enfin, à quoi veut-on en venir avec ces attaques immondes contre notre gouverneur général qui, ici, personnifie la France ? Que lui reproche-t-on ? Quel est le grief relevé contre lui ?
Le Tamatave
(À suivre.)

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December 28, 2013

Il y a 100 ans : Comme on écrit l’Histoire (2)

(Suite et fin.)
Vieillard débile et impotent !… Mais alors que direz-vous des hommes éminents qui président aux destinées mêmes de la France, autrement importantes, ce semble, que celles de Madagascar ? Vous oubliez l’âge des Combes, des Clemenceau, des Étienne, des Fallières, des Loubet et tant d’autres, tous plus âgés que lui. M. Poincaré lui-même, qui passe pour un jeune, arrive à l’âge de M. Picquié. Selon votre manière de voir, il faudrait, – ce sont des vieillards, – fendre l’oreille à toutes ces éminentes personnalités ?… Ce serait du propre !…
Incapable de remplir la lourde tâche qui lui incombe…
Par hasard, est-ce nous habitants de Tamatave, qui avons à nous plaindre de la gestion de M. Picquié ?
Entre bien d’autres choses, n’est-ce pas à lui que nous devrons la construction du port, dont M. Augagneur – qu’on élogie maintenant qu’il n’y est plus, – n’avait pas osé entreprendre même l’étude ?
L’opinion réclame une mesure rigoureuse et immédiate… Elle est bien pressée cette opinion !… Au fait !… C’est la même sans doute qui vous avait forcé à pousser, d’une façon si opportune et si patriotique, en mars dernier, ce cri fameux : Pas de fêtes pour M. Picquié ?…
Et dans une population aussi importante que celle de Tamatave, cette opinion était composée de… quatre personnalités, que les mauvais plaisants félicitent encore de leur… intrépidité ! À parier, cher et éminent confrère, qu’aujourd’hui, l’opinion que vous invoquez ne réunit même pas cette majorité des quatre personnalités dont s’agit !…
Avouez que vous n’êtes pas heureux dans votre campagne contre M. Picquié. Il vous est impossible – et je vous mets au défi – de préciser un fait, un seul, de mauvaise gestion que vous puissiez relever contre lui, et donner en pâture à la curiosité maligne de vos lecteurs.
Et alors ? Alors cette impossibilité où vous êtes fait l’éloge de son administration, et il ne peut que vous remercier pour votre attitude… qui ne cause de préjudice… qu’à vous seul !
Pour le surplus, Le Tamatave s’associe sans restriction aux idées exprimées par un Broussard dans la lettre que nous publions plus loin.

Le Tamatave

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December 23, 2013

Il y a 100 ans : Comme on écrit l’Histoire (1)

Basile a laissé de nombreux successeurs qui sont venus croître et multiplier jusque dans Madagascar.
Que nos lecteurs en jugent :
Jaloux des lauriers conquis par feu le Progrès de Madagascar dans l’art de… dire juste le contraire de la vérité, notre éminent confrère de la rue Nationale, à défaut de la copie qui ne lui vient plus de Tananarive, se fait l’écho d’une diatribe qu’un compétiteur malpropre ou un mécontent évincé a expectoré le long des colonnes des Annales Coloniales.
Encore, jusqu’à un certain point, ces dernières sont excusables, car à la distance où elles se trouvent de Madagascar, elles ont pu, de bonne foi, être induites en erreur par un correspondant malhonnête et mal intentionné, dont elles ne peuvent facilement contrôler les allégations.
Mais ici, à Madagascar, où nous avons sous les yeux, au grand jour, tant la personne que les faits et gestes de M. Picquié, ces allégations n’ont pas d’excuse, et ne s’expliquent que par une inconcevable autant qu’insigne mauvaise foi !… À moins que ce ne soit par rancune pour quelque… faveur ou emploi que le Gouverneur Général se serait vu dans l’obligation de refuser !…
Mais nous parler de décrépitude physique et morale, à nous, les colons de Madagascar et principalement de Tamatave, qui, de nos propres yeux, avons pu, et pouvons tous les jours, constater combien cette allégation est fausse, pour qui nous fait-on l’injure de nous prendre ?
Vieillard débile et impotent, ce gouverneur qui dans une tournée d’inspection à travers une région immense, chaotique, presque déserte, et encore incomplètement soumise, vient de passer quarante-cinq jours en filanzana, sans qu’on ait constaté chez lui aucune marque de fatigue ? Serait-ce, par hasard, à l’administration du Journal de Madagascar qu’on aurait pu se permettre un pareil tour de force ? On y oublie qu’il sied mal de parler de corde dans la maison d’un pendu. Ou bien exige-t-on, comme gouverneur, un hercule de la foire aux pains d’épices ?
(À suivre.)

Le Tamatave

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December 22, 2013

Il y a 100 ans : Diégo-Suarez réclame toujours des travailleurs

La question de la main-d’œuvre continue à être l’objet des doléances des colons de Diégo-Suarez.
Ils insistent sur la nécessité de lui assurer la stabilité nécessaire en donnant à l’indigène un livret semblable à celui qui existait autrefois dans la métropole pour les ouvriers et sur lequel, outre les renseignements déjà en usage, seraient apposées la photographie et l’empreinte du pouce du titulaire.
L’insuffisance de la main-d’œuvre dans cette région est telle que le chef du service des Travaux publics a dû demander pour son service deux cents Antaimoros de la province de Farafangana.
La Chambre Consultative a également émis le vœu que l’administration fasse venir de la même province les bourjanes nécessaires aux administrations. L’excédent serait mis à la disposition des particuliers qui en manquent toujours.
Malheureusement, les hautes sphères administratives n’ont pas l’air de s’émouvoir de cette situation et aucune solution favorable n’intervient.
C’est d’autant plus fâcheux que la province de Diégo-Suarez ne prend pas, faute de bras, l’essor économique qu’elle devrait avoir.
Enfin, ajoute notre correspondant, si on se décide à nous envoyer des travailleurs de Farafangana, qu’on les embarque à bord du paquebot. Ils pourront ainsi arriver en quelques jours, tandis qu’ils mettront au moins deux mois pour faire le trajet à pied !

Les gisements de nickel à Madagascar

Une nouvelle exploitation semble devoir prendre une grande importance dans la Grande Île, c’est celle du nickel.
Jusqu’ici, la Nouvelle-Calédonie a tenu le record de la production de ce minerai.
Or, un gisement de garniérite, très important, reconnu par une société anglaise, près d’Ambositra, aurait une teneur moyenne de 1 % de nickel.
Ce gisement, qui peut être desservi par Mananjary, est situé sur les hauts plateaux à proximité de la forêt de l’est, près d’une chute d’eau pouvant fournir une force motrice importante.
Le fret de descente jusqu’au port serait de 55 francs la tonne, auquel il conviendrait d’ajouter 12 francs pour frais d’embarquement. Le transport jusqu’à Marseille ou au Havre coûterait de 40 à 60 francs.

Le Courrier colonial

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December 19, 2013

Il y a 100 ans : Le Musée de Tananarive s’enrichit

Grâce à l’arrêté qu’a pris récemment M. Picquié, interdisant la sortie de la Grande Île de tout objet ancien, Tananarive pourra posséder un musée complet d’ethnographie malgache.
Ce qui s’est produit pour la capitale du Dahomey ne se produira donc pas pour Tananarive et nous n’aurons pas à aller à Londres, Berlin ou Bâle pour admirer les richesses artistiques de notre colonie.
Aucun édifice n’était mieux approprié pour recevoir ce musée que l’ancien palais de la reine, bâti par un Français et restauré quand M. Picquié arriva dans la colonie. Le Musée ethnographique y est réellement à sa place.
La collection des lambas forme sa plus grande richesse. Et l’industrie dentellière malgache pourra y trouver ses motifs dans ces étoffes de soir versicolores, animées de fleurs à l’indienne, ornées de motifs géométriques à l’arabe. On sait que les riches Hovas se drapaient dans ces étoffes et que les lambas funéraires, souvent alourdis de pièces d’argent, n’étaient pas les moins luxueux.
On admire également dans ce musée de très curieuses fresques peintes au dix-neuvième siècle par les Malgaches, et bientôt on y verra à côté de ces peintures primitives, les toiles recueillies par M. Dumoulin qui doivent aller augmenter la richesse de ce musée.
Le Courrier colonial

Tribunal correctionnel

Dans son audience du 18 novembre, le Tribunal correctionnel et de simple police de Tamatave a prononcé les condamnations suivantes :
François Thomas, défrichement par le feu de terrains domaniaux, 5 francs d’amende.
Fontaine Louis Eugène, ivresse, 5 fr. d’amende.
Kiba, infraction à l’arrêté municipal du 6 janvier 1910 interdisant de faire paître des animaux sur le territoire de la Commune de Tamatave, 5 fr. d’amende. – M. C. B., son employeur, est civilement responsable.
Madame Veuve L. E., A. A., V. et V. C., même motif et même condamnation.
L. A., violences et voies de faits, un mois de prison par défaut.
Prémont Charles, ivresse et outrages envers un agent de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, un mois de prison par défaut.
T. N., violences et voies de fait, 15 jours de prison avec sursis.

Le Tamatave

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December 17, 2013

Il y a 100 ans : Les communications entre Tananarive et Majunga (3)

(Suite et fin.)
Les nombreux partisans de la voie fluviale disent : il n’y a pas plus de 70 à 80 kilomètres d’Ambato au confluent actuel de la Betsiboka avec l’Ikopa au sud de Marololo. Pour rendre cette partie navigable en toute saison, il suffirait d’un dragage continuel ou de l’établissement, de distance en distance, de barrages biais, autour desquels les sables amoncelés renforceraient les berges et obligeraient le fleuve à rester dans son lit, à creuser lui-même son chenal.
Nous ne sommes pas assez documenté pour apporter ici les mêmes précisions de prix que pour la route, mais tout le monde est d’accord pour dire que même la construction d’un canal latéral serait moins onéreuse que celle d’une route d’Ambato à Maevatanana.
En résumé, j’estime que le budget local ferait une sérieuse économie en préférant à la route projetée de Maevatanana à Ambato, la voie fluviale actuelle, améliorée et complétée. Le premier de ces deux projets est non seulement inutile, il est encore désastreux, car son exécution aurait pour résultat de laisser à l’abandon une excellente voie naturelle pour en construire une de toutes pièces, qui ne représenterait pour les transporteurs ni économie de temps ni économie d’argent.
Évidemment, ce ne serait pas la première fois que pareil fait se produirait à Madagascar. Les officiers du génie qui ont établi la voie ferrée de Tananarive à Brickaville, semblent bien avoir cherché les obstacles pour avoir le mérite d’en triompher. Ils ont ainsi prodigué des millions dont l’emploi n’aurait pas été difficile à trouver ailleurs. Mais le temps où l’on pouvait dépenser sans compter est passé, M. Francis Mury le disait ici même mardi dernier. La métropole refuse à Madagascar l’autorisation de contracter un emprunt pour exécuter des travaux d’utilité publique d’une importance indiscutable. Il faut donc écarter les projets coûteux pour adopter ceux qui ne nécessitent pas des dépenses trop élevées.
Si les raisons en faveur de l’amélioration du cours de la Betsiboka ne paraissent pas à tous suffisantes pour faire pencher la balance au profit de ce projet, l’économie qu’il représente devrait lui rallier tous les colons de la côte Ouest de la Grande Île.
Jean Payraud.

Le Courrier colonial

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December 16, 2013

Il y a 100 ans : Les communications entre Tananarive et Majunga (2)

(Suite.)
Lorsque la route sera établie entre ce dernier point et Ambato, le prix s’élèvera à 105 francs, ainsi qu’il est facile de le prouver.
De Majunga à Ambato les frais de transport resteront les mêmes, soit 15 francs la tonne. La route d’Ambato à Maevatanana par Ambala-Zanakaomby aura une longueur d’au moins 180 kilomètres. Or, les transports par les moyens actuels, c’est-à-dire par les charrettes à bœufs, reviennent à 50 centimes le kilomètre, soit 90 francs, et 90 et 15 font bien, à Madagascar, 105 francs.
Il n’y aurait donc pas économie, mais bien perte d’argent. Celle-ci serait-elle compensée par une économie de temps ? Pas davantage. Les marchandises qui empruntent aujourd’hui la voie fluviale mettent cinq à six jours pour effectuer le trajet entre Majunga-Maevatanana. Elles en mettront douze à quinze pour faire le voyage par terre. Voilà les résultats… à l’envers que nous obtiendrons, et cela au prix de quels sacrifices ?
Car cette route n’a même pas l’excuse d’être réalisable à peu de frais. Son établissement serait beaucoup plus coûteux que la mise en état de navigabilité de la Betsiboka tout au moins jusqu’à Marololo. En effet, elle nécessiterait notamment sur la Betsiboka la construction d’un pont de quelques centaines de mètres dont le prix de revient dépasserait 2 millions.
Ce chiffre n’est aucunement exagéré, attendu que les assises des piles devraient être établies à 7 ou 8 mètres de profondeur, et avoir semblable hauteur au-dessus de l’étiage. De plus, il faudrait faire un tablier assez large pour recevoir, à plus ou moins lointaine échéance, une voie ferrée, fût-ce un simple Decauville. On ne comprendrait pas, en effet, un pont qui devrait être repris entièrement dès que la vie économique acquerrait une plus grande activité.
On peut estimer, d’autre part, que l’établissement, sur 180 kilomètres, d’une chaussée susceptible de résister aux pluies diluviennes qui s’abattent sur la région, exigerait également plusieurs millions.
Ainsi donc, nous arrivons à une dépense totale que les personnalités compétentes estiment devoir atteindre sept à huit millions.
(À suivre.)
Le Courrier colonial

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December 15, 2013

Il y a 100 ans : Les communications entre Tananarive et Majunga (1)

Si aujourd’hui les communications entre Tananarive et la côte Est s’effectuent avec une très grande rapidité, il est loin d’en être de même entre Tananarive et la côte Ouest.
Les colons de Majunga se plaignent à bon droit d’être fort mal reliés au chef-lieu de la colonie. Le service automobile qui existe entre Tananarive et Maevatanana a été considérablement réduit et, d’autre part, les relations entre ce dernier point et Majunga sont, comme le disait récemment le Courrier colonial, d’une extrême lenteur.
Aussi, nos compatriotes de la côte Ouest en réclament-ils avec instance l’amélioration, sans être toutefois bien d’accord sur les moyens qui permettront de leur donner satisfaction.
Quelques-uns sont partisans de la création d’une route allant de Marololo à Ambalanja-Komby et de là au Kamoro. Mais beaucoup estiment, nous écrit un colon de Madagascar, M. Guignabert, que c’est l’achèvement de la route Maevatanana-Marololo qui s’impose tout d’abord, en dépit des difficultés qui se sont considérablement accrues depuis que le cours de la Betsiboka s’est modifié.
En même temps, une mission hydrographique pourrait étudier l’établissement d’un chenal rendant la navigation possible en toute saison d’Ambato à Marololo, et, une fois la rivière navigable, il serait aisé d’effectuer les transports dans des conditions particulièrement économiques entre ce dernier point et Ambalanja-Komby.
Autrement dit, les colons de la côte Ouest ont-ils intérêt à voir améliorer et compléter la voie fluviale actuelle, ou doivent-ils demander la création d’une voie terrestre ?
Quand il s’agit de problèmes de ce genre les préférences doivent aller, bien entendu, à la voie qui permet de réaliser à la fois des économies de temps et d’argent.
Or, la route à construire assurerait-elle pour les transports une économie sur la voie fluviale ? Aucunement.
À l’heure actuelle, de Majunga à Maevatanana le coût de la tonne est de 45 francs.
(À suivre.)

Le Courrier colonial

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December 14, 2013

Il y a 100 ans : Chercheurs d’or à Madagascar

Accompagné d’un commandeur et porté sur un filanzane par ses bourjanes, le prospecteur se rend sur le Zoma (marché). Là, il engage tous les indigènes consentant à le suivre, pour chercher de l’or qu’il leur achètera de 2 à 2 fr. 30 le gramme suivant la concurrence.
Les Malgaches aiment les kabary, l’argent, la bonne chère. En foule, ils accourent et le commandeur les enrôle.
Le prospecteur a vite ainsi à sa disposition les travailleurs nécessaires, dont un tiers de femmes. Il les organise par groupes de trois : un piocheur, un pelleteur, une laveuse. Et la fouille commence sous la surveillance du commandeur.
Munis d’un permis de recherche et guidés par un indigène ayant promesse de récompense, les chercheurs d’or plantent un piquet dans un terrain propice. Ce piquet portant leur nom très apparent est le centre d’une circonférence de 3 kilomètres de diamètre.
Avant de se décider à planter des piquets il faut bien s’assurer de la qualité des terrains. Les indigènes, pour toucher une récompense, emploient tous les moyens possibles pour tromper l’Européen. Ils « fusillent la mine », c’est-à-dire tirent, sur un point choisi, un coup de fusil après avoir glissé au préalable de la poudre d’or dans le canon ou encore, ils la « fument » sous votre nez, en laissant choir de la poudre d’or de leur cigarette allumée et truquée…
Ici, point d’amalgame, le simple lavage à la battée laissant perdre la moitié de l’or, dont on abandonne encore une si grande quantité sur les terrains fouillés à la hâte, que deux ans après, quand les pluies ont renivelé le sol, il paraît tout aussi riche qu’auparavant.
Le Malgache étant payé au jour le jour, suivant l’or qu’il rapporte et que le prospecteur lui achète après l’avoir pesé, il a intérêt à sauter d’un point à un autre, quand le premier ne renferme pas suffisamment de métal précieux.
Certains travailleurs se font des journées splendides quand ils tombent sur des poches d’or. Dans la région de Diégo-Suarez, on a vu ainsi des Antaimoros découvrir de véritables fortunes. Mais ce sont là d’heureux accidents. Ceux qui ont la chance de tomber sur de pareils nids sont presque aussi rares que ceux qui gagnent le gros lot à la loterie.
L. C.

Le Courrier colonial

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December 13, 2013

Il y a 100 ans : Géographie et géologie de l’Ouest de Madagascar

Au cours de sa mission géodésique en 1911, le capitaine Carrier[1] a parcouru la région située entre Tananarive et Majunga, suivant une bande large de 70 kilomètres et transversale par rapport aux zones géologiques de l’île ; il a pu ainsi étudier les caractères des zones cristallines et sédimentaires qu’il a traversées successivement.
Il en décrit avec soin la topographie et montre que le phénomène qui domine dans l’exploration de la région qu’il a étudiée, est l’existence de plateaux granito-gneissiques horizontaux, séparés par de profondes vallées. Il pense qu’il a existé une période où tous ces plateaux étaient réunis en un seul plateau horizontal que ne dominait aucune saillie et ne troublait aucune ride ; en réalité ce plateau originel n’était pas rigoureusement horizontal et possédait une très faible pente dirigée vers le Nord-Ouest ; ce sont les restes d’une ancienne pénéplaine profondément rongée par le cycle d’érosion actuel. Deux volcans, le Tsitondroira et le Namakia s’élèvent à environ 100 mètres au-dessus de ce substratum cristallin.
Le capitaine Carrier a étudié plus rapidement la région cristallophyllienne et la région sédimentaire ; en ce qui concerne cette dernière, il pense que l’on a fait jouer à l’érosion un rôle trop grand pour expliquer les escarpements successifs qui constituent le pays et il pense que les failles peuvent avoir joué un certain rôle dans la formation de ces gradins ; il fait remarquer que les nombreuses traces de volcaniques dans une région de tectonique aussi simple apportent un appui sérieux à cette hypothèse.
P. L.

Découvertes de gisements de phosphates

On vient de signaler dans la province de Maevatanana la présence de gisements de phosphate. Différents échantillons provenant de cette région ont été envoyés au laboratoire de chimie de Tananarive. L’analyse qui en a été faite a accusé des teneurs variant entre 43 et 50 % de phosphate de chaux tribasique.
La Quinzaine coloniale



[1] Capitaine Carrier. Une mission géodésique à Madagascar. La Géographie XXVIII, 15 juillet 1913, pp. 1-27.

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December 12, 2013

Il y a 100 ans : Il faut des ports et un réseau routier à Madagascar

Du cap d’Ambre à Sainte-Marie, nous ne trouvons que quatre ports actuellement accessibles aux paquebots : Nossi-Bé, Analalava, Majunga et Tuléar.
Les bateaux des Messageries maritimes s’arrêtent quelquefois à Maintirano, Morondava et Ambohibe, mais il est à peine besoin de dire qu’ils mouillent au large, en rade foraine, et que les communications avec la terre, difficiles par beau temps, deviennent impossibles par mer houleuse.
Nossi-Bé est situé à plus de 36 kilomètres de la Grande Terre, c’est dire que les produits d’exportation de ou pour Madagascar sont grevés de frais supplémentaires de transport et nécessitent une organisation spéciale et coûteuse pour les colons.
D’autre part, les zones desservies économiquement par Nossi-Bé ne sont pas encore dotées de communications vers l’intérieur.
Il en est de même pour Analalava. Le port est suffisant, mais il n’existe aucune route de pénétration économique. Si nous longeons la côte entre Majunga et Tuléar, nous voyons qu’il n’existe pas de port digne de ce nom, ce qui met la riche province de Morondava dans une situation d’infériorité notoire.
La province de Tuléar est plus avantagée ; en dehors de son port, qui peut être facilement amélioré, elle possède quelques voies de pénétration vers l’intérieur du pays.
À première vue, il peut apparaître que la côte Est est privilégiée au point de vue maritime.
Il faut cependant constater que d’Andevorante à Fort-Dauphin les ports signalés sont beaucoup plus des rades foraines que des ports.
Toutes les opérations commerciales y sont difficiles, sinon impossibles, par gros temps. Mais la nature a corrigé par ailleurs ce qu’elle offrait là de défectueux. Il existe, en effet, disposés tout le long de la côte, une série de lagunes, de lacs intérieurs qui, reliés les uns aux autres, formeront une voie navigable parallèle à la mer.
La substitution de cette sorte de voie de communication fluviale à la voie maritime fera disparaître toutes les difficultés actuelles. Mais il faudrait, en même temps, constituer le réseau routier de pénétration, qui n’est encore qu’à l’état d’embryon, dans toue la région Est, en dehors de certaines grandes voies.

Le Courrier colonial

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December 11, 2013

Il y a 100 ans : Le jeu, les femmes et le vin

Cette trilogie pourrait servir de titre à la lamentable histoire de ce faux-col dévoyé qui vient d’élire domicile à la villa des Eucalyptus.
Intelligent, instruit, voulant en toutes choses imiter ceux qui passent pour civilisés, il a cru sans doute que le « chic » suprême de la civilisation était de se livrer au jeu, d’entretenir des femmes et de cultiver la dive bouteille, comme malheureusement il a pu le voir pratiqué par plus d’un de nos élégants fonctionnaires et employés.
Par malheur, ses modestes appointements n’étaient pas à la hauteur de son idéal, et pour y suppléer il n’a trouvé rien de mieux que de faire des faux au préjudice de la Compagnie qui l’employait, et dont le montant dépasse 1 800 fr.
Mais tant va la cruche à l’eau…
Pris sur le fait, voilà comment notre faux-col a trouvé logement à la villa des Eucalyptus !…
Avis à ceux qui voudraient l’imiter.
Que cet exemple leur serve d’apologue !…
Le Tamatave

Le service des Travaux publics à Madagascar

Il est impossible de parler du service des Travaux publics de Madagascar sans être amené par la force des choses à en faire une critique plus ou moins vive.
Notre confrère de la Dépêche coloniale consacrait récemment à ce service un long article conçu et écrit d’une façon très modérée, avec un véritable sens critique.
C’est une démolition en règle.
Notre confrère préconise un recrutement du personnel dans les fonctionnaires des ponts et chaussées de la métropole, la suppression des services régionaux qu’il estime mal adaptés aux besoins.
Enfin, il demande la constitution de brigades d’études, chargées de la préparation des plans et devis dont l’exécution aura été décidée par l’autorité supérieure.
Et il ajoute que le service des Travaux publics ainsi réorganisé et amélioré constituerait une branche de l’administration générale, mieux adaptée aux besoins actuels, plus souple et permettant de donner satisfaction aux besoins économiques qui justifient son existence.

Le Courrier colonial

Madagascar il y a 100 ans - Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
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December 10, 2013

Il y a 100 ans : Le cheval et le mulet à Madagascar

Le cheval tend à remplacer de plus en plus le filanzane à Madagascar, du moins dans les services administratifs, et c’est là une initiative qu’on ne saurait trop encourager.
L’administrateur, par la rapidité de ses déplacements, réalisera une notable économie de temps, qui lui permettra d’en consacrer davantage à l’examen des affaires. Il échappera, de plus, à la paresse et au mauvais vouloir des bourjanes, qui vont même parfois jusqu’à l’abandonner en route malgré les miliciens dont il est entouré.
La Colonie, de son côté, réalisera une sensible économie sur les frais de transport : le coût de l’entretien d’un ou deux chevaux, y compris l’assurance contre la mortalité, restant bien inférieur à la rémunération d’une équipe de porteurs.
Les colons trouveront d’abord un sérieux appoint de main-d’œuvre dans les bourjanes sans situation. Le métier d’ouvrier agricole sera le premier à leur portée.
Les colons pourront d’autre part entreprendre l’élevage des chevaux, certains qu’ils seront d’en trouver le débouché, soit auprès de l’administration, soit auprès des particuliers qui adopteront ce moyen rapide de déplacement.
Au début, le seul obstacle à l’emploi du cheval sera la question du ferrage, qu’ignore l’indigène.
Mais il sera facile d’envoyer un milicien de chaque chef-lieu de district passer quelques jours à l’atelier de forges de l’artillerie, à Soaneriana, pour apprendre la maréchalerie.
De retour à son poste, non seulement il ferrera les chevaux de l’administrateur, mais il pourra former des maréchaux-ferrants pour les particuliers.
À côté de la question de l’emploi du cheval dans l’île, se place celle de l’utilisation du mulet.
Les deux animaux ne feront pas double emploi, car chacun a son utilité différente.
Le cheval est un animal de luxe dont l’emploi est tout indiqué pour les transports rapides des personnes.
L’emploi du mulet devient au contraire plus avantageux pour le transport des marchandises.
Il y aurait donc intérêt pour la colonisation, à introduire à Madagascar une bonne race d’ânes, par exemple, celle de Kabylie : leur croisement avec les chevaux déjà existant dans l’île, donnerait certainement d’excellents produits.

Le Courrier colonial

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December 9, 2013

La Trinité coloniale de l’Océan Indien (3)

(Suite et fin.)
Elles attendent de la grande sœur la nourriture quotidienne, et leurs exigences ne vont pas sans quelques heurts économiques, notamment en ce qui concerne le riz. Mais ce n’est là qu’affaire de temps et nous sommes certain que Madagascar pourra et devra être le grenier de Bourbon et de Maurice.
Quel meilleur moyen de resserrer les liens de parenté, d’affirmer les affinités communes ?
Bourbon, cependant, n’est pas sans relations commerciales avec Maurice, puisque cette île lui demande plus de la moitié du tabac qu’elle fume. C’est un demi-million qui passe chaque année d’une île à l’autre. C’est peu, d’autant qu’il s’agit d’un article unique que Maurice peu produire d’un jour à l’autre.
Mais il ne faut pas trop s’en étonner.
Bourbon et Maurice sont deux îles productrices de sucre et la seconde n’a même, il faut l’avouer, que cette corde à son arc. Il lui est difficile de vendre à sa voisine ce que celle-ci possède ou produit à aussi bon compte. Mais de même que Bourbon a dû chercher dans la vanille, les parfums et les autres cultures riches des sources nouvelles de revenus permettant de parer à une crise sucrière, de même Maurice devra rompre avec une dangereuse monoculture.
Dans un avenir prochain, diverses branches d’industrie ou de commerce naîtront à Maurice, qui pourront trouver des clients à Bourbon.
Mais, de toute façon, dans cette trinité économique que doivent former les trois… grâces de l’Océan Indien, c’est Madagascar qui constituera le lien nécessaire. C’est la grande sœur qui couvrira les deux autres de sa protection.
Jacques Cézembre.
Le Courrier colonial

Avis

Le Gouvernement Général a créé un cours gratuit de dessin et peinture qui sera dirigé par M. Supparo, artiste peintre, titulaire du prix de Madagascar.
M. Supparo recevra au palais de la reine, le 10 novembre prochain, à 10 heures du matin, les personnes désireuses de suivre ce cours.
Il est recommandé à ces personnes, qui devront déjà avoir quelques connaissances en dessin et en peinture, d’apporter avec elles quelques-unes de leurs études.

Journal officiel de Madagascar et Dépendances

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December 8, 2013

Ben Arès dans la transe du « Tromba »

Le quatorzième livre de Ben Arès, écrivain installé à Toliara, est un roman à l’inspiration très malgache, même si Tromba est publié en Belgique, son pays d’origine. Poète, Ben Arès bouscule le récit traditionnel en lui insufflant la force d’une écriture personnelle. Entretien publié il y a deux jours dans Les Nouvelles.


Tromba est un livre sur lequel vous travaillez depuis longtemps ?
Oui, quatre ans.
Il s’est construit un peu à la fois ?
Exactement. C’est un peu lié au contenu. La première partie a été écrite assez vite mais retravaillée par la suite. Il fallait vivre des choses pour continuer. En même temps, je voulais conserver la fraîcheur du premier regard, si je puis m’exprimer ainsi, même quand je retravaillais. Donc, il s’est construit progressivement.
D’une certaine manière, ce livre est-il le reflet de votre propre évolution par rapport à Madagascar ?
Peut-être peut-on le dire ainsi. Il fallait prendre le temps de découvrir, il y a des choses que je ne voulais pas avancer sans les constater, les ressentir, les vivre…
Découvrir et accepter de ne pas tout savoir ?
Voilà, ça aussi. Parce qu’en effet il y a des choses qui restent en suspens, il n’y a pas une réponse à tout. Ce pays, comme je le perçois depuis quatre ans, est un peu comme une anguille qu’on saisit et qui s’échappe.
Le titre du livre, Tromba, n’apparaît dans le texte que tout à la fin du roman et s’explique dans la postface. Pourquoi Tromba ? Parce que c’est une transe, comme le dit aussi le titre ?
La transe, c’est une traduction qu’on peut donner de tromba, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’est le processus d’écriture qui est une possession en soi, le sens principal du tromba, dans la mesure où on peut s’approprier les personnages et être en même temps possédé par eux. Il y a aussi une expérience personnelle, un dialogue avec cet enfant disparu et présent, qui draine tout le livre.
Surtout dans la première partie ?
Oui, dans la deuxième partie il ne transparaît pas de manière claire mais, quelque part, c’est toujours là aussi.
La deuxième partie est constituée de sept voix de femmes différentes, alors que la première partie est portée par la voix unique d’un narrateur qui vous ressemble beaucoup. Pourquoi ?
Dans la deuxième partie, le personnage masculin n’est plus vraiment là. Ou plutôt, il n’est présent que de manière sous-jacente, en tant qu’observateur.
Le point de départ, le projet de base, c’était la première partie ?
Essentiellement, oui. Ce qui m’a fait basculer, et qui est venu de manière instinctive, c’est que je suis tombé, d’une certaine façon, sur un cul-de-sac. Il s’est produit un déplacement qui se traduit par les différences entre les deux parties principales. C’est peut-être déroutant, même s’il y a un texte charnière qui permet de faire le lien. Je devais abandonner le regard que j’avais avec ma propre culture. Et puis, écrire, c’est aussi communiquer. Pas seulement une expérience personnelle mais aussi traduire ce que quelqu’un d’autre pourrait vivre.
Y a-t-il, à travers ce livre, l’ambition de parler de Madagascar sur un registre différent de ce qui se dit habituellement ?
Je n’en sais rien. J’ai exprimé les choses comme je les ressentais, avec intensité mais sur une longue durée.
L’écriture, dense et poétique, pleine de ruptures de rythme, est-elle là pour traduire cette intensité ?
Le rythme est toujours présent dans mon écriture, avec des allitérations, des assonances, il se traduit aussi dans la ponctuation… Au départ, je suis plutôt poète même si je me dirige de plus en plus vers la narration. Il reste cette trace du travail sur le langage qui me parle très fort. C’est peut-être plus présent dans la deuxième partie que dans la première, qui est plus narrative.
On n’arrive pas à cela dès le premier jet ?
Non, il y a du travail. Dans le premier jet, je lâche ce qui vient et je relis après un temps parfois assez long, plusieurs mois parfois, pour poser un regard distancié. Et là commence le travail du chirurgien, presque, au scalpel, on gomme, on barre des mots…
Pourquoi une postface était-elle nécessaire ?
C’est à la demande de l’éditeur. Je n’avais pas envie de donner toutes les clés d’accès, j’ai donné des pistes et le lecteur les prendra comme il aura envie de les prendre. Mais je voulais le laisser libre d’entrer sans filet dans le texte et de se faire sa propre idée. S’il a été un peu dérouté, il aura quelques pistes à la fin.
Dans cette postface, vous écrivez : « Je suis et resterai de race irritable. » Qu’est-ce à dire ?
Je suis quelqu’un de réactif par rapport à des opinions, des idées, des regards comme on en découvre ici sur le pays, avec toujours les mêmes clichés émis par les Vazaha sur les Malgaches. Je ne peux pas me taire, je réagis constamment par rapport à cela, cette manière de mettre tout le monde dans le même sac, de généraliser constamment. Je lutterai toujours contre ça. La deuxième partie est une sorte de réponse à ces clichés : les sept portraits sont différents parce que j’ai besoin de croire à l’individu.
Pour différencier les personnages, il faut leur donner des voix individuelles. C’est aussi de l’ordre du travail sur la langue ?
C’est du même ordre. Il y a des liens avec la langue malgache, notamment dans l’étymologie des noms de lieux, qui donnent des couleurs, des tonalités. C’est intéressant, parfois, quand on traduit les noms de lieux, parce que cela leur donne un sens. Antsirabe, c’est là où il y a beaucoup de sel, le pays des épines pour l’Androy… C’est porteur de sens et peut-être de certains caractères. Au-delà de ça, chaque région possède sa personnalité. Mais, au-delà de ça aussi, il y a des personnes…
La géographie, précisément, occupe une place importante dans le livre. Dès la première partie, il y a beaucoup de mouvement, même s’il est initié de manière lente. Et la plupart des sept personnages féminins de la deuxième partie n’ont cessé de bouger dans leur vie. Ce mouvement correspond-il à quelque chose de fondamental ?
Je ne me suis pas posé la question. Mais peut-être voulais-je me déplacer par rapport à ma situation personnelle, qui avait une implantation géographique, pour aller plus loin. Les gens bougent tout le temps et il me semblait important que ce mouvement soit présent de la même façon que les Malgaches se déplacent. Ce sont des nomades : ils vivent dans une ville, ils vivent dans une autre…
Du coup, vous battez en brèche cet apriori constant sur les tribus de Madagascar…
Voilà, les tribus, les ethnies… Les métissages continuent entre différentes ethnies et entendre dire que tous les Antanosy sont ainsi, tous les Merina autrement, c’est assez irritant aussi. D’autant plus que c’est nous, les Vazaha, qui faisons cela, tandis que les Malgaches ne s’en préoccupent pas tellement… Enfin, ça dépend, ils s’en préoccupent à d’autres niveaux… Il y a, en tout cas, dans les sept portraits, pas mal de déplacements, rapportés avec leur voix.
Leur voix ou celle que prend l’écrivain pour traduire ce qu’elles disent ?
Peut-être, oui. Je leur fais dire ce que, normalement, elles ne diraient pas. En cela, c’est inventé. Mais c’est comme si leur ressenti était traduit par des mots – qui ne sont pas le moyen par lequel tout le monde s’exprime. Les mots sont mes outils d’interprétation.