February 8, 2013

Il y a 100 ans : Justice indigène

On n’en finirait jamais d’enregistrer les bévues, commises par de ces Messieurs les administrateurs, intronisés juges sans avoir appris les rudiments de la profession de magistrat. Il y a, au Mercure de France, une rubrique intitulée : « Le Sottisier ». Si le Progrès en ouvrait une pareille et qu’il y contât les hauts faits de nos justiciers indigènes, ses colonnes ne suffiraient point. Le parti le plus court, c’est de se taire. Mais il est de ces inadvertances, de ces inconséquences, de ces erreurs ou de ces folies, de ces fautes ou de ces absences, qu’il est absolument impossible de passer sous silence. Certaines ont, pour ainsi dire, un retentissement universel, dont la presse est bien obligée de se faire l’écho. Ainsi, la tragique méprise de ce chef de la province de Vatomandry, qui, sur la dénonciation d’un vagabond, arrête, sans forme préalable d’enquête, un colon, sa ramatoa, ses domestiques, que sais-je, peut-être son chien et son perroquet, sous le prétexte qu’un crime a été commis, dont, en réalité, la victime se porte à merveille. – Les gens sages nous diront, sans doute : « Mais attendez la fin : il pourrait exister des charges que le colon, désigné comme assassin, ne soupçonnait pas. S’il est innocent, ne se peut-il faire qu’il ait pu paraître coupable en raison de circonstances obscures qui ne sont point encore connues de lui ni du public ? Malgré tout, il nous est défendu de croire tout de suite à une précipitation si singulière, qu’elle nous apparaîtrait comme grandement coupable. »
Si vous voulez.
Mais alors, il faut nous souvenir que cet administrateur est le même, qui, dans une province du centre, s’est toujours refusé à faire poursuivre, comme ils doivent l’être, des crimes avérés, que tout le monde connaît, dont les enquêtes policières ont, nettement, établi la preuve. Il est de bonne politique, dit-on, avant que justice se fasse, de prendre, en certains cas, l’avis de M. le Gouverneur Général. M. le Gouverneur Général a, paraît-il, opiné, dans la circonstance que le principal auteur des méfaits que nous signalons, était trop gros manitou chez les Betsileo, pour qu’on osât troubler sa digestion. Que ne consultait-on M. Picquié, à propos du colon de Vatomandry ? C’eût été le cas de savoir si la justice du Chef de la Colonie, douce aux nègres puissants, le serait, d’aventure, pareillement, aux modestes européens.
Autre personnage, dont ce journal dut, un jour, entretenir ses lecteurs, M. de V…, administrateur à Ambalavao, continue, sous l’œil du Seigneur, des errements qui lui valurent une honorable célébrité. Celui-là n’a jamais dû savoir qu’il existe un principe de la séparation des pouvoirs. Même il professe, non expressément, mais avec une naïveté qui ferait sourire si elle ne faisait pleurer, par son attitude, par ses actes, par la singularité de certains propos, que l’administrateur, en sa circonscription, est une sorte de Deus ex machina s’occupant de tout, pourvoyant à tout, réglant tout, tranchant sur tout, maître de tout, à la manière d’un Artaxerxès providence ou d’un Nabuchodonosor à bonnes intentions. Il a des affirmations renversantes, des aphorismes ébouriffants, des conceptions à vous faire croire que l’on marche les pieds en l’air. C’est lui qui a pu traiter de chinoiseries inutiles certaines règles de la procédure ; c’est lui qui transporte son tribunal du premier degré partout où il va ; qui se vante de, pour le bien des indigènes, rendre, en cinq sec, la justice en tous lieux, fût-ce dans la maison d’un curé, ou parmi les senteurs d’un parc à bœufs ; qui répète, à qui vent l’entendre : « Il n’est permis à personne de faire de la conciliation, sauf aux administrateurs ! »
Il en fait beaucoup, dit-il, au hasard de ses tournées administratives. Il en fait bien peu, prétend-on, dans son prétoire. Quand une affaire vient, il arrive qu’elle soit jugée sans même que les parties aient été convoquées. Le bon droit se manifeste de lui-même, indépendamment des kabary que peuvent tenir les plaideurs. Les arrêts de pure conscience, qui ne s’embarrassent ni des textes obscurs, ni des grimoires des législateurs, sont les meilleurs. La manière de juger de cet excellent magistrat est incontestablement très originale : il n’y a pas d’exemple qu’un de ses jugements, frappé d’appel, ait été confirmé.
En dépit des mérites que nous signalons, il y a, tout de même, des justiciables, qui ne sont pas contents. Ainsi les nommés Ramaromby et Ramaroson, qui, récemment condamnés, à je ne sais combien de mois de prison, ignorent à quelle circonstance ils doivent cette faveur, le demandent à tout un chacun, sans que personne puisse leur répondre exactement pour quoi. Le maximum de ce qu’on puisse leur reprocher, c’est que le premier aurait fait (ce qui n’est permis qu’à un administrateur !) de la conciliation entre indigènes et aurait usurpé les fonctions… d’avocat défenseur !!! Quand à Ramaroson, il est le fils de Ramaromby, et, vraisemblablement, frappé, en vertu de l’adage : quales pater, talis filius. Ils se réservent de véhémentement protester, lorsque le tribunal d’appel les aura acquittés. C’est leur affaire, non la nôtre. Mais ce qu’il est de l’intérêt de tous de signaler, c’est la façon dont fut conduite, contre eux, la procédure.
Leur cas valait une semaine ou deux d’enquête, à supposer que l’on pût transformer en délits les griefs qu’on leur faisait. On les incarcéra pendant quatre mois (ils disent même qu’on les mit au régime des condamnés), avant de décider quoi que ce soit sur leur sort. Lorsque ce moment arriva, l’administrateur président, ne sachant trop ce qu’il devait faire, préféra que la question fût tranchée par quelqu’un d’autre. D’envoyer aussitôt les deux prévenus, à pied, à Fianarantsoa, sous bonne escorte, avec un mot de recommandation pour le juge de paix. Celui-ci transmit, comme il était naturel, le dossier à l’officier du ministère civil. Les prévenus étaient bien fatigués d’avoir marché. Ils se virent dire, cependant : « Que venez-vous faire ici ? Nous ne sommes point compétents, dans votre cas. » Ils durent reprendre, toujours sous bonne escorte, la route d’Ambalavao. En arrivant, ils avaient les pieds enflés. Ce ne fut pas une raison pour qu’ils ne fussent, à nouveau, immédiatement dirigés sur Fianarantsoa, où le chef de district les adressait, cette fois, au tribunal du 2e degré. Le président de cette juridiction dut faire ce qu’avait fait le juge de paix. Les prévenus boitaient bien bas. Il leur fallut tout de même, incontinent, réintégrer Ambalavao. Ils firent encore, pour des raisons obscures, un troisième voyage, et finalement un quatrième, pour voir statuer sur leur appel.
Cette petite histoire fournirait, au besoin, la matière d’un poème héroï-comique. Elle nous permet, tout au moins, de poser les questions suivantes.
Les juges des tribunaux indigènes sont-ils autorisés à prolonger autant qu’il leur plaît la détention des prévenus ?
Un juge peut-il ignorer qu’en matière de délits ou de crimes, ce n’est pas le juge de paix que l’on saisit, mais le ministère public ?
Un juge peut-il ne pas connaître les limites de sa compétence, lorsqu’il a visé les articles du code en vertu desquels il prétend poursuivre ?
Si oui : combien redoutable aux plaideurs indigènes, la justice du Décret de 1909 !
Le Progrès de Madagascar

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).

February 7, 2013

Il y a 100 ans : A travers les livres


Ialina. Idylle malgache, par le capitaine A. Garenne, de l’infanterie coloniale.

C’est une idylle charmante, interrompue brusquement par un dénouement tragique, entre un officier de l’armée coloniale et une petite indigène. Elle a pour cadre le sud pittoresque de Madagascar et les mœurs curieuses de cette région à peine connue. Elle rappelle un peu Le Mariage de Loti, tout en demeurant fort différente, tant dans la forme que dans le fond. Elle est bien, en effet, la sœur touchante de Rarahu, cette petite Antambahoake « aux yeux rêveurs », dissimulant au fond de son âme fruste et fermée, sans défense contre les superstitions héréditaires, quelque chose de l’exquise sensibilité féminine. Subissant, dès l’abord, son charme primitif, le jeune officier est captivé par la grâce de ses libres allures et de sa coquetterie instinctive, son dévouement spontané, la sincérité touchante de son amour ingénu.
Cette aventure exotique, toute imprégnée de sentiment et de poésie, se déroule parmi les enchantements d’une nature riche en fantaisies, attirante comme un mystère dangereux. C’est pour l’auteur l’occasion de mettre sous les yeux du lecteur, en une série de tableaux saisissants de couleur locale et de réalisme, la vie des indigènes, leurs mœurs, leurs superstitions. Seul un observateur profond, doué d’une sensibilité de poète, ayant vécu des années dans l’intimité de ces peuples primitifs et parlant leur langue, pouvait écrire ce livre qui instruit, sans cesser de charmer.

(Un volume in-16. Prix : 3 fr. 50. – Librairie Plon-Nourrit et Cie, 8, rue Garancière, Paris, 6e.)
Les Annales coloniales

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
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February 6, 2013

Il y a 100 ans : L'avenir de Madagascar

(Suite.)

Pendant que nos compatriotes, méconnaissant nos colonies, les dénigrent parce que pays français, et s’en éloignent pour aller chercher fortune en pays exotiques, les étrangers, eux, plus intelligents, viennent s’y établir pour les exploiter.
C’est ainsi, notamment, que des sociétés anglaises importent dans leur pays, l’alfa récolté par eux dans nos colonies de l’Afrique du Nord (Algérie et Tunisie).
Et pour ne pas aller chercher des exemples en dehors de Madagascar, c’est ainsi qu’à Boanamary, près de Majunga, s’est installée récemment, avec l’outillage le plus moderne, une magnifique usine pour l’exportation de viande congelée, frigorifiée, et en conserve, etc. Et bien que le siège social de la société qui l’exploite soit à Paris, rue Vignon, le nom de M. J. W. Towe, qui est son directeur général, dit assez son origine étrangère.
Son exemple a été suivi par une autre société qui, elle, paraît bien française. C’est la Cie Lyonnaise de Madagascar, qui a pour but « l’industrie générale du porc ». Elle a établi son usine à Antsirabe sur les Hauts Plateaux, et a son siège social à Tananarive même.
Dans la zone s’élèvent des porcs par centaines de mille, bien que les soins qu’on leur donne se réduisent à peu de chose. Du reste la brousse elle-même est peuplée de porcs sauvages, fléau des plantations voisines ; ces animaux sont de même race que les porcs domestiques malgaches; il suffit de les capturer.
Nous avons déjà vu un fait analogue pour les zébus et bœufs sauvages, qui eux aussi sont de même race absolument que ceux domestiqués, ce que l’on ne trouve nulle part en Amérique.
À ce propos, et au sujet de l’élevage en général, il y a un fait remarquable à signaler, fait qui frappe l’esprit de tout colon ayant quelque expérience des pays d’élevage étrangers. C’est l’extrême facilité avec laquelle se développent et engraissent les animaux domestiques de toute nature destinés à l’alimentation.
On peut y voir une prédisposition due à la douceur et à la régularité du climat, – dont on médit tant sans le connaître, – bien plus qu’à la nourriture elle-même, étant donné le peu de soins dont ils sont l’objet.
À noter encore qu’aucune maladie infectieuse n’est connue ici, et la circonstance que le pays est limité de tout côté par la mer assure son immunité, en raison de la surveillance qui peut être exercée dans les ports par où seulement peuvent être introduits des animaux contaminés.
Seul l’élevage des ovidés est en retard, et si ces animaux viennent bien sur les Hauts Plateaux et dans le Sud, la race demande à être absolument transformée.
Les mérinos sont très rares ; quant aux angoras et aux kachemirs, il n’en existe point bien que les troupeaux de chèvres soient assez nombreux.
Etant donné le climat et la nature des pâturages, il y aurait aussi de ce côté de bonnes opérations à tenter. Ce sont surtout des reproducteurs qu’il y aurait à introduire, car le pays possède suffisamment de brebis et de chèvres pour former la base de cheptels de rapport.
L’élevage des équidés est encore plus en retard, car ici, il y a peu d’années, chevaux et juments faisaient également défaut. Cet élevage sort à peine des premiers tâtonnements et commence à donner de bons résultats, bien que l’expérience fasse encore défaut à presque tous les éleveurs qui s’en occupent. Là il faut importer des sujets, tant chevaux que juments, à prendre de préférence parmi les races les plus rustiques. On songera plus tard aux animaux de luxe.
Il faut bien remarquer que sauf les équidés, les autres races d’animaux sont aborigènes à Madagascar. Or il ne faut pas oublier qu’aucune de ces races, absolument aucune, n’existait à l’état autochtone, ni en Amérique, ni en Australie, qui cependant sont aujourd’hui les plus grands pays producteurs et exportateurs du monde. Toutes ces races ont dû y être importées et acclimatées. Même les pâturages ont dû y être créés.
Combien d’années et de capitaux cela n’a-t-il pas demandé ? Les mécomptes, les insuccès ont été innombrables ! Mais la ténacité des colons anglais et américains a su triompher de toutes les difficultés et cela sans recevoir de leurs gouvernements d’autre appui que celui d’une entière liberté et exemption d’impôts et de droits. Là, pas de haras officiels, pas de commissions de remonte payées par le gouvernement. Chacun a pu se procurer des étalons à sa guise, mais aussi avec son argent. À Madagascar les haras de la Colonie sont, à cette heure, admirablement bien montés. Ils possèdent même des taureaux de race importés de France.
Malheureusement, à d’autres points de vue, nous sommes outrageusement tenus en lisière par l’état de qui nous devons attendre toute initiative et toute direction, qui ne sont pas toujours bien inspirées…
(À suivre.)
Le Tamatave

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
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February 5, 2013

Il y a 100 ans : Un fonctionnaire comme il en faudrait beaucoup


Le fait suivant raconté par la Tribune, est de telle nature qu’on ne saurait lui donner assez de publicité.
Peut-être à force de le redire pourrait-on amener quelque fonctionnaire à imiter celui dont s’agit. Essayons :
Au cours d’un récent voyage accompli sur la côte, il nous a été permis de découvrir un fonctionnaire qui s’ingénie à concilier les intérêts généraux dont il a la charge, avec les intérêts particuliers de chacun de ses administrés.
Ce merle blanc du fonctionnarisme est un modeste garde principal, chef d’un poste administratif d’une importante province côtière. En moins de trois ans il réalisé ce tour de force, de construire 45 kilomètres de route carrossable et de rendre navigable une rivière sur une longueur de 50 à 60 kilomètres. Et cela à l’aide des corvées réglementaires du fokonolona.
Mais là ne se borne pas l’activité de notre chef de poste qui au lieu de cultiver la ramatoa, à l’instar de bon nombre de fonctionnaires, grands et petits, a obtenu que ses administrés indigènes cultivassent, eux, une étendue considérable de rizières, depuis de nombreuses années en friche.
Aussi par les sages mesures qu’il a su prendre, par des conseils sans cesse renouvelés a-t-il réussi à transformer en une région riche, un coin de brousse où vivait misérablement une population loqueteuse.
Le fait est si rare qu’il méritait d’être signalé.
Aussi nous permettons-nous d’attirer respectueusement l’attention de M. le Gouverneur Général, sur ce modeste agent de l’administration, dont il saura, nous en sommes convaincus, récompenser le mérite.
Vidi.
Le Tamatave

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
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February 4, 2013

Il y a 100 ans : Lettre de Diégo-Suarez


Diégo-Suarez, le 11 janvier 1913.
Je vous écrivais, le 28 décembre dernier, que notre Gouverneur, de passage ici, n’avait encore pris aucune décision pour réparer les ruines causées par le terrible cyclone du 24 novembre ; le soir même, il partait soudain par le Vaucluse, le courrier des Messageries Maritimes, qui levait l’ancre à la même heure, pour la même destination, n’étant sans doute pas assez distingué pour sa haute personnalité.
Nous demeurâmes donc plusieurs jours sans connaître l’effet de sa souveraine compétence, sauf en ce qui concerne le portail de notre cimetière qu’il a cru devoir faire immédiatement reconstruire, en l’ornant d’une magnifique croix, ce qui fera sans doute bien plaisir aux musulmans qui y ont des sépultures et à tous ceux qui, à l’encontre de notre pieux souverain et du diable, n’ont pas l’intention de se faire ermites en devenant vieux.
Il est bien étonnant qu’il n’ait pas en même temps songé à réédifier la fourrière qui fut aussi détruite, car ses nombreux et remarquables arrêtés sur les chiens demeurent depuis à l’étal de lettre morte en notre bonne ville… Heureux toutous !
Ce n’est que le 5 courant, en revoyant le Vaucluse sur notre rade, que nous nous doutâmes du retour de notre potentat, ce que des amis de Nossi-Bé nous confirmèrent en nous apprenant qu’il leur avait été beaucoup promis, car ils avaient été bien plus éprouvés que nous, s’ils en croyaient les propres paroles de notre aimable Micromégas qui, en leur racontant notre désastre à sa façon, avait conclu en nous donnant l’épithète de « fumistes ».
Il y a de bien tristes vieillards chez qui la haine est aussi aveugle et puissante que l’amour sénile chez d’autres ; ce mot en est une preuve.
Fumistes !… Ce qualificatif ne convient guère, en tous cas, Monsieur le Gouverneur général, aux citoyens d’une ville située sous les Tropiques, qui ignorent les cheminées. Cet article n’est point connu chez nous, si ce n’est en ce qui concerne certains fourneaux, très vieux et hors de service, dont le Ministère nous fait parfois cadeau, et qui, pour parer leur laideur, éprouvent le besoin de s’entourer d’une imposante batterie de casseroles dont l’usage et le rétamage nous sont aussi nuisibles que dispendieux.
D’ailleurs on se doute déjà beaucoup en France qu’avec de semblables instruments l’on ne peut faire que de mauvaise cuisine ; nous ici, nous en éprouvons depuis longtemps les malencontreux effets et, si nous ne sommes pas encore tout à fait empoisonnés, si cela se borne à quelques accès de coliques, c’est que nous avons l’estomac solide et surtout l’espoir de voir bientôt cesser cet insupportable régime.
Jugez-en plutôt :
Dès son retour ici, M. Picquié, atteint comme par hasard de la goutte, dut garder la chambre et demeura invisible aux communs des mortels.
Pourquoi le Vaucluse fit-il donc escale chez nous, en ces conditions de santé de son illustre passager ? Ce n’était certainement point pour que ce dernier revienne sur l’arrêt qui nous avait condamnés à Nossi-Bé, mais bien dans un but purement (s’il est permis d’employer ce mot en pareille occasion), dans un but purement politique : celui de faire élire la liste que son ami et fournisseur, le « Diégo-Suarez », avait préparée contre celle des anciens membres de la Chambre consultative démissionnaire. À cet effet, tous les moyens furent bons : le « Grand Chef », le « Nouveau Messie » fit donner son arrière-garde et, tel Napoléon à Arcole, donna lui-même de sa personne.
Il fit d’abord venir chez lui l’un des personnages des plus aimés et des plus influents parmi nous et, malgré la douleur des rhumatismes, soudain debout et frappant de sa dextre irritée la table qui n’en pouvait davantage, il lui cria violemment : « Si la liste Castaing n’est pas élue, malheur à vous !… La Marine s’en va, les troupes suivront et jamais, au grand jamais, Diégo ainsi abandonné, n’obtiendra rien de moi. »
Les imprécations de Camille étaient sans doute plus éloquentes, mais non moins malveillantes et, au fond, cette vocifération était terrible quand même dans la bouche crispée d’un homme qui se croyait aussi puissant : les murs de l’Hôtel de la Marine où il était descendu en tremblèrent plus que sous l’assaut du dernier cyclone et l’on s’étonne encore que notre ami, devenu le bouc émissaire de toute notre cité, ait pu survivre à semblable secousse.
« Sic volo, sic jubo… » Si César disait mieux et d’une façon plus concise, c’est cependant avec plaisir que nous signalons à qui de droit ce langage remarquablement déplacé dans la bouche d’un fonctionnaire de la République que nous ne payons certes pas cent mille francs par an pour nous parler ainsi et nous menacer de la ruine à brève échéance.
Ces mémorables paroles prononcées, les seules qu’il ait sans doute à nous dire, notre monarque repartit le soir même, toujours par le Vaucluse. Mais aussitôt après ce coup de foudre digne de la belle Hélène, ce fut ici la charge effrénée de la cavalerie mercenaire ayant pour capitaine un personnage bien connu par son uniforme couleur caca d’oie. Elle fouilla partout, le terrain de la Sportive ne fut même pas épargné, elle visita quantité d’électeurs leur prédisant les plus grandes catastrophes si l’« oreille du Gouverneur » ne passait pas avec sa liste ; annonçant de terribles exécutions parmi les membres actuels de la Commission municipale et promettant, par contre, les sièges ainsi rendus vacants à ceux qui consentiraient à lui prêter leur concours. Quelques-uns s’y laissèrent prendre, dit-on ; nous attendons leurs gestes pour signaler leurs noms à la postérité !
Puis, quand on eut racolé le peu qui était racolable, on s’occupa de faire une petite réunion pour délibérer ; je reconnais qu’ils surent choisir pour ce faire un endroit bien digne d’eux : un « bateau de fleurs », où un excellent champagne fut servi par des « mousmés » peu farouches. Ils s’y oublièrent à écouter le prophète bien connu qui paraphrasa les paroles du Maître, renouvela les promesses de récompenses futures et annonça les exécutions prochaines.
Enfin, tous burent à la gloire de notre Souverain avec un tel hourra assourdissant que le son des cloches de la cathédrale ne pourra de longtemps heurter leurs oreilles d’habitude si sensibles à ce bruit.
Ce qui les heurtera peut-être davantage, c’est le résultat probable des élections de demain qui, malgré cette pression aussi officielle que scandaleuse, cet oubli des convenances les plus élémentaires en pareille occasion, sera, sans doute, celui que nous attendons du vote de libres citoyens dignes de notre France, qui subissent à regret ces manœuvres d’un autre âge et espèrent en leurs amis de la Métropole pour obtenir au plus tôt la fin de cette triste et pitoyable comédie qu’est le règne de Micromégas.
Les Annales coloniales


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February 3, 2013

Il y a 100 ans : Faits divers


En tournée d’inspection

Nous lisons dans la Tribune que le Général Riou doit quitter Tananarive lundi prochain 3 février, à destination de Tamatave, Diégo-Suarez et Nossi-Bé où il doit inspecter les troupes de ces trois garnisons.
De la Tribune également nous apprenons que M. Dussol a été déclaré adjudicataire du 2e lot du chemin de fer de Tananarive à Antsirabe, sur un rabais de 37 %.

Au district de Tamatave

C’est avec un profond déplaisir que les colons du district de Tamatave ont appris que M. Vautrain le distingué chef de ce district, allait les quitter, pour aller remplir les fonctions d’adjoint au Chef de la Province.
Comme il connaissait de longue date la région et ses besoins, les colons, qui avaient pu apprécier la cordialité de ses relations, ses connaissances administratives et son dévouement à la colonisation, attendaient de son intelligente initiative et de son zèle, les améliorations et le développement à apporter notamment aux voies de communication qui laissent tant à désirer dans ce district.
Nous souhaitons vivement que son successeur ne laissera pas ces espérances sans les réaliser.

Cercle de Tamatave

L’Assemblée Générale Annuelle des Membres du cercle de Tamatave, prévue par les Statuts, est convoquée pour le samedi 15 février prochain dans le local du cercle, à 5 heures ½ du soir.
Ordre du jour :
1° Rapport financier du Secrétaire-Trésorier ;
2° Rapport des Commissaires des Comptes ;
3° Approbation des Comptes ;
4° Renouvellement du Comité ;
5° Nomination des Commissaires de Surveillance pour 1913.
« L’Assemblée Générale se compose de tous les Membres du Cercle, qui peuvent se faire représenter à cet effet, mais seulement par un autre Membre du Cercle.
» Dans ce cas, ce dernier devra déposer son pouvoir écrit sur le bureau de l’assemblée avant l’ouverture de la séance. » (Art. 27 des Statuts.)

Monsieur Berthier

Nos lecteurs apprendront avec la plus vive satisfaction que l’état de santé de M. Berthier, l’administrateur en chef, chef de la Province et Maire de Tamatave, qui laissait à désirer depuis quelques jours, s’est considérablement amélioré.
Le Tamatave ajoute ses plus vives félicitations à celles que lui adressent ses nombreux amis et ses administrés.

Le Bagdad

Ce paquebot ne s’est pas échoué sur un banc de sable comme on a pu le croire tout d’abord. Il est arrivé le 27 janvier à l’escale d’Ambohibé et s’est placé à son mouillage habituel, à l’embouchure du fleuve Mangouky.
Mais en raison des fortes pluies qui avaient eu lieu dans l’intérieur, ce fleuve a charrié à son embouchure une grande quantité de vases et de sables qui ont emprisonné le Bagdad.
Ambohibé situé entre Tuléar et Morondava à 250 kilomètres de ce dernier, ne peut communiquer télégraphiquement que par ce point, ce qui explique la lenteur des communications. L’agence de Tamatave, prévenue le 29, a envoyé sur les lieux La Ville d’Alger de la Cie Havraise, et un remorqueur de Majunga pour le dégager.
Les passagers sont descendus à terre et les marchandises débarquées pour alléger le bateau.
La Ville d’Alger et le remorqueur arriveront demain 2 février sur les lieux. Ce ne sera donc que dans deux ou trois jours que l’on pourra avoir des nouvelles. Mais d’ores et déjà on peut prévoir qu’il ne résultera de cet accident qu’un simple retard dans le service.
Le Tamatave

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February 1, 2013

Il y a 100 ans : Le code de l'Indigénat à Madagascar


Par un arrêté du 4 décembre 1912, le Gouverneur général de Madagascar a apporté certaines modifications au régime de l’Indigénat. À qui n’est pas très averti des faits de la vie indigène et des faits pouvant résulter de l’application des textes, les différences entre l’arrêté de 1912 et celui de 1908, qu’il remplace, paraîtront insignifiantes. J’espère démontrer que les dispositions nouvelles édictées par le Gouvernement de Madagascar peuvent entraîner des conséquences assez graves pour les indigènes, sont contraires à leurs droits et s’éloignent des principes devant inspirer le régime d’exception qu’est le Code de l’Indigénat.
Un décret du 30 septembre 1887 instituait, pour les indigènes du Sénégal, non citoyens français, un système spécial de répression de certaines infractions.
Avec des prescriptions adaptées des mœurs et des règlements divers, cette institution de l’Indigénat a été étendue à la plupart de nos possessions nouvelles.
Les indigènes sont soumis, le plus souvent, et il en est ainsi à Madagascar, à une double législation : celle de leur pays d’origine et celle de la Métropole. Pour les délits et crimes commis sur leurs compatriotes, pour les affaires civiles et commerciales où des indigènes seuls sont en cause, les lois ou coutumes indigènes sont appliquées par des tribunaux indigènes. Si l’une des parties en cause est européenne, la législation et la juridiction française entrent en jeu.
Malgré le fonctionnement de deux organismes judiciaires, malgré la juxtaposition de leurs codes, il apparut que ni l’un ni l’autre de ces appareils n’était capable de prévenir ou de réprimer certains actes contraires à l’ordre et à l’intérêt publics.
Nous nous trouvons au milieu de populations récemment soumises, défiantes, faciles à émouvoir contre l’étranger occupant le pays. Des bruits alarmants, mis en circulation, sont susceptibles de troubler les esprits, de déterminer les mouvements de révolte, d’entretenir une agitation dangereuse. Les auteurs de ces excitations sont connus. La loi indigène n’a pas prévu la répression de tels agissements : la législation française, dans laquelle est inscrite la liberté de la presse et de réunion, n’est pas moins désarmée, et la procédure, le juge interprétant la loi de la façon la plus favorable à la répression, serait trop lente pour que les coupables fussent atteints. Afin de prévenir les conséquences de l’agitation, il est nécessaire que les responsables soient appréhendés au plus vite. La machine judiciaire normale défaillant, force est de recourir à des moyens qui seraient illégaux si l’autorité compétente ne les légitimait par des décisions régulières.
Le Code de l’Indigénat est le recueil de ces mesures répressives d’urgence, que les lois ne prévoyaient pas et qui ont paru indispensables à la sécurité de tous, colons et indigènes. Il est un progrès, en ce sens qu’il substitue des mesures régulières, prises dans des conditions et avec des formes prévues, aux expédients arbitraires que certaines situations imposaient aux chefs de poste civils ou militaires.
Il est bien entendu que le régime de l’Indigénat n’est que temporaire, qu’il doit disparaître le jour où la discipline imposée par la civilisation aura soumis tous les indigènes aux dispositions plus larges des lois. Chaque progrès de notre protection s’accusera nécessairement par la suppression de quelque clause désormais inutile : le nombre des infractions se réduira de plus en plus.
Le principe absolu est que le Code de l’Indigénat n’atteigne que des actes non prévus par les lois, qu’il ne contienne aucune stipulation en opposition avec ces lois ; il comblera les lacunes, il ne fera pas double emploi, bien moins encore il entrera en opposition avec la législation de droit commun.
L’arrêté de 1908 avait été rédigé en se conformant à ces directions. Les pénalités étaient réduites, le droit d’appel étendu, plusieurs des infractions, prévues dans l’arrêté de 1901 disparaissaient.
Je constate, avec quelque surprise, que le Gouvernement général, en décembre 1912, a ressuscité certaines dispositions abandonnées en 1908, et c’est sur ces innovations que je veux attirer l’attention.
Deux délits nouveaux sont créés :
1° Altération des monnaies ayant cours légal en dehors de toute intention frauduleuse et notamment dans l’intention de les marquer.
2° Achat des monnaies ainsi altérées à un taux intérieur à leur valeur nominale.
La première de ces dispositions institue un délit bien singulier, puisqu’elle punit un acte n’enlevant aucune valeur à des monnaies dont la seconde disposition proclame la libre circulation.
Je serais curieux de connaître comment l’infraction sera établie. Puisque les monnaies marquées conservent toute leur valeur nominale, puisqu’il est interdit de les acheter au rabais, ce n’est pas un délit de les détenir, et celui qui les détient ne peut être responsable de l’altération. À moins de prendre en plein travail l’auteur de la détérioration, je n’aperçois pas quand et comment s’appliquera la disposition. Par contre, je crains qu’elle soit l’occasion de dénonciations et d’injustes poursuites. Sera passible des pénalités quiconque achètera ces monnaies à un taux inférieur à leur valeur nominale. Pour qui connaît Madagascar, l’effet de cette clause sera tout autre que celui désiré. Les aigrefins exploitant l’ignorance des Malgaches de la brousse ou leurs préjuges en matière monétaire, sont des Indiens, commerçants avisés et retors. On les trouve partout, faisant métier de changeurs. Que se passera-t-il ? Le Malgache nanti d’une pièce marquée, craignant de se voir attribuer l’altération, la vendra, au-dessous de sa valeur, à l’Indien qui, lui, assimilé aux Européens, n’est pas justiciable du Code de l’Indigénat.
Ces innovations auront pour conséquence de conférer aux Indiens, pour leur plus grand avantage, le monopole de l’agio sur les pièces détériorées ou marquées.
Plus grave est la modification de l’article premier, rappelant à l’activité une infraction supprimée par l’arrêté de 1908 :
« Refus d’obtempérer, sans excuse valable, aux convocations régulièrement faites à l’occasion d’enquêtes administratives et judiciaires. »
Certains administrateurs abusaient d’un texte analogue, inscrit en 1901.
Un indigène de Tananarive (aujourd’hui naturalisé), instruit, ayant fait plusieurs séjours en France, interprète du Gouverneur général, avait été convoqué par l’administrateur-maire de Tananarive pour assister au bornage d’une parcelle de propriété lui appartenant devant être incorporée à la voie publique. En contestation avec l’Administration sur la contenance et le prix du fonds en litige, l’indigène, se conformant aux avis de son conseil, un avocat redoutant que la présence de son client fût considérée comme un acquiescement, l’indigène ne se rendit pas à la convocation. Armé de l’arrêté de 1901, l’administrateur-maire de Tananarive lui infligea huit jours de prison. Le rédacteur de l’arrêté de 1908, ému par ce fait et d’autres semblables, avait considéré les indigènes comme possédant le droit de faire défaut, dans les enquêtes administratives et judiciaires où pouvaient s’agiter leurs intérêts, et effacé la disposition par laquelle il était loisible de les contraindre à y prendre part.
Je sens la raison de ce retour à des procédés abandonnés. Des colons, pressés de faire immatriculer des terres, se sont plaints des lenteurs résultant de l’absence des indigènes convoqués par le géomètre pour suivre les opérations préalables au jugement. Ces absences étaient souvent nécessaires aux indigènes pour revoir les titres de propriété qu’ils entendaient faire valoir. Prévenus au dernier moment, ils ne sont pas en mesure d’apporter au géomètre les oppositions motivées qu’il doit mentionner dans son procès-verbal ; s’ils se rendent à la convocation sans être munis des témoignages établissant leurs droits, ils sont dépouillés. Le Tribunal, mis en face d’un procès-verbal ne mentionnant pas d’oppositions, ou les écartant comme sans preuves, prononcera l’immatriculation au bénéfice du requérant. Les terres passent ainsi des propriétaires véritables, mais n’ayant pas eu le temps de produire leurs titres, à un trop habile homme, ayant su jouer de la procédure.
Désormais, ces pratiques deviendront plus aisées. Les indigènes n’auront pas le moyen, en traînant les choses en longueur, de réunir les documents nécessaires à la défense de leurs intérêts, l’administrateur expéditif et favorable aux acquéreurs de terrains, coffrera ceux qui ne se rendraient pas aux enquêtes administratives ou judiciaires.
Le Code de l’Indigénat n’est pas fait pour favoriser certaines entreprises de spoliation. Au moment où l’Administration de Madagascar décide de concéder aux colons la riche plaine de Marovoay, grenier à riz, que les régimes précédents avaient décidé de conserver comme réserve indigène, il est singulier que, par une révision du Code de l’Indigénat, elle rende plus malaisée la défense de la propriété indigène.
Victor Augagneur
Député du Rhône,
ancien gouverneur général de Madagascar.
Les Annales coloniales

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).

January 31, 2013

Il y a 100 ans : A la dérive


Il n’y a pas que les bateaux de la Cie des Messageries qui s’échouent lamentablement : le bateau gouvernemental est à l’heure actuelle bien mal en point.
En vain M. Picquié a-t-il jeté du lest par la création de la Direction des Services civils et politiques, sa seule présence constitue un poids mort encombrant et néfaste.
Aussi bien, tout le monde s’en rend compte à l’exception de l’intéressé : la Chambre, le ministre se sont prononcés après les colons de Madagascar. Restait l’empiriste Mury, suprême et dernier espoir : ce médecin Tant mieux était suffisamment payé pour qu’il soit permis d’escompter un diagnostic favorable. Eh bien, Mury lui-même, après avoir longuement tâté le pouls du malade, l’abandonne à sa triste destinée. Il faut lire le Courrier Colonial du 24 décembre généreusement distribué aux frais de la colonie aux quatre coins de l’Île, pour se rendre compte de la désinvolture avec laquelle le fidèle Mury abandonne son petit grand homme :
« M. Picquié, y est-il dit, rentrera donc à l’époque qu’il a indiquée depuis longtemps, c’est-à-dire dans quelques mois. Il prendra alors une retraite bien gagnée »…
Et plus loin : « Augagneur, personne ne l’ignore, s’emploiera de toutes ses forces à faire nommer dans la Grande Île un de ses amis du Parlement, sur lequel il pourra compter pour reprendre là-bas une politique qui a subi un temps d’arrêt grâce à M. Picquié. »
Enfin le coup de pied de l’âne : « Évidemment l’administration de M. Picquié n’est pas sans mériter quelques critiques… Certaines des qualités, qui font un excellent inspecteur, deviennent parfois des défauts chez un gouverneur, tellement le rôle d’un administrateur et d’un contrôleur offrent de différences. »
Eh, mais nous n’avions jamais dit autre chose, nous qui n’étions pas payés pour chanter les louanges de Micromégas !
Qu’il s’en aille donc pour jouir, d’une retraite si bien gagnée ; tout retard serait aussi nuisible aux intérêts publics qu’à la réputation déjà fort compromise de M. Picquié.
Nous n’en voulons pour preuve que les dernières manifestations d’un pouvoir vacillant.
C’est ainsi que, pour anéantir l’effet d’une augmentation ministérielle des traitements douaniers dans l’ensemble des Colonies, M. Picquié vient d’avoir l’inspiration de réduire du tiers les remises allouées à Madagascar aux agents de la douane. C’est peut-être astucieux, mais combien mesquin et peu opportun ! Si les recettes de la Colonie progressent d’année en année c’est, en partie, grâce au zèle des agents modestes de l’administration des Douanes : et ce zèle sera récompensé par la réduction des remises ! On mettrait à pied le directeur d’une maison de commerce qui choisirait le moment d’une augmentation d’affaires pour rogner les remises de ses employés, et l’on aurait raison.
Second exemple : M. Picquié, qui a de loin en loin quelque idée géniale, a formé le projet de donner un statut aux associations religieuses de Madagascar. Le statut existait déjà dans la réglementation de son prédécesseur ; mais cela ne faisait pas l’affaire des missions. Il leur fallait un Concordat dans lequel, à l’instar du pape, elles traiteraient de puissance à puissance avec le Gouvernement de Madagascar. Dans ce but, un projet fut rédigé par le pape de la mission protestante française, M. Bianqui, paraphé par M. Picquié, et envoyé par ce dernier au Ministre qui le soumit à l’examen du Conseil d’État. Grave désillusion : le Conseil d’État vient de retourner le projet avec sa désapprobation.
Troisième exemple : À l’occasion du cyclone, un généreux élan de pitié pour les victimes souleva toute la Colonie ; tout Européen, anglais, grec, ou français, comme les indigènes, chacun tint à verser son obole.
Il ne serait venu à l’idée de personne, en présence surtout de l’indifférence gouvernementale, d’exclure de la distribution des secours telle ou telle victime, à raison de sa nationalité. Cette idée absurde a cependant germé dans le cerveau de notre Gouverneur : l’Administration vient d’émettre la prétention, à Nossi-Bé, d’exclure de la répartition des secours tous colons de nationalité étrangère.
Et cependant, dans la Métropole, Ministres français et anglais, notamment, échangent en toute occasion les assurances de solidarité les plus fraternelles. On nous câble que les sujets britanniques, justement indignés, ont adressé une protestation à M. le consul général Porter.
Nous n’aurons pas de complications diplomatiques, car M. Picquié se hâtera de désavouer ce qu’il a suggéré ou n’a su empêcher.
Qu’on ne croie d’ailleurs pas que notre étrange gouverneur se sentira atteint pour si peu dans sa dignité.
Il vient de s’abaisser, ainsi que nous l’avions précédemment relaté, à solliciter un certificat de bons services auprès de la population indigène.
À ce sujet, il n’est pas sans intérêt de signaler que le Comité indigène de secours aux sinistrés s’est révolté devant l’adresse qu’on présentait à sa signature, et où les rédacteurs salariés avaient jeté, comme par hasard, les critiques les plus perfides contre le précédent Gouverneur.
Quelle leçon ! M. Picquié, toutefois n’est pas homme à en profiter : à défaut des signatures de notables indigènes éclairés, il fait recueillir porte à porte, et sans distinction d’âge ni de sexe, les signatures de tous les pauvres diables terrifiés par des menaces ou éblouis par des promesses mirifiques.
À ceux qui ont des velléités de résistance, le code de l’Indigénat ; aux hésitants la promesse de voyager gratis de Tananarive à Tamatave dès l’inauguration du tronçon de Brickaville.
Et cette population, arrachée avec peine à l’influence néfaste des missions, se trouve plongée par les intrigues gouvernementales dans nos discussions politiques !
L’aberration est sans exemple : Vite qu’on nous débarrasse !
Le Progrès de Madagascar

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Janvier 1913.
L'ouvrage est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
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January 30, 2013

Il y a 100 ans : La vie administrative


À l’Officiel du 21 décembre 1912 :
Par décision du 16 décembre 1912, M. Leclerc, commis des services civils, est nommé secrétaire de la commission chargée d’étudier un avant-projet de loi organique des possessions françaises autres que l’Algérie et la Tunisie, en remplacement de M. Paulin, élève-administrateur.
Un arrêté, pris en date du 4 décembre, et réglementant le droit de répression par voie disciplinaire des infractions spéciales à l’indigénat, dispositions qui abolissent et remplacent l’arrêté du 22 juin 1908 ayant un objet analogue. Sont considérées comme infractions spéciales à l’indigénat le refus de fournir les renseignements demandés à des agents de l’autorité administrative ou judiciaire, dans l’exercice de leurs fonctions ; actes irrespectueux ou propos offensants vis-à-vis d’un représentant ou d’un agent de l’autorité, même en dehors de l’exercice de es fonctions ; propos tenus contre la France et son gouvernement ; refus ou négligence apportés à obéir aux réquisitions faites en cas d’accident, tumulte, naufrage, inondation, incendie, insurrection, brigandage, pillage, flagrant délit, clameur publique ou exécution judiciaire.
Il est, d’après cet arrêté, également spécial à l’indigénat, de se voir poursuivi pour détention pendant plus de vingt-quatre heures, sans avis donné à l’autorité, d’animaux égarés ou de provenance inconnue ; pour avoir fumé l’opium ou le chanvre, ou tenu fumerie ; spécial à l’indigénat de mettre du retard dans le paiement des impôts, de tâcher d’être trop adroit à dissimuler ses propriétés imposables pour diminuer le montant des taxes ; spécial à l’indigénat d’altérer des pièces de monnaie en les grattant d’un trait pour les marquer et les reconnaître, et de faire des quêtes ou souscriptions en dehors des établissements régulièrement consacrés au culte.
Ces infractions et quelques autres, également spéciales à l’indigénat, sont passibles de 100 francs d’amende, ou de quinze jours de prison (maximum) ou des deux. En cas de non-paiement par les condamnés, l’amende est transformée en journées de travail pénal, au taux de 1 franc par jour.
Au même J.O. :
Un arrêté précisant qu’en raison du développement que prend la culture du cocotier et pour prévenir les vols, chaque envoi supérieur à 10 noix récoltées dans la colonie, doit être accompagné d’un laissez-passer indiquant l’origine, l’expéditeur et le destinataire de ces fruits.
Un arrêté relatif aux mesures à prendre contre l’invasion et la propagation des maladies des cocotiers, mesures qui concernent tout particulièrement les cocoteraies non closes.
Une circulaire rappelant que si les candidats à des emplois de l’administration indigène ne sont admis à ces examens que sous réserve de la production de diverses pièces énumérées par les règlements organiques du personnel indigène, les postulants appartenant au moment du concours à un cadre organisé de fonctionnaires, doivent être dispensés de la présentation de ces pièces qu’ils ont déjà fournies au moment de leur entrée au service.
Une circulaire supprimant les indemnités de route aux inspecteurs et gardes principaux de la garde indigène, à l’occasion des déplacements effectués par eux en qualité d’officier de police judiciaire, déplacements qui, déclare la circulaire, rentrent dans la catégorie des services incombant à la garde indigène.
Un arrêté portant organisation dans la commune de Tananarive de l’inspection sanitaire des viandes foraines et imposant ces viandes d’une taxe spéciale.
Un arrêté modifiant les limites de la commune de Diego-Suarez, de manière à distraire du territoire qu’elles englobent tous les terrains suburbains ainsi que la zone urbaine d’Anamakia et une partie de celle de Cap Diego.
Une commission est instituée à l’effet de procéder gratuitement à la visite des paratonnerres installés sur les bâtiments communaux et sur les maisons particulières de Tananarive, dont les propriétaires ou locataires en feront la demande.
Désormais, plus aucune catastrophe n’est à craindre.
M. Picquié a, une fois de plus, sauvé la Grande Île.
Un crédit provisoire de 1 million 522 879 fr. 63 est ouvert à l’ordonnateur du budget local au titre du chapitre 25 (dépenses d’ordre) du budget ordinaire de l’exercice 1912, en vue de l’avance, au titre du dit exercice, des provisions nécessaires au paiement des semestrialités des emprunts de 14, 46 et 15 millions, afférentes aux échéances des 25 février et 1er mars 1913.
Le conseil d’arbitrage d’Ambato­lampy est et demeure supprimé.
La juridiction du conseil d’arbitrage d’Antsirabe est étendue au territoire du district d’Ambatolampy.
Les bureaux de Tananarive, Ambositra, Andovoranto, Antsirabe, Betroka, Diego-Suarez, Fianarantsoa, Fort-Dauphin, Maevatanana, Mahanoro, Majunga, Mananjary, Nosy-Be, Tamatave, Tulear, Vatomandry, Maroantsetra, Mandritsara, Vohemar, Analalava, Farafangana, Anivorano sont admis à l’échange des mandats télégraphiques avec la France et l’Algérie.
Le poste de coupure de Rantabe est transformé en bureau postal et télégraphique auxiliaire de 3e catégorie et est rattaché au bureau de plein exercice de Maroantsetra.
Les Annales coloniales

Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Janvier 1913.
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January 29, 2013

Il y a 100 ans : Commerce de Mananjary


Le mouvement du port de Mananjary a atteint, pendant le mois d’octobre 1912, 1 480 tonnes représentant une valeur de 1 070 000 francs. Les transactions effectuées dépassent de beaucoup en quantité et en valeur celles de chacun des mois de la même année.
Le total général du commerce de Mananjary s’élève ainsi, au 1er novembre, à 9 353 tonnes valant 7 343 000 francs. Il présente une augmentation de près de 1 000 tonnes et une plus-value de 2 100 000 francs sur les chiffres du mouvement commercial pendant toute l’année 1911.
Si l’on considère que ce dernier mouvement était supérieur de 15 % en tonnage et de 5 % en valeur à celui constaté en 1910, on n’a pas de peine à distinguer la progression et la régularité du développement commercial de cette région de Madagascar.
Pendant le mois d’octobre, les principaux articles à l’importation ont été les tissus qui figurent pour une valeur de 454 500 fr., les métaux et les ouvrages en métaux qui, avec les bois, entrent pour 40 000 francs dans le montant des achats.
Les produits qui ont alimenté les exportations sont : les peaux, 160 000 francs ; la graisse, 60 000 francs ; le riz, 45 000 francs ; le manioc et les haricots, 40 000 francs ; le café, 10 000 francs ; le graphite, 10 000 francs. Enfin, les expéditions de cire et de raphia se sont élevées à 18 000 francs.
La route de Mananjary est de plus en plus fréquentée par des véhicules de toute sorte qui transportent à la montée les ballots de toile, le sel, le vin, le pétrole, le ciment et qui descendent des hauts plateaux le riz, le manioc, les peaux, la graisse, le graphite.
Le développement de la province de Mananjary s’accusera encore d’une façon plus sensible avec l’ouverture des Pangalanes du Nord et du Sud qui permettront bientôt des relations faciles, directes et rapides vers Tamatave d’une part, vers Farafangana de l’autre.
La Quinzaine coloniale

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January 28, 2013

Il y a 100 ans : Une histoire amusante


Une amusante histoire nous arrive d’Algérie. Une usine frigorifique d’Arzew avait fait venir de Madagascar 72 zébus afin de les mettre d’abord à l’engrais et ensuite dans les établissements frigorifiques, pour être débités à la consommation.
Cette tentative était fort intéressante, en raison de la cherté de la vie, les zébus étaient bien meilleur marché que les bœufs qu’il faut importer de France. Mais il existe un arrêté du gouvernement général qui dispose que toutes les bêtes importées en Algérie doivent être abattues dans les cinq jours, et les malheureux zébus allaient être sacrifiés quand le préfet d’Oran, en raison de l’intérêt de cet essai, s’entremit auprès du gouverneur et obtint que les zébus continueraient à engraisser, sous la réserve que le troupeau resterait en observation et que les ruminants seraient soumis à la tuberculinisation.
Il paraît d’ailleurs que la viande de zébu est exquise, et elle coûte moitié moins que le bœuf.
Le Gaulois

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