August 17, 2012

Madagascar dans la rentrée littéraire

En fouinant dans la masse des romans de la rentrée, il faut bien qu’on tombe sur quelques mentions de Madagascar, même si aucun livre, apparemment, n’est centré sur la Grande Île. Apparemment, car nous n’avons survolé qu’un quart des ouvrages annoncés, et quelque chose a pu nous échapper.
Mais pas Peste & Choléra (Seuil), où Patrick Deville raconte la vie d’Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste en 1894 à Hong Kong, alors qu’il était attaché à l’Institut Pasteur et qui, ensuite, passe un peu de temps à Madagascar. On lui a demandé de « partir aussitôt que possible pour Diego-Suarez étudier le microbe des fièvres bilieuses ». Il y a quelques jours, Patrick Deville évoquait pour nous, par téléphone, ce bref épisode (un peu plus d’une page) qu’il juge révélateur du bonhomme : « En fait, c’est un moment assez intéressant dans sa vie. Yersin, c’est l’exemple même du type qui très vite en a marre. Après Hong Kong, on a l’impression qu’il fait ça pour faire plaisir aux pasteuriens et qu’ils arrêtent de l’emmerder. Alors que c’est immense : il est le premier homme à faire l’étiologie de la peste, qui n’est pas rien. Et, donc, à ce moment-là, il ne rentre même pas en Europe, il envoie des bacilles dans des fioles et il écrit même à Roux et à Calmette, c’est dans le livre : je pense que vous arriverez bien à vous démerder avec ça. Il n’a pas du tout envie de continuer et on l’envoie en mission à Madagascar où il va en traînant les pieds. Il prétend que ça n’a pas d’intérêt, qu’il n’y a rien, que ce n’est certainement pas de la fièvre bilieuse, etc. En fait, il détourne complètement sa mission scientifique et bactériologique et il s’intéresse beaucoup plus, à Madagascar, à l’agriculture et à l’arboriculture. Il prépare sa prochaine carrière… »
Madagascar, c’est une flore exceptionnelle. La vanille chez Franck Andriat (Bart chez les Flamands, Grand miroir) : « mirabelles flambées au rhum et vanille de Madagascar ». La vanille aussi, malgré le titre, chez Olivier Bouillère (Le poivre, P.O.L.), où se développent des projets de vanille soluble : « Elle est heureuse pour Grégory s’il aime son succès, s’il peut continuer à passer du temps à Madagascar qu’il a toujours adoré et ça semble être le cas, avec une femme qui soit pour lui. »
Un autre produit de l’agriculture est à l’honneur pour Régis de Sa Moreira (La vie, Au diable vauvert), mais sur un marché où la narratrice achète des haricots, des concombres, des figues et des petits fruits succulents : « Ça s’appelle des lychees. Je n’en ai pas remangé depuis mon séjour à Madagascar. »
Et les vertus des plantes médicinales ont leur réputation dans La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment, de Francis Dannemark (Laffont), où Muriel, endocrinologue, n’est pas de bonne humeur : « Je ne sais pas ce qui m’a énervée le plus aujourd’hui, dit-elle, les patients qui ne viennent pas sans prévenir, ceux qui viennent mais pour me demander si on peut se procurer ici un mélange de plantes malgaches et magiques qui fait perdre dix kilos en une semaine ».
Quelques personnages de Malgaches passent par là. Pendant la Seconde guerre mondiale : les bataillons de soldats français venus d’Afrique, en première ligne, sont décimés. Morts, blessés et prisonniers : « Les nègres, les Malgaches et les Indochinois y sont les plus nombreux. » (Tierno Monénembo, Le terroriste noir, Seuil.)
Ou à travers la gentillesse d’une femme qui « laissait passer les bouteilles » dans Escalier F, de Jeanne Cordelier (Phébus) : « Derrière la vitre une négresse, comme dit Andrée, tout habillée de blanc, nous a ouvert. On se connaissait toutes les deux, elle était de Madagascar ».
Il est question de relation conjugale chez Lorenzo Cecchi (Nature morte aux papillons, Castor astral). Il attribue à Dresler, personnage secondaire, une « “vie sentimentale difficile” qu’il mène avec sa jeune Malgache, récemment épousée via une agence matrimoniale spécialisée en compagnes fidèles, aimantes et dans la misère noire ; qui, naturellement, est folle de lui… »
Et d’enseignants chez Maryse Condé, dans La vie sans fards (Lattès), où son parcours personnel d’enseignante expatriée la fait participer à une réunion de professeurs organisée au collège de Bellevue, en Guinée : « C’était tous des “expatriés”. On comptait un fort contingent de Français communistes, des réfugiés politiques de l’Afrique subsaharienne ou du Maghreb et deux Malgaches. » Maryse Condé évoque aussi, brièvement un épisode de l’Histoire du Maroc, « l’exil du sultan en Corse, puis à Madagascar ».
Dans Avancer (Gallimard), Marie Pourchet fait bouger la géographie sur une carte de « l’empire colonial » revue et corrigée par un personnage appelé le Petit : « La Corse dépend toujours, il ne faut pas exagérer, mais de beaucoup plus loin, en devenant Madagascar. Certes le trait est imprécis, les distances bizarrement transposées, il y a moins d’angles, et la France en Afrique a des proportions napoléoniennes. »
On trouve un peu de politique encore chez Charly Delwart (City Park, Seuil) qui raconte, sous un autre nom (le Kamcha du Nord), la Corée du Nord depuis que le petit pays au régime autoritaire s’est détaché de son voisin du Sud. A la capitale duquel, Séoul, les Jeux olympiques ont été attribués en 1988, provoquant évidemment le boycott du Nord et de quelques alliés : « boycotter les jeux Olympiques de Sagisan […] n’a eu aucun effet même si par solidarité, Cuba, l’Éthiopie et le Nicaragua n’ont pas fait le voyage. D’autres délégations non plus, Madagascar, l’Albanie, les Seychelles, mais pour des raisons qui restent obscures ».

(Article paru aujourd'hui dans Les Nouvelles.)

August 9, 2012

Une minute de narcissisme

Si vous m'y autorisez (on non, d'ailleurs - après tout, ici, c'est chez moi!), je vais me poser ce matin quelques questions existentielles. Qui suis-je, d'où viens-je, où courge, dans quelle étagère? Le Soir répond aimablement à la dernière de ces interrogations: l'étagère est derrière moi et l'article, dessous, en dit un peu plus sur le reste. Il est paru aujourd'hui dans une série de cinquante portraits de Belges d'ailleurs.
Pourquoi pas?

August 6, 2012

Pourquoi il ne faut pas acheter ce livre (les raisons d'une colère)

Comme je risque de me déchaîner dans cette note de blog, elle mérite une remarque préliminaire, dans laquelle il n'est pas interdit de voir une précaution - il aurait pu y être question de la paille et de la poutre, vous le comprendrez aisément avec un minimum de culture biblique.
Je n'ai jamais prétendu que la Bibliothèque malgache atteignait la perfection en matière d'édition. Il existe probablement des défauts dans les ouvrages que j'y ai publiés, y compris parmi les rééditions gratuites de la Bibliothèque électronique. En revanche, j'y ai toujours apporté le plus grand soin, et je n'ai jamais compté les heures nécessaires à atteindre un résultat capable de me satisfaire - et je suis assez sévère envers mes travaux. Ce qui me permet d'être aussi sévère, quand il me semble devoir l'être, envers les travaux des autres. Car, oui, sévère, je vais l'être dans un instant.

Où veux-je en venir?
J'y viens.

Très récemment, Gallica a mis en ligne une version numérisée du roman de Charles Renel paru en 1924, La fille de l'Île rouge. La copie est malheureusement assez médiocre, des pages s'y trouvent deux fois et deux pages manquent. Sur les pages absentes, je pourrais maintenant utiliser l'imparfait car, après que j'ai signalé ce défaut aux services de Gallica, je vois maintenant les pages que je n'avais pas trouvées la première fois.
La Bibliothèque malgache a réédité déjà plusieurs ouvrages de Charles Renel. La race inconnue avait même ouvert le catalogue. Je m'étais occupé ensuite de La coutume des ancêtres et du "Décivilisé".  Il me semble intéressant de poursuivre, et j'ai donc mis en route le travail sur La fille de l'Île rouge.


Par hasard, ce roman a aussi été réédité par Dominique Ranaivoson il y a quelques mois, dans la collection "Long-courriers" des Publications de l'Université de Saint-Étienne, gage de sérieux, me dis-je (un peu naïvement) avant de me décider à acquérir l'ouvrage pour multiplier mes sources - et bien que je travaille toujours sur les éditions originales (des copies numérisées d'éditions originales, le plus souvent). Mais il est toujours intéressant d'avoir sous la main un ouvrage de référence, doté d'une postface replaçant le texte dans le contexte de son époque. (L'absence de tout appareil critique est un des gros défauts de la Bibliothèque malgache, dont je suis conscient mais que je n'ai pas les moyens de pallier.)

J'ai donc commencé par lire cette postface, utile et éclairante en effet, mais qui m'a quand même fait sursauter une fois, quand j'ai lu dans une note de bas de page (car, oui, je lis les notes de bas de page) que Majunga (l'orthographe, curieusement, est celle qu'on utilisait à l'époque coloniale, alors qu'il est question de notre époque) est une "ville de la côte Nord-Est".
Un problème de boussole, peut-être? Bon, ce n'est pas très grave, me dis-je, le lecteur aura corrigé de lui-même. Quoique... Si le lecteur est capable de corriger, pourquoi lui fournir cette information (erronée)?

Ensuite, je me suis occupé de regarder le texte de plus près. Comme j'avais déjà à peu près terminé le travail sur les deux premiers chapitres, je suis passé au troisième, "Ancêtres et descendants".
En quelques heures, hier matin, je suis passé de l'interrogation à la surprise, de la surprise à la consternation, de la consternation à la colère.
Je m'explique, point par point, de la page 59 à la page 92 de la réédition (pages 68 à 114 de l'original, références entre parenthèses).

Page 61 (70) et suivantes, Dominique Ranaivoson (DR) fait le choix de corriger Charles Renel (CR). Chaque fois que CR écrit "par delà", DR transcrit "par-delà". Je n'en vois pas la nécessité, la graphie originale étant habituelle à l'époque. Si la modernisation était générale, je comprendrais (encore aurait-il fallu prévenir), mais ce n'est pas le cas.
Page 63 (73), un guillemet fermant a disparu. Mais dans un cas où, généralement, CR n'en met pas. Harmoniser les hésitations d'un écrivain fait partie du travail de réédition, et j'approuve ici ce choix.
En revanche, j'ignore pourquoi, d'autorité, trois lignes plus loin, DR a masculinisé "une loule" alors qu'il s'agissait bien de "un" dans l'édition originale. Et que, circonstance aggravante, dans la même page (74), quand il y en a plusieurs (des loules, donc), il est question de "ils".
Dans la même page encore (74), un tiret de dialogue a sauté. Il y en aura malheureusement d'autres, pages 72 (85), 75 (89), 76 (90), 80 (96). Et, CR n'étant pas toujours très rigoureux, il aurait parfois été nécessaire d'apporter des corrections à sa copie, ce qui n'a pas été fait, page 89 (108) par exemple.
Page 64 (75), DR transcrit "sa frêle personne ou terne individualité" sans le deuxième "sa", présent dans l'original.
Page 67 (79), le nom d'un village, Farantsahane, devient "Faratsahane" pour DR - elle suit, page 70 (82), l'erreur de CR "Faranstsahane", alors qu'il aurait mieux valu harmoniser. En revanche, DR corrige, trois lignes plus bas (retour à la page dont je parlais auparavant), "des tentacules toutes rouges" en "tout rouges". Excès de zèle...
Page 69 (81), les "zig-zags" de CR deviennent des "zigzags". Manque de respect de la graphie d'origine...
Page 72 (86) comme ailleurs - par exemple page 78 (93), DR conserve "ça et là", quand il aurait fallu corriger en "çà et là", ainsi que CR l'écrit d'ailleurs quelquefois. Puisque l'erreur n'est pas constante, le retour à la norme s'impose.
Page 73 (87), DR oublie une virgule, et celle-là, contrairement à d'autres, était bien à sa place. Puis des "générations disparues" chez CR deviennent pour DR des "générations apparues". Là, il ne s'agit plus seulement d'une banale coquille (ce que je pourrais accepter s'il y en avait moins) mais d'un changement de sens singulièrement grave.
Page 75 (90), un "qui" a disparu. Pour quelle raison? Mystère...
Page 76 (90), DR semble ignorer qu'on peut écrire "une couple", comme le fait CR, et corrige à tort en "un couple". Elle transforme aussi un "Il" en "il", je me demande pourquoi.
Page 77 (92), le "petit beurre" de CR devient "petit-beurre" et les "habitants" des "habitats".
Page 78 (93), le cléricalisme d'exportation "scandalise" Claude chez DR, tandis qu'il le "scandalisa" chez CR.
Page 79 (94), "ingénûment" devient "ingénument".
Pages 80 (96) et suivantes, DR transcrit en caractères romains les "Andrianes" que CR donne en italiques. Ce n'est pas indifférent. De la même manière que l'usage, ou non, que fait CR des capitales, notamment pour parler, avec minuscule, d'un "malgache", ce qui ne convient de toute évidence pas à DR qui corrige abusivement pages 81 (98) et 89 (107).

Jusque-là, j'en étais encore à la surprise, teintée il est vrai, à force d'annoter les marges de mon exemplaire "moderne" et "fiable", d'une irritation qui allait croissant.

Puis vint (je vous passe maintenant les détails, corrections abusives, mots absents, coquilles banales, etc.) la page 82 (99), au bas de laquelle il manque trois lignes!!!

Là, je suis consterné. Et presque tout de suite en colère. Page suivante (99) il manque une ligne puis, un peu plus bas (100), quatre lignes qui, en outre, font perdre tout son sens à un paragraphe dans lequel est racontée l'origine de cinq pierres levées, dont il ne reste que quatre (la deuxième a disparu) dans l'édition de DR.

Je passe, je passe, sur des pages dont les marges, dans mon exemplaire, ne sont pourtant pas restées vierges, pour en arriver à la dernière page du chapitre, page 92 (111) dans laquelle, entre la première phrase du dernier paragraphe et la suivante, IL MANQUE DEUX PAGES ET QUELQUES MOTS, l'ensemble ayant été en outre si maladroitement raccommodé que la couture est très visible.

J'en suis là, et je suis furieux d'avoir acheté ce livre mal foutu. Si je peux vous éviter ça, je serai heureux d'avoir rendu service...