September 3, 2015

Madagascar dans la rentrée littéraire (2) Douna Loup

Photo Elisa Larvego

La première chose qui frappe dans votre roman, c’est l’écriture, poétique, pleine de ruptures. Pourquoi avoir choisi ce type d’écriture ?
C’est venu en partie du sujet, du fait que mes deux personnages sont des poètes. J’avais donc envie d’amener l’écriture de plus en plus vers la poésie, que le rythme et les sonorités soient très importants. Et j’ai cherché à rejoindre l’oralité de la poésie malgache.
Le titre, déjà, possède une charge poétique. Avez-vous réussi à imposer facilement L’oragé à votre éditeur ?
J’ai peut-être de la chance avec mon éditrice, elle a tout de suite aimé ce titre. Il est venu plutôt tardivement, une fois que j’avais fini le livre. En cours d’écriture, j’avais un titre de travail en malgache.
Vous étiez venue à Madagascar avant de penser à écrire ce roman ?
Oui, à dix-huit ans, en 2000-2001, j’y ai passé six mois en bénévolat, en grande partie à Tana et un peu sur la côte, dans des orphelinats. C’était mon premier contact avec Madagascar.
Avez-vous découvert Rabearivelo à ce moment, ou plus tard ?
Je ne l’ai pas découvert à mon premier voyage, ça a été quelques années après. Je suis revenue à Madagascar en 2007, j’avais entre-temps noué d’autres liens avec le pays, parce que mon mari est malgache. Mais il ne vivait plus à Madagascar quand nous nous sommes rencontrés, au cours d’un voyage. Nous sommes revenus avec notre première fille, puis je suis revenue en 2012 dans l’idée du projet autour de Rabearivelo. Je l’ai découvert dans la bibliothèque de mon mari, en fait.
C’est plus compliqué, probablement, pour Esther, qui est beaucoup moins connue ?
Oui, elle est arrivée alors que j’étais déjà dans le projet autour de Rabearivelo. C’est dans Les Calepins bleus, qui ont été publiés il n’y a pas très longtemps, que j’ai découvert Esther. Il a traduit quelques-uns de ses poèmes, il a écrit sur elle. Il y avait assez peu de choses mais je me suis assez vite intéressée à elle. J’ai beaucoup inventé, mais c’est ce qui me plaisait, parce que cela reste un roman.
On a l’impression qu’à ce moment, votre projet a basculé et qu’elle est devenue le personnage principal…
Oui, elle a pris de plus en plus d’importance, elle est un peu le centre même si Rabearivelo reste le point de départ et le point d’arrivée. On sait que Rabearivelo s’est suicidé mais je me suis dit assez vite que je n’allais pas traverser toute sa vie en un roman. Il fallait que je choisisse une période.
Ils ont deux démarches assez différentes : il lit beaucoup les poètes français, il publie en français à l’étranger ; elle est, au contraire, dans une radicalité qui lui interdit d’écrire en français.
C’est ça aussi qui m’a intéressée. Il y a des années que j’ai envie d’écrire sur la période coloniale à Madagascar. On connaît finalement très peu cette histoire et Rabearivelo incarne quelqu’un qui n’est pas anticolonial, qui a une double appartenance entre la langue française et la langue malgache et qui, à mes yeux, contient toute cette ambivalence. Il y a, surtout à la fin de sa vie, un désespoir devant l’absence de reconnaissance. Il symbolise beaucoup d’éléments de cette période. Esther a, en effet, une position complètement différente.
Leurs différences ont-elles apporté une complémentarité dans le regard sur l’époque ?
C’était une façon de questionner l’époque à travers deux positions différentes, oui.
Pendant la colonisation française, l’instruction des Malgaches était considérée comme un danger…
En effet, j’ai lu beaucoup de journaux de l’époque et j’ai utilisé des extraits d’articles.
Esther est transgressive aussi parce qu’elle est homosexuelle. Avez-vous découvert ce thème en cours de route ou bien aviez-vous l’intention de l’introduire d’une manière ou d’une autre ?
Non, au départ, je n’avais pas l’intention de l’introduire. En fait, sur Esther, je n’affirme rien, je ne sais pas ce qui est réel ou non. C’est venu par une allusion que fait Rabearivelo dans ses Calepins bleus et, vu le parcours que j’avais envie de creuser avec Esther, par rapport à l’écriture et à un positionnement transgressif, il y avait une quête dans l’intime qui s’est imposée au fil du temps.
Votre roman occupe le territoire. Antananarivo est évidemment le lieu principal mais on passe aussi par l’ouest et l’est de Madagascar. Etiez-vous habitée par ce qu’on pourrait appeler un sentiment géographique ?
J’avais envie de faire exister une géographie. Je n’avais pas l’intention d’écrire un roman historique traditionnel, mais je voulais faire sentir une époque et une géographie, tout en étant très proche de personnages avec lesquels on est plutôt sur des thèmes très intimes. Esther avait passé quelque temps à Mahajanga, puis cette autre femme est venue de l’est, donc cela permet de traverser l’île.
La maturation de ce roman, jusqu’à la fin de l’écriture, a-t-elle pris beaucoup de temps ?
L’idée d’un livre sur Madagascar, cela faisait longtemps. Le projet s’est précisé en 2011, l’année suivante j’étais vraiment dans les recherches, les lectures, j’ai rencontré du monde, et j’ai commencé à écrire en automne 2013. J’ai mis du temps à me sentir légitime, c’est-à-dire d’avoir suffisamment intégré toute cette matière pour me sentir libre d’inventer. Et j’ai mis à peu près une année et demie à l’écrire.
Vous citez, dans le roman, un article d’Esther écrit en français. Il n’y a rien d’autre ?
Cet article, c’est moi qui l’invente.
Avez-vous encore des projets littéraires liés à Madagascar ?
Je suis partie dans l’idée qu’il y aurait plusieurs livres autour de la vie de Rabearivelo, sur différentes périodes. Ce n’est pas vraiment une suite, mais avec un autre personnage, peut-être. On verra si l’idée se concrétise…

Demain, l'entretien avec Michaël Ferrier.

No comments:

Post a Comment