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March 30, 2017

Benyowsky trois fois, en attendant Jean-Christophe Rufin

En vente aujourd'hui, trois nouveaux titres de la Bibliothèque malgache, tous liés au personnage dont Jean-Christophe Rufin fait le héros de son nouveau roman, Le tour du monde du roi Zibeline, à paraître la semaine prochaine chez Gallimard.

Jean-Christophe Rufin s’intéressait depuis longtemps au personnage de Maurice Auguste Benyowsky (1746-1786) – quelle que soit l’orthographe utilisée pour son nom de famille. Nous l’avions évoqué ensemble dès 1998. Il aura fallu attendre 2017 pour que cette curiosité devienne un roman : Le tour du monde du roi Zibeline (Gallimard). Dans une postface, il dit de lui qu’il « fut longtemps l’aventurier et voyageur le plus célèbre du XVIIIe siècle. Ses Mémoires, écrits en français, ont rencontré un succès immense. Ils sont aujourd’hui encore publiés et je ne peux qu’en recommander la lecture (Éditions Phébus en français). Cependant, peu à peu, ce personnage tomba dans l’oubli en Europe occidentale, supplanté sans doute par nombre de nouveaux découvreurs et navigateurs. »
Voici, dans un ensemble de trois volumes autour de Benyowsky, la partie de ses Mémoires qui concerne Madagascar, c’est-à-dire les dernières années de sa vie. Cette réédition de la Bibliothèque malgache se complète de deux ouvrages consacrés au même personnage : Un empereur de Madagascar au XVIIIe siècle : Benyowszky, de Prosper Cultru (1906), et Le dernier des flibustiers, de Gabriel de La Landelle (1884). Ils proposent deux interprétations divergentes de la vie de cet aventurier.

Chargé en 1905 du cours d’histoire coloniale à la Sorbonne, Prosper Cultru (1862-1917) ne prend pas pour argent comptant les Mémoires de Benyowszky (tel est son choix orthographique).
Au contraire. Dans son étude, publiée en 1906, consacrée essentiellement à la période malgache de cette vie aventureuse, il ironise souvent sur les déclarations pompeuses du roi autoproclamé, en même temps qu’il met en évidence les multiples contradictions entre le récit autobiographique et la correspondance. Car l’historien a fouillé les documents originaux, dont certains sont reproduits en appendice de son ouvrage, se basant sur eux pour revisiter de manière (très) critique la trajectoire du personnage. Prosper Cultru fait évidemment abstraction du côté romanesque – qu’il souligne en revanche parfois dans les écrits de Benyowszky lui-même, plus prompt à imaginer ce qu’aurait pu être son établissement à Madagascar qu’à en décrire la réalité.

Gabriel de La Landelle (1812-1886) aimait les belles histoires d’aventuriers. Et aussi d’aventurières, puisqu’il a écrit Les femmes à bord, entre autres ouvrages consacrés à la mer, principal terrain sur lequel il choisissait ses héros. Dugay-Trouin eut ses faveurs. Il s’intéressait aussi à la colonisation, et consacra un livre à celle du Brésil.
On n’est donc pas surpris qu’il ait rencontré Benyowsky (Béniowski dans sa version), qui avait lui-même rédigé le roman de sa vie sous la forme de Mémoires. Il suffisait d’imaginer quelques anecdotes supplémentaires et de donner un peu plus de chair aux compagnons sur lesquels son héros s’était montré trop discret en s’attribuant seul le mérite de ses supposées réussites en terre malgache.

Ces trois titres au prix de 2,99 € chacun (9.000 ariary à Madagascar).

September 4, 2015

Madagascar dans la rentrée littéraire (3) Michaël Ferrier

Photo C. Hélie Gallimard

Y a-t-il longtemps que Madagascar compte dans votre vie ?
C’est à Madagascar que j’ai appris à lire, à écrire, à compter. J’ai passé une grande partie de mon enfance à Antananarivo, à Mahajanga, à Nosy Be aussi. Mon père est né à Madagascar, toute ma famille du côté de mon père et, ensuite, j’y suis retourné très souvent. Aujourd’hui, j’ai encore de la famille à Madagascar, mais plus éloignée. Mes oncles et mes tantes sont partis soit vers la France, soit vers la Réunion ou d’autres pays. Mais j’y ai passé beaucoup de temps.
Vous vivez depuis une vingtaine d’années au Japon, une grande île, comme Madagascar. Y a-t-il des rapprochements à faire entre les deux pays ?
Je pense qu’il y a un lien quelque part. Il y a le lien de la langue puisque, selon les spécialistes, la langue malgache et la langue japonaise font partie d’un même groupe linguistique. Par ailleurs, j’invite souvent des écrivains créoles à l’université, des écrivains de l’océan Indien mais pas seulement. Et on découvre avec étonnement qu’il y a des affinités électives entre la Réunion, Madagascar et l’archipel japonais. C’est un gigantesque chantier, seulement esquissé depuis une quinzaine d’années, qui est la question de la créolisation au sens où l’entend Edouard Glissant.
Saviez-vous depuis toujours que vous alliez écrire sur Madagascar ?
Oui, c’était évident. Parce que ça vient de l’enfance, de très loin. C’est très profond et, plus c’est profond, plus ça remonte fort au bout d’un moment.
Cependant, cela a mis du temps. Pourquoi maintenant ?
C’est une question difficile. Il y a longtemps, plus de dix ans, que le roman est en gestation. Pourquoi maintenant ? Peut-être parce que j’arrive à la cinquantaine. Ecrire sur sa famille, ce n’est jamais facile, parler de gens qui ont été vivants et qui le sont toujours pour certains, ce n’est jamais évident. Même lorsque l’on en dit du bien, il y a toujours une part de violence parce que l’image qu’on se fait de soi-même n’est jamais celle qu’on retrouve dans un livre. Donc, il y fallait un peu de maturation, peut-être de maturité même si je ne pense pas être arrivé à un grand degré de maturité. Mais, en tout cas, ça fait longtemps que ça travaille et ça surgit au moment où ça doit surgir, sans doute.
Vous ouvrez Mémoires d’outre-mer par l’image de trois tombes au cimetière de Mahajanga. Elles y sont vraiment ?
Oui, elles sont là. Elles ne sont pas toujours faciles à trouver, parce le cimetière est assez grand et il était, la dernière fois que je l’ai vu, il y a quelques années, assez mal entretenu. Une fois qu’on connaît l’emplacement des trois tombes, très blanches, elles prennent toute la place.
Ces trois tombes sont très importantes, elles vous permettent de décrire le décor, la lumière. Et il y, jusqu’à la fin du roman, une interrogation, sur l’une d’elles puisqu’on ne sait pas qui y est enterré.
Oui, c’est un peu une structure de roman policier, sans que ce soit une base trop importante. Il y avait d’autres choses à dire sur Madagascar et sur ces personnages. Mais, à la fin, la résolution de l’énigme est typique d’un roman policier, puisqu’elle ne résout rien.
Un des deux récits qui traversent le roman est l’enquête du narrateur sur son grand-père. Ce narrateur, c’est vous sans être vous ?
Oui, c’est un roman. Je ne voulais pas en faire une saga familiale ou un pèlerinage, même s’il y a cette dimension dans le livre. Je voulais donc briser la chronologie et montrer la complexité, la richesse de l’océan Indien qui est un espace multiple, un espace pluriel, d’une grande diversité. J’ai essayé de montrer cet espace d’échanges, de rencontres, avec des temporalités et des territoires qui s’enlacent, qui se superposent, qui s’opposent quelquefois. Le cirque et l’acrobate se prêtaient bien à cela puisque le narrateur jongle avec plusieurs histoires qui viennent s’intercaler de temps en temps.
Autour de Maxime Ferrier, le grand-père, il y a une foule de personnages. Son ami Arthur, bien sûr, dans la tombe d’à côté, et tout le reste du cirque. Avez-vous retrouvé leurs noms ?
J’ai changé quelques noms pour montrer quand même que c’était une fiction. Mais le nom de mon grand-père était bien Maxime Ferrier, y compris dans toutes ses déclinaisons. Ces gens n’ont pas laissé des traces institutionnelles très fortes, c’étaient des saltimbanques, et j’ai reconstitué beaucoup de choses.
La patronne du cirque est un personnage assez étonnant…
Oui, et très moderne. C’était une femme de tête qui menait son cirque à la baguette et qui, en même temps, l’a abandonné sans vergogne. Il y a des personnages assez hauts en couleurs, qui ont tous existé mais qui n’ont pas laissé beaucoup de traces. C’est un aspect qui m’intéresse, et que j’ai creusé dans un livre précédent, Sympathie pour le fantôme, à propos de personnages un peu oubliés de l’Histoire de France.
Les a-t-on oubliés parce qu’ils n’appartenaient pas à l’Hexagone et qu’on oublie souvent l’outre-mer ?
Nous vivons des temps où le repli sur soi est très important, où la peur et la frilosité semblent gagner toute l’Europe. Nous vivons des temps, aussi, où l’appartenance plurielle semble être un problème plus qu’un atout. C’est quand même tout à fait étonnant. Quand on appartient à plusieurs cultures, à plusieurs langues, quand on a grandi, vécu dans un espace pluriel, on est riche de cette diversité-là. Or il semble qu’aujourd’hui c’est l’inverse, on fait des regroupements par nation, par culture. Ces regroupements me semblent inopérants pour penser le monde dans lequel nous vivons. Et, là, nous avons quelque chose à apprendre de l’océan Indien.
A travers le roman, vous faites d’ailleurs passer quelques idées…
Oui, ce n’est pas un essai mais une des idées qui me tiennent à cœur c’est que l’océan Indien préfigure ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation…
Un espace expérimental ?
Voilà : c’est un espace expérimental, qui tient une place si minorée non seulement dans la littérature française mais dans bien d’autres domaines, et qui a beaucoup de choses à nous apprendre. Il est porteur de propositions concrètes dont on ne tient pas assez compte à notre époque.
Madagascar colonie française, c’est-à-dire le régime qu’a connu Maxime pendant une longue période de sa vie, était aussi un pays où, écrivez-vous, les Malgaches n’avaient pas leur place.
Je me suis beaucoup documenté pour ce livre et, curieusement, il y a peu de choses qui ont été écrites sur le sujet. C’est la même chose pour le Projet Madagascar, évoqué souvent de manière partielle alors qu’il y a là quelque chose qui nourrit tout l’imaginaire du 20e siècle, du point de vue des races, de la spatialisation des problèmes.
Le Projet Madagascar, si on ne le sait pas, était le plan nazi de déportation des Juifs européens vers l’île de l’océan Indien, avant l’application de la Solution finale. Mais, quand les lois de la France sous Pétain s’appliquant aux Juifs de Madagascar, on en trouve vingt-six !
Oui, et cela n’empêche pas de les pourchasser. Cela nous en apprend beaucoup sur l’antisémitisme, qui est un délire. Un délirant n’a pas besoin d’avoir un objet très précis pour délirer. Ce qui est amusant, pour moi qui suis au Japon, c’est de découvrir que le Japon a développé aussi un antisémitisme pendant la Seconde Guerre mondiale alors qu’il y avait également très peu de Juifs.
Vous posez la question dans le livre : sait-on pourquoi les gens s’en vont ? Avez-vous répondu pour vous-même à cette question ?
Non, et je pense que, le jour où j’arriverai à y répondre, il sera peut-être temps de revenir. Il y a un mystère là-dedans : on part pour partir, finalement, c’est assez rimbaldien comme attitude. Ceux qui partent pour une raison précise, que ce soit pour faire de l’argent ou pour rejoindre quelqu’un, finissent par boucler la boucle. Mais il y a, et ce sont les gens que j’évoque, des aventuriers qui partent pour partir. C’est le mouvement même de la course qui les intéresse, plus que la destination. Je suis sensible à cette trajectoire : on part, et on ne sait pas quand on reviendra, si on revient jamais.
C’est la question annexe : sait-on pourquoi les gens restent, comme Maxime Ferrier est resté ?
Il y a quand même une réponse évidente, en tout cas pour moi au Japon : on reste parce qu’on est bien.
Vous décrivez, pendant la Seconde Guerre mondiale, Maxime Ferrier comme un possible, ou probable, résistant : des ponts qui sautent sur la Betsiboka, la radio… Cela m’intéresse, le moment où la petite histoire, l’histoire des gens, rencontre la grande Histoire – avec sa grande hache, comme disait Perec. La grande tragédie rencontre les drames individuels. Dans le cas de Maxime, c’est exactement ça, il est arrivé à un moment de sa trajectoire où tout va assez bien mais où il va éprouver le besoin de lutter contre cette ignominie pétainiste. Il lutte à sa manière et c’est ça qui précipite sa chute tout en faisant que sa trajectoire est belle. C’est l’acrobate : il va jusqu’au bout de la volte, et peu importe le prix à payer. Il est vertigineusement libre, cet homme, c’est ça qui m’a fasciné.

September 2, 2015

Madagascar dans la rentrée littéraire (1)

Le hasard fait bien les choses : Douna Loup et Michaël Ferrier ont sorti la semaine dernière leurs nouveaux romans, qui tous deux ont Madagascar pour cadre. Madagascar sous régime colonial, pour l’essentiel, bien que Michaël Ferrier prolonge son récit jusqu’en 1972 tandis que Douna Loup l’arrête en 1924.
Nous les avions interrogés sur leurs livres, avant leur parution. Douna Loup était dans la Drôme, Michaël Ferrier à Tokyo. Mais qu’importent les distances puisque Madagascar réunit, par le biais de la fiction, ces deux auteurs qui ne se connaissaient pas. (Ils se rencontreront la semaine prochaine, réunis à la Librairie Gallimard à Paris.)
L’oragé, de Douna Loup, met en scène un Rabearivelo plein de fougue et d’ambition. Dans une belle langue poétique, entrecoupée d’extraits d’articles contemporains du roman, l’écrivaine fait le portrait vivant d’un jeune homme appelé par la passion de la littérature. Les années de formation, replacées dans le contexte local, modifié par les événements internationaux – la Grande Guerre –, sont envisagées rapidement mais avec lucidité. Puis un deuxième personnage entre en scène : Esther, qui signe Anja-Z les textes qu’elle écrit en malgache, exclusivement en malgache, devient le centre du livre. Elle éclaire Rabearivelo, avec qui elle nouera une belle complicité humaine et littéraire bien que leurs points de vue sur le monde s’opposent parfois.

Dans Mémoires d’outre-mer, Michaël Ferrier part de l’histoire de son propre grand-père, enterré à Mahajanga où il était arrivé en 1922 avec le Cirque Bartolini dans lequel il était acrobate. Il va y passer un demi-siècle pendant lequel l’écrivain en profite pour jongler, comme un artiste de cirque lui aussi, avec quelques éléments d’information sur Madagascar, l’océan Indien et les circonstances historiques qui pèsent sur la région. On y apprendra bien des choses sur le Projet Madagascar, par exemple, ou sur la résistance qui s’organise du côté de Mahajanga pendant la Seconde Guerre mondiale. Surtout, on suit la trajectoire sautillante d’un homme dont la vie était un roman – il suffisait de l’écrire, c’est fait et avec talent.

Demain, l'entretien avec Douna Loup.