March 31, 2017

Il y a 100 ans : Les pavés de l’ours (5)

(Suite et fin.)
Mais la série continue.
Quelques cas isolés de méningite cérébro-spinale s’étant produits, vite la Camarilla s’est empressée de crier qu’une épidémie désastreuse sévissait en ville et dans la colonie, et ce, par la faute, par l’incurie, par l’impéritie de la haute administration. M. le Gouverneur Général, par l’intermédiaire de l’Administrateur-Maire de Tamatave, a eu beau faire connaître que quelques cas isolés ne pouvaient constituer une épidémie, que d’ailleurs, ces cas allaient en diminuant, la Camarilla, foulant aux pieds toute convenance, lui infligeait le plus formel démenti, affirmant que l’épidémie non seulement sévissait, mais encore allait en progressant. Le plus piquant de l’histoire, c’est que le jour même (24 décembre) où la Camarilla criait son indignation contre l’insouciance et l’impéritie de l’Administration supérieure, et demandait le renvoi de la foire pour ne pas contaminer les campagnes, ce jour-là même s’éteignait à l’hôpital le dernier tirailleur atteint de cette maladie. Depuis lors, aucun nouveau cas n’a été signalé. La maladie a donc disparu, sans faire aucune victime parmi les Européens.
Quel mobile peut pousser la Camarilla à sa comporter ainsi ? Nous l’avons déjà dit : c’est le besoin d’émouvoir la population afin de faire croire à son importance. « Fan dé brut ! » Peu lui importe le dommage causé. Car, de tout cela, la Colonie en souffre plus qu’on ne pourrait le croire.
Elle avait assez de mal à dissiper la mauvaise réputation qu’on lui avait faite à l’origine. Et, aujourd’hui, quelles affaires sérieuses peuvent être entreprises dans un pays où la sécurité n’existe pas, grâce à l’impéritie d’un Gouverneur intérimaire, pays d’ailleurs mal administré et désolé par des épidémies meurtrières ?
Le Département ému avait confié à une mission présidée par M. Fillon le soin de venir élucider les questions pendantes. Heureusement qu’un vieil ami de la Colonie, bien au courant de ce qui se passait, a pu faire ressortir combien était ridicule l’objet de cette mission, et celle-ci a été retenue à Djibouti. Mais cela ne suffit pas à détruire la mauvaise impression et les regrettables résultats que nous venons de signaler.

Le Tamatave

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont maintenant disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 60 titres parus à ce jour.

March 30, 2017

Benyowsky trois fois, en attendant Jean-Christophe Rufin

En vente aujourd'hui, trois nouveaux titres de la Bibliothèque malgache, tous liés au personnage dont Jean-Christophe Rufin fait le héros de son nouveau roman, Le tour du monde du roi Zibeline, à paraître la semaine prochaine chez Gallimard.

Jean-Christophe Rufin s’intéressait depuis longtemps au personnage de Maurice Auguste Benyowsky (1746-1786) – quelle que soit l’orthographe utilisée pour son nom de famille. Nous l’avions évoqué ensemble dès 1998. Il aura fallu attendre 2017 pour que cette curiosité devienne un roman : Le tour du monde du roi Zibeline (Gallimard). Dans une postface, il dit de lui qu’il « fut longtemps l’aventurier et voyageur le plus célèbre du XVIIIe siècle. Ses Mémoires, écrits en français, ont rencontré un succès immense. Ils sont aujourd’hui encore publiés et je ne peux qu’en recommander la lecture (Éditions Phébus en français). Cependant, peu à peu, ce personnage tomba dans l’oubli en Europe occidentale, supplanté sans doute par nombre de nouveaux découvreurs et navigateurs. »
Voici, dans un ensemble de trois volumes autour de Benyowsky, la partie de ses Mémoires qui concerne Madagascar, c’est-à-dire les dernières années de sa vie. Cette réédition de la Bibliothèque malgache se complète de deux ouvrages consacrés au même personnage : Un empereur de Madagascar au XVIIIe siècle : Benyowszky, de Prosper Cultru (1906), et Le dernier des flibustiers, de Gabriel de La Landelle (1884). Ils proposent deux interprétations divergentes de la vie de cet aventurier.

Chargé en 1905 du cours d’histoire coloniale à la Sorbonne, Prosper Cultru (1862-1917) ne prend pas pour argent comptant les Mémoires de Benyowszky (tel est son choix orthographique).
Au contraire. Dans son étude, publiée en 1906, consacrée essentiellement à la période malgache de cette vie aventureuse, il ironise souvent sur les déclarations pompeuses du roi autoproclamé, en même temps qu’il met en évidence les multiples contradictions entre le récit autobiographique et la correspondance. Car l’historien a fouillé les documents originaux, dont certains sont reproduits en appendice de son ouvrage, se basant sur eux pour revisiter de manière (très) critique la trajectoire du personnage. Prosper Cultru fait évidemment abstraction du côté romanesque – qu’il souligne en revanche parfois dans les écrits de Benyowszky lui-même, plus prompt à imaginer ce qu’aurait pu être son établissement à Madagascar qu’à en décrire la réalité.

Gabriel de La Landelle (1812-1886) aimait les belles histoires d’aventuriers. Et aussi d’aventurières, puisqu’il a écrit Les femmes à bord, entre autres ouvrages consacrés à la mer, principal terrain sur lequel il choisissait ses héros. Dugay-Trouin eut ses faveurs. Il s’intéressait aussi à la colonisation, et consacra un livre à celle du Brésil.
On n’est donc pas surpris qu’il ait rencontré Benyowsky (Béniowski dans sa version), qui avait lui-même rédigé le roman de sa vie sous la forme de Mémoires. Il suffisait d’imaginer quelques anecdotes supplémentaires et de donner un peu plus de chair aux compagnons sur lesquels son héros s’était montré trop discret en s’attribuant seul le mérite de ses supposées réussites en terre malgache.

Ces trois titres au prix de 2,99 € chacun (9.000 ariary à Madagascar).

March 29, 2017

Il y a... 70 ans : 29 mars et conséquences

A l'occasion de l'anniversaire d'une date inscrite au fer rouge dans l'Histoire de Madagascar, on rompt avec les habitudes. Voici, en guise de document historique, un discours prononcé le samedi 19 avril 1947 par le Gouverneur Général Marcel de Coppet et publié le même jour dans le Journal officiel de Madagascar et dépendances, dans lequel il revient longuement sur les événements des jours précédents.

Discours prononcé par M. Marcel de Coppet,
Conseiller d’État, Haut Commissaire de la République française, Gouverneur général de Madagascar et dépendances,
Le 19 avril 1947, à Antsirabe,
À l’occasion de la première session d’ouverture de l’Assemblée Représentative de Madagascar et dépendances

Messieurs,
Aujourd’hui va s’ouvrir la première session de l’Assemblée Représentative de Madagascar. Il était permis d’espérer que ce jour serait un jour faste. La création de Conseils dont les membres, désignés en totalité par l’élection, jouissent de tous les pouvoirs compatibles avec le maintien de l’indispensable unité française, fruit de la politique libérale traditionnelle de la France, représente, en effet, le couronnement d’une longue évolution.
C’est hélas dans une atmosphère de profonde tristesse et de deuil que commencent vos travaux. La Grande Île vient d’être le théâtre de sanglants événements ; contre la souveraineté de la France, on a tenté une entreprise de force. Des Français sont tombés, victimes d’agressions aussi odieuses qu’insensées. Des Malgaches ont payé, de leur vie, leur loyalisme. Devant les tombes à peine closes, nous nous inclinons tous avec respect et nous rendons un suprême hommage à ceux qui sont morts pour sauvegarder la présence française dans la Grande Île.

À vous, Messieurs, qui êtes les élus de la population de Madagascar, je dois de complètes explications, tant sur l’action menée par les autorités locales dès le début de la crise, que sur les perspectives d’avenir qui s’offrent à nous.
Les heures d’angoisse que nous avons vécues ne sont pas près de s’effacer de nos mémoires : voici, dans sa tragique simplicité, le déroulement des faits.
Le 24 mars courent à Tananarive des bruits suivant lesquels une opération serait peut-être entreprise contre les Européens, le même mois, dans la nuit du 29 au 30.
De telles informations m’avaient déjà été communiquées à plusieurs reprises et, chaque fois, j’avais demandé aux chefs de province de prendre les précautions d’usage. Cette fois encore, ils furent mis au courant. De son côté, l’autorité militaire avisa les unités stationnées sur le territoire.
Le 29 mars, le chef du district de Fort-Dauphin confirme l’éventualité d’une attaque pour la nuit suivante. À 22 heures, l’État-Major transmet des nouvelles inquiétantes. Aussitôt Tananarive est mis en état d’alerte. Les troupes sont consignées tandis que les forces de police, de gendarmerie et la garde indigène effectuent des patrouilles à travers la ville.
L’annonce de l’attaque du camp militaire de Moramanga parvient, le 30 au matin. Peu après, on apprend les incidents de Diégo-Suarez où un vol d’armes a été commis.
Dans la même matinée, par téléphone, le chef de la province de Fianarantsoa signale qu’un sabotage de lignes téléphoniques et de l’énergie électrique a isolé la ville durant la nuit. À 17 kilomètres, sur la route d’Ambalavao, un soulèvement du M. D. R. M. a eu lieu dans un village.
Dès le début de l’après-midi, je me rends à Moramanga pour juger sur place de la situation et saluer les victimes au nom du Gouvernement que j’ai l’honneur de représenter. En rentrant à Tananarive dans la soirée, je croise sur la route des forces militaires importantes qui vont renforcer la garnison de Moramanga et former une colonne de secours.
À mon retour, j’apprends que Manakara est occupé par les rebelles, qui menacent Vohipeno. Les liaisons entre ces deux centres et Fianarantsoa sont interrompues.
Des faits d’insurrection se produisent le long de la voie ferrée Moramanga-Ambatondrazaka et dans la région d’Ifanadiana.
Je décide alors de réquisitionner les équipages et les appareils de la Compagnie Air-France. Grâce au dévouement des aviateurs et à une parfaite organisation militaire, des renforts aéroportés permettent, dès le lendemain, une intervention rapide à Manakara. Six cents arrestations sont opérées, dont une devait contribuer largement à la découverte de la vérité.
Le 1er avril, je réunis le Conseil de Gouvernement et le Conseil de Défense. Ces réunions ont été renouvelées aussi souvent que le commandaient les circonstances.
D’autre part, les faits qui établissent le caractère politique du soulèvement se multiplient : colons tués au nom du M. D. R. M. ; drapeaux M. D. R. M. brandis par les rebelles ; pancarte portant l’inscription « M. D. R. M. » placée sur une locomotive.
En 48 heures, à la suite d’une remarquable opération, la colonne du commandant Joubert dégage la voie ferrée de Moramanga à Ambatondrazaka.
Les 5 et 6 avril, j’inspecte, par avion, les régions troublées. Accompagné du Général Commandant Supérieur, je passe successivement à Ambalavao, Fianarantsoa, Ihosy, Farafangana où en présence d’une situation tendue, je laisse un « Junker » avec des inspecteurs de police, des armes automatiques et des munitions. Après m’être arrêté à Manakara, où d’autres mesures sont prises, je rentre à Tananarive.
La capitale reste calme. Les régions Ouest et Sud de l’Île ne semblent point participer au mouvement. Mais cette localisation de l’insurrection, rassurante en ce sens qu’elle écarte toute menace immédiate de révolte généralisée, n’en laisse pas moins apparaître une situation extrêmement grave.
Les premières informations détaillées venues de l’intérieur montrent, en effet, le caractère odieux des attentats perpétrés. À Moramanga, sur la voie ferrée d’Ambatondrazaka où je me rendis le 10 avril, à Manakara, à Vohipeno, on compte de nombreuses victimes parmi les colons, les fonctionnaires, les Malgaches restés fidèles.
Chaque jour sont découverts de nouveaux actes de barbarie et de sadisme : maris assassinés en présence de leur épouse ; cadavres indignement profanés ; colons mis à mort après des tortures que la parole se refuse à décrire.
Contre ces attaques déloyales, dans des conditions rendues singulièrement difficiles par leur dispersion et la précarité des communications, les Européens, civils ou militaires, fonctionnaires ou colons, se défendirent avec héroïsme. La fermeté des chefs de district menacés vous est déjà connue. Les Français isolés opposèrent aux rebelles une résistance déterminée, tel ce colon de la région de Moramanga, M. Lesport, qui, avec un seul fusil de chasse, tint tête, jusqu’au 7 avril, à plus de 200 rebelles et ne fut délivré, avec sa famille, qu’au moment où il allait succomber sous le nombre.

En présence d’une telle situation, Messieurs, il importait de réagir avec la plus grande énergie, et de réagir vite. La simultanéité des mouvements insurrectionnels, à Moramanga, à Diégo-Suarez, à Manakara, à Vohipeno, témoignait, à l’évidence, de l’existence d’un vaste complot étendant ses ramifications dans toute l’Île.
D’autre part, après les heures d’incertitude des deux premiers jours, il s’avère qu’en fait, les troubles se limitent à des régions nettement particularisées, essentiellement les pays Bezanozano, Antaimoro et Tanala. Le reste du territoire demeure calme et l’ensemble de la population se tient à l’écart de la rébellion.
Enfin, le 4 avril, on pouvait affirmer que le mouvement, décapité de ses chefs, avait perdu son caractère de révolte ouverte contre la souveraineté française, pour revêtir celui d’actes de banditisme, accomplis, certes, à la faveur du soulèvement, mais réalisés sans plan d’ensemble et sans buts définis, au préjudice de la population autochtone aussi bien que des Européens. Les forces primitives, ainsi mises en mouvement par des mains criminelles, étaient revenues à leurs traditions séculaires de rivalités de tribus et à Farafangana, par exemple, il est vraisemblable que les Zafisoro et les Antaifasy ont profité de l’insurrection pour régler une vieille querelle.
Telles sont, Messieurs, les constatations essentielles qui ont commandé l’action entreprise par les autorités locales depuis le début des troubles.
Il fallait d’abord mettre un terme aux assassinats perpétrés et réduire les taches de dissidence. Il fallait ensuite, par des enquêtes précises, menées concurremment dans tous les points de l’Île, rassembler les fils du complot, dont l’existence ne pouvait faire de doute, et établir, d’une manière irréfutable, les responsabilités encourues.
Des opérations militaires, des mesures de police et l’entrée en jeu du Service Judiciaire furent autant d’aspects de cette immédiate réaction de défense.
En présence des remous d’une opinion publique justement alarmée par l’étendue du péril, le devoir du Chef du Territoire était de garder son sang-froid et de ne tomber dans aucun des excès qui pouvaient, d’une part, nuire à la manifestation de la vérité et, d’autre part, empêcher notre justice de demeurer implacable, mais sereine.
Il fallait châtier impitoyablement les coupables, mais les coupables seuls. Compromettre de façon irrémédiable, par une répression aveugle, les possibilités d’entente avec cette immense majorité de Malgaches, qui parfois, au péril de leur vie, nous restaient fidèles, eut été une lourde faute. De cette faute, c’est, en définitive, la France et les Français de Madagascar qui auraient supporté les conséquences. Malgré les pressions dont j’ai été l’objet, malgré des manifestations aussi bruyantes qu’inopportunes, je n’ai pas voulu la commettre.
En plein accord avec le Conseil de Gouvernement et le Conseil de Défense, tous les moyens militaires dont nous disposions ont été immédiatement engagés. Après une période de cruelle inquiétude, durant laquelle, privé d’informations précises, et soucieux de ne pas renseigner ceux qui préparaient peut-être une seconde ruée, j’ai dû garder le silence, la phase véritablement critique apparut dépassée. Pour faciliter la tâche de l’autorité militaire et assurer une prompte justice, l’état de siège fut déclaré dans les districts en rébellion ou directement menacés. Cette mesure, on m’a demandé de l’étendre à la Grande Île tout entière.
C’est, croyez-le bien, après de mûres réflexions que je m’y suis refusé. Proclamer l’état de siège généralisé n’aurait pas accru nos moyens de défense. Par contre, une telle décision risquait de provoquer, à l’égard des populations demeurées paisibles, des opérations superflues dont les effets lointains eussent été désastreux et qui, dans l’immédiat, pouvaient allumer l’incendie au lieu de l’éteindre. Quant aux répercussions extérieures d’une mesure aussi grave, elles sont trop évidentes pour qu’il soit utile d’y insister.
Je ne m’étendrai pas sur le déroulement des opérations militaires ; elles sont maintenant connues de tous. Qu’il me suffise de signaler que, dès le lendemain de l’insurrection, des renforts importants furent demandés à la Métropole et que ceux-ci, dont les premiers éléments sont à pied d’oeuvre depuis une semaine, permettront une pacification plus rapide et plus complète des régions agitées.
Les résultats de l’enquête judiciaire entreprise eurent, eux aussi, une influence déterminante sur le cours des événements. Tous les premier renseignements recueillis prouvaient l’existence d’une organisation méthodique ayant pour but d’évincer les Français de Madagascar. Tous mettaient également en cause la responsabilité des membres du Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache. Des lors de nombreuses arrestations furent opérées et c’est, sans doute, dans une large mesure, à cette prompte intervention de la Justice que nous devons d’avoir évité une extension de l’insurrection.
Cette action répressive, Messieurs, j’insiste sur ce point, a été menée avec un souci constant de demeurer dans le cadre de la légalité.
Ainsi s’expliquent et se justifient certains faits dont, je ne l’ignore pas, s’est émue l’opinion publique que vous représentez.
Les parlementaires jouissent, vous le savez, de privilèges particuliers que toutes les Constitutions de la France leur ont successivement conférés. Or, le respect des règles de droit est à la base même de notre civilisation occidentale et c’est pour assurer le triomphe de ce principe fondamental que les Nations Unies ont poursuivi, pendant de longues années, la plus terrible des guerres.
Il ne pouvait donc être question d’accomplir, dans ce domaine, ce qui n’aurait pas manqué d’être interprété comme un fait du prince. Aussi, fut-ce seulement lorsque le déroulement de l’enquête eut fait ressortir la responsabilité personnelle et la complicité flagrante, dans les crimes commis, des leaders parlementaires du Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache, que des mandats d’arrêt furent délivrés à leur encontre. Quant à l’exécution de ces mandats, elle eut lieu séance tenante.
Messieurs, la Justice suit son cours et toute la lumière sera faite. Mais dès maintenant, je le répète, nous sommes en mesure d’affirmer l’existence d’un complot organisé sous une forme para-militaire, dans ses moindres détails, et qui disposait pour son exécution dans toute l’Île de cellules et d’agitateurs locaux. Le rôle du M. D. R. M., dans cette machination préparée de longue date par des hommes qui avaient trouvé dans les prérogatives de leurs fonctions électives le moyen d’attiser les rancœurs, ne peut, lui non plus, faire de doute pour personne.
Ce qu’il importe, d’autre part, de souligner une fois de plus, c’est que la plupart des Malgaches n’ont point participé au mouvement. La plus grande partie du Territoire n’a connu aucun trouble. Parmi les populations mêmes qui se sont soulevées, on peut discerner l’effet de manœuvres qui, avec une suprême habileté, ont su jouer de superstitions, de traditions et d’antagonismes profondément enracinés chez des races encore peu évoluées. La dégradation progressive de l’insurrection en actes de banditisme, que je rappelais il y a un instant, en fournit une preuve indiscutable.

Telle apparaît, Messieurs, dans toute sa gravité, la situation du Territoire dont nous avons la charge. Pour opérer le redressement qui s’impose, il est indispensable d’avoir une vision exacte des raisons profondes qui ont permis ces actes séditieux.
Sans aucun doute, ces causes sont multiples, diverses et d’inégale importance, les unes ne sont propres ni à Madagascar, ni même à l’Union Française.
L’action colonisatrice, dans la mesure même où elle entreprend l’éducation des populations autochtones, et les fait accéder à un niveau social supérieur, crée chez les individus des aspirations nouvelles qui bien souvent, sans tenir compte des inéluctables réalités, prennent l’allure de revendications déraisonnables, contraires à l’intérêt même de ceux qui les formulent. De cette constatation, les difficultés que rencontrent à l’heure actuelle, sans exception aucune, les différentes puissances coloniales du monde, fournissent, chaque jour, des exemples à méditer.
Mais il est d’autres facteurs dont l’influence, sur la période de crise que nous traversons, agit plus directement encore.
Madagascar, durant la dernière décade, a connu successivement la crise économique mondiale ; le régime de Vichy ; le débarquement anglais en 1942 ; le Gouvernement de la France Combattante ; la difficile adaptation qui a suivi la libération du territoire métropolitain ; enfin, les réformes profondes opérées par la IVe République. Autant de secousses, de changements d’orientation, de bouleversements sociaux, inséparables d’une époque où le monde entier cherche sa voie, mais générateurs d’un malaise profond et généralisé.
De cette crise, l’aspect politique doit être le premier signalé, car c’est une action politique qui est à l’origine immédiate du mouvement insurrectionnel. Lors de mon arrivée à Tananarive, l’année dernière, je me suis trouvé en présence d’un certain nombre de partis. Parmi eux, le Mouvement Démocratique de Rénovation Malgache, parti parlementaire, créé en France même, était de beaucoup le plus important par la popularité de ses chefs, ses ressources financières considérables et l’habileté de sa propagande.
Après avoir pris l’apparence d’un mouvement tendant à l’octroi à Madagascar, par des moyens légaux, de l’indépendance au sein de l’Union Française, ce parti a révélé peu à peu ses véritables buts, en se livrant à des manœuvres dirigées contre la souveraineté de la France. Des campagnes d’excitation ont été entamées par la presse tandis qu’à l’intérieur de l’Ile, certains de ses chefs s’efforçaient de provoquer des manifestations antifrançaises.
Les réformes accomplies librement, au cours de l’année passée, par la France et par la France seule, ont été faussement présentées par le M. D. R. M. comme autant de concessions à des revendications inadmissibles. Quant aux fréquentes consultations électorales imposées par la mise en place de nos nouvelles institutions, elles ont, elles aussi, entretenu une atmosphère de fièvre.
Pour le recrutement de leur clientèle, les organisateurs du Mouvement qui utilisaient sans scrupule la contrainte, les vieux souvenirs laissés par une domination raciale, la corruption, voire les superstitions de peuplades encore peu évoluées, bénéficiaient, en outre, de circonstances économiques exceptionnellement favorables.
Les réquisitions abusives de travailleurs, accentuées par l’effort de guerre des années 1943, 1944 et 1945, la chute de la production, la pénurie des produits d’importation, en particulier des tissus, la hausse des prix, le marché noir, les erreurs commises dans la gestion de l’Office du Riz, avaient, en effet, provoqué chez une partie importante de la population un mécontentement qu’il était facile d’exploiter à des fins politiques.
À cet égard, il est symptomatique de remarquer que ce sont précisément les régions orientales de l’Île, c’est-à-dire les districts les plus touchés par les réquisitions, ceux où s’exerce, contre la déforestation, une lutte indispensable mais parfois mal contrôlée, où la cueillette du caoutchouc, durant les hostilités, a donné lieu à d’incontestables abus, qui ont constitué les principaux foyers de l’insurrection.
La présence à Madagascar de 15 000 tirailleurs et travailleurs malgaches qui, pendant un exil de sept années, avaient connu la guerre, l’occupation allemande, les camps de travaux ou de concentration, dont certains avaient participé à des opérations de maquis, ajouta au malaise de ces derniers mois.
Réadapter à une existence normale des hommes ayant si longtemps vécu hors de leur milieu d’origine n’était pas chose aisée. Beaucoup retournèrent paisiblement à leur rizière natale. Mais d’autres, mécontents de leur sort, incapables de s’astreindre à un travail régulier, fournirent un précieux appoint aux fauteurs de désordres. Grâce à eux, le complot antifrançais qui prenait corps disposa de cadres disciplinés et militairement formés.
Messieurs, depuis plusieurs mois déjà, l’autorité locale s’efforçait, par tous les moyens en son pouvoir, de contrebattre l’activité subversive qui s’exerçait à Madagascar. Plus de vingt condamnations, allant jusqu’à 5 ans de prison et 25 000 francs d’amende, ont été prononcées depuis le mois de juin dernier à l’encontre des auteurs d’articles incendiaires ou d’agitateurs répandus à l’intérieur de l’Île.
Mais si nous pouvions frapper ceux des membres du M. D. R. M. qui se plaçaient en dehors du droit, l’organisation elle-même de ce parti, en tant que groupement légalement constitué, en tant que personne morale, échappait à notre atteinte. La loi de 1901 sur les associations, étendue à Madagascar par un décret de mars 1946, constituait, en effet, une barrière juridique que seuls les événements de ces dernières semaines, en établissant la responsabilité du parti tout entier, a permis de franchir.

Messieurs, le prompt rétablissement de l’ordre et de la sécurité sur toute l’étendue de l’Île doit être, de toute évidence, notre objectif immédiat. Sans parler des vies humaines qui risquent, chaque jour, d’être sacrifiées, le climat d’insécurité que nous connaissons actuellement ne saurait se prolonger sans mettre en péril l’économie même du pays. Les moyens militaires dont nous disposons désormais vont nous permettre d’atteindre rapidement un tel résultat.
Pour nous prémunir contre l’éventuel retour d’un mouvement insurrectionnel, pour assurer la sauvegarde de ces colons isolés dans la brousse, qui ont tant fait pour la prospérité de Madagascar, l’affectation à la Grande Ile de forces importantes est indispensable. Le Conseil de Défense l’a souligné, nos effectifs et notre armement étaient insuffisants. Nous avons besoin de deux avisos pour contrôler nos côtes. Il nous faut des troupes plus nombreuses et, pour permettre une intervention rapide dans ce territoire si vaste au relief tourmenté, de nouveaux terrains d’aviation, des avions supplémentaires et des parachutistes sont indispensables.
J’ai, en outre, sollicité du Gouvernement les pouvoirs politiques et administratifs nécessaires pour assurer, d’une façon rigoureuse, le maintien de l’ordre. Car les pouvoirs spéciaux conférés aux Hauts Commissaires par le décret du 4 mai 1946, ces pouvoirs dont on m’a si souvent demandé de faire usage, ne présentent un caractère exceptionnel que du seul point de vue économique.
Aux victimes de la rébellion, nous avons le devoir social d’accorder tout l’appui, toute l’assistance qui leur sont dus. Et personne à Madagascar ne faillira à ce devoir de solidarité. Mais nous devons voir plus haut et plus loin. Il faut reconstruire ce pays ; il faut le reconstruire politiquement ; il faut le reconstruire économiquement.
Une instruction est actuellement ouverte à l’encontre des dirigeants du M. D. R. M. ; les responsables de la révolte seront châtiés.
Les crimes commis ne doivent pas être mis à la charge de l’ensemble des Malgaches. La population autochtone, en refusant, dans sa majorité, de suivre les rebelles, a prouvé son loyalisme.
Avec ses éléments sains, nous pouvons et nous devons trouver un terrain d’entente. La pire des erreurs serait de laisser se creuser un infranchissable fossé entre les Français et les Malgaches. Il y va du maintien de la présence française à Madagascar où, ainsi que je le disais le 18 octobre dernier devant le Conseil Représentatif, « la France ne tolère pas que sa souveraineté soit mise en cause ».
Pour empêcher que le malaise qui est à l’origine des événements actuels ne se perpétue au risque d’être, à nouveau, exploité contre la France par de mauvais bergers, un effort de redressement économique n’est pas moins indispensable.
À cette fin, des mesures importantes ont été déjà prises. Certaines, je le sais, peuvent paraître sévères aux producteurs et aux commerçants.
Toutes, cependant, n’ont pour objet que le bien public et, en définitive, ces mesures ne sauraient avoir qu’une heureuse influence sur les entreprises qui travaillent dans l’intérêt général.
La lutte contre le marché noir, depuis déjà plusieurs mois, a été menée avec une énergie dont témoignent les très nombreuses condamnations prononcées.
La baisse générale des prix, de son côté, contribuera à assainir une situation économique artificiellement faussée.
Quant à la récente rationalisation de nos achats à l’Étranger, elle nous permettra de réserver notre contingent de devises à des produits vraiment essentiels pour la vie du pays, tels les tissus, les hydrocarbures et les machines, et d’éviter ainsi le scandaleux gaspillage que représentait, par exemple, l’acquisition aux Etats-Unis de cosmétiques et de parfums.
La Métropole, elle aussi, le Chef du Gouvernement vient d’en donner l’assurance, est décidée à fournir un effort particulier en faveur de Madagascar. Les produits qu’elle mettra à notre disposition, en même temps que le démarrage du Plan d’Equipement et de Développement économique et social de la Grande Ile, permettent donc d’escompter une élévation substantielle du niveau de vie de la population. Ainsi, le mal sera atteint dans sa racine.

Messieurs, ce sont de bien lourdes responsabilités qui vont peser sur votre jeune Assemblée. Pour accomplir la tâche qui vous est dévolue, il importe que vous délibériez dans le calme, avec une totale liberté d’esprit. À elle seule, cette considération justifierait le choix de la ville d’Antsirabe pour siège de vos débats.
Toutefois, à cette décision, il existe une autre raison sur laquelle je ne saurais trop insister. Vous constituez une Assemblée fédérale qui se superpose à des Assemblées provinciales, à compétence territoriale limitée, mais dont, sous cette réserve, le rôle n’est pas moins important. La coexistence à Tananarive de deux Conseils élus aurait créé une fâcheuse équivoque, alors que l’heureuse mesure de décentralisation administrative réalisée par le décret du 25 octobre 1946, doit apparaître à tous les yeux. Et à ceux qui s’étonneraient de ne point voir siéger l’Assemblée Représentative de Madagascar dans la ville principale du Territoire, il suffit de citer l’exemple des États-Unis, de la Suisse, de l’Australie, du Cameroun ou de l’Union Sud-Africaine, où la capitale fédérale est toujours isolée des capitales politiques des États fédérés.

Messieurs, nous avons tout à l’heure rendu hommage à nos morts. Je voudrais, maintenant, adresser l’expression de notre reconnaissance à tous ceux qui participèrent, qui participent encore, au rétablissement de l’ordre.
À l’Armée d’abord, dont l’intervention rapide, énergique et efficace permit, en plein accord avec les pouvoirs civils, de redresser une situation critique.
À la Compagnie Air-France qui, avec un dévouement et un courage admirables, se dépensa sans compter et effectua de périlleuses missions aériennes.
Au personnel français et malgache des Chemins de fer, auquel nous devons le maintien, en dépit des plus grandes difficultés, des liaisons indispensables à la vie du pays.
À la Sûreté Générale et au Service Judiciaire, sans qui les responsabilités encourues ne pourraient être déterminées.
Aux colons isolés dans les régions menacées, dont la courageuse attitude a fait l’admiration de tous.
Aux Chefs de Circonscriptions territoriales, enfin, de qui dépend, en dernière analyse, le maintien de l’armature administrative de la Grande Île. Qu’ils sachent bien que leurs efforts ne sont pas demeures vains. Mieux que personne, je connais, par expérience, leurs difficultés et je mesure tout leur mérite. Plus que jamais, dans les circonstances présentes, je demeure à leurs côtés.
Messieurs, le déploiement d’une telle somme de courage, d’intelligence et de ténacité nous fournit de sérieuses raisons d’espérer en l’avenir. La France, je le déclarais naguère, est à Madagascar et elle y restera. Elle en le droit, car après un demi-siècle d’action colonisatrice, elle peut considérer son œuvre d’un cœur serein. Elle en a le devoir, car la tâche entreprise n’est point terminée.
La France n’entend rien renier ni abandonner de sa politique généreuse, Mais selon les paroles du Chef du Gouvernement lui-même : « Nous ne permettrons pas que ce message qu’elle apporte Outre-Mer, message de paix, soit interprété comme un signe de faiblesse ».
La justice passera donc, impitoyable, mais elle demeurera la justice : la population autochtone doit être assurée que la distinction sera faite entre les éléments loyaux et les ennemis déclarés de la souveraineté française. Ceux-ci seulement seront frappés. Ceux-là doivent retourner sans crainte à leurs champs et à leurs rizières. L’appui tutélaire de la France leur et assuré.

Messieurs, l’Union n’est jamais si nécessaire que dans les heures de danger. Nous voulons tous qu’à Madagascar comme ailleurs, la France reste forte pour le plus grand des peuples qu’elle rassemble autour d’elle. À cet effort de consolidation d’une œuvre demi-séculaire, il faut que nous consacrions le meilleur de nous-mêmes. C’est donc en affirmant le maintien dans la Grande Île de la présence française, que je déclare ouverte, Messieurs, la première session de l’Assemblée Représentative de Madagascar.

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