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December 18, 2019

Quatre écrivains malgaches vus par Jean-Louis Cornille

Après Le murmure des îles indociles, Jean-Louis Cornille donne, aux mêmes Éditions Passage(s), un nouvel ouvrage dont le sujet nous touche de près : Lémures, sous-titré Hantologie de la littérature malgache en français. Hantologie, une coquille ? Que nenni ! Pour l’auteur, les écrivains étudiés dans son essai sont littéralement hantés par la littérature française – ou traduite en français. Qu’ils s’en imprègnent comme Rabemananjara ou Rabearivelo, qu’ils la bousculent comme Raharimanana, qu’ils la tiennent à distance comme Ravaloson, elle est le point de repère constant.
Le livre s’ouvre sur la Lucarne de Raharimanana, son premier recueil de nouvelles (mot que Cornille place, à juste titre, entre guillemets, tant l’imprégnation poétique est forte), on reviendra au même écrivain avec, précisément, Revenir (comme Ulysse), avant la « So(r)tie » et après avoir traversé les vers de Rabemanjara, les romans de Rabearivelo, les nuits de Ravaloson.
Le choix est (volontairement) restreint, l’essayiste a malgré tout fait du chemin depuis son livre précédent, il y a deux ans – il reconnaît volontiers ici qu’il lui restait, à l’époque, beaucoup de lectures à découvrir et il s’est bien rattrapé. Mais les cinq chapitres sont fouillés, bourrés de références extérieures (l’inflation de celles-ci est un passage obligé, probablement, pour un universitaire) parfois tordues avec enthousiasme pour coller au propos. C’est très conscient : « Nous sommes tantôt le chien qui ne lâche pas son os, tantôt le pou qui s’incruste sous le poil de la bête. » Pareille justification fait pardonner ce qui semble quand même, de temps à autre, une entreprise de brouillage plutôt que d’élucidation.
Superposer une nouvelle de Le Clézio à une autre de Raveloson, est-ce encore lire celle de l’écrivain malgache ? Poser la question n’est pas y répondre, d’autant moins que les liens créés avec d’autres œuvres révèlent un goût très sûr dans les choix littéraires. Cette nouvelle de Le Clézio, par exemple, « Villa Aurore », tirée de La ronde et autres faits divers est lumineuse et puissante. La fréquentation des chiens « féraux » par Jean Rolin a donné le splendide Un chien mort après lui. Du coup, voici de belles pistes ouvertes pour les lecteurs et lectrices désireux d’élargir leurs horizons.
Et puis, ce que l’essai pourrait avoir de lourdeur universitaire est compensé par de belles éclaircies dont Jean-Louis Cornille pourrait prendre conscience afin de donner, un jour peut-être, une étude plus dégagée des contraintes, dans le genre de ces lignes (on aurait pu en citer d’autres) : « Les livres, qui ne s’écrivent jamais seul, se parlent par-dessus nos têtes, conversent à notre insu, tels des fantômes : nul n’est à l’abri de leurs visitations. Un texte s’avère toujours plus intelligent que celui qui s’en proclame l’auteur et qui ne fait en réalité souvent qu’en accompagner le dire secret. »

August 19, 2010

Patrick Cauvin, auteur de "Villa Vanille", est mort

L'écrivain Claude Klotz, mieux connu sous son pseudonyme Patrick Cauvin, est mort la semaine dernière à l'âge de 77 ans. Un de ses romans n'est pas passé inaperçu à Madagascar. Villa Vanille, en effet, évoquait les événements de 1947. Le livre était paru en 1995 et, à l'époque, Patrick Cauvin n'avait jamais mis les pieds à Madagascar. Quand il y est venu présenter son livre, les choses se sont, semble-t-il, mal passées. Dans la notice que lui consacre Wikipédia, on trouve d'ailleurs une allusion à son passage dans la capitale: "Le séjour s’avère être cauchemardesque pour l’écrivain. Il découvre, une fois sur place, que la presse locale est unanimement négative à son égard et passe, de peur d’être la cible de bandits de grands chemins, ses journées confiné dans sa chambre d’hôtel."
Je n'étais pas, à cette époque, installé à Madagascar - et rien ne me laissait supposer que cela arriverait un jour. J'avais donc rencontré Patrick Cauvin pour le faire parler de Villa Vanille sans connaissance particulière du sujet qu'il y abordait.
Je vous restitue l'article que j'avais publié le 14 avril 1995 suite à cette rencontre.

Villa Vanille, le nouveau roman de Patrick Cauvin
Madagascar, 1947: la fiction pour restituer la réalité. Patrick Cauvin réécrit et fait découvrir un épisode peu connu de l'histoire coloniale française.
Les pays occidentaux ont tendance, souvent, à minimiser voire à évacuer complètement les pages de leur histoire qui ne les montrent pas sous leur meilleur jour. Pour peu qu'il soit possible d'oublier sans culpabilité, voilà tout un passé jeté à la trappe! Il en va ainsi de la sanglante répression que les colonisateurs français imposèrent à Madagascar en 1947: qui a été marqué par ce que n'en disent pas les ouvrages de référence, dans leur très grande majorité? Cent mille morts, compte Patrick Cauvin, qui n'a pas pu résister à l'envie de raconter cela. Il a découvert son sujet en le confrontant à sa propre expérience:
En 1960, je sortais de la guerre d'Algérie et je suis devenu professeur dans un CET de banlieue. Là, j'ai rencontré un autre professeur, d'origine malgache, qui, au bout d'un mois, m'a dit: Tu ne parles jamais de l'Algérie... Lui ne parlait jamais de Madagascar, mais il a fini par me raconter la répression de 1947. J'y pense depuis trente ans... J'ai été très impressionné par ce sujet, et j'avais envie de faire un roman à l'intérieur de ce cadre.
C'est Villa Vanille, un gros livre qui ne ressemble pas trop à la production habituelle de Patrick Cauvin chez qui on a coutume de trouver des histoires tendres, de l'amour servi en grandes quantités, mais guère de réflexions sur la manière dont tourne le monde. Notre métier, c'est de surprendre, dit-il. Sans doute, ce livre-ci va-t-il troubler le lecteur de Cauvin. Mais je ne sais pas si c'est un tournant pour moi, je ne crois pas aux tournants. Cela dit, il y a quand même une histoire d'amour. Cauvin oblige!
Les colons tentent, dans Villa Vanille, de préserver leur pouvoir et leurs privilèges, dont la plupart d'entre eux ne comprendraient pas la disparition. Ils ne craignent pas d'utiliser pour cela les moyens les plus violents, d'enrôler des milices qui effectuent le sale travail. C'est vrai qu'il y a aussi de l'amour dans ce roman. Mais on mentirait en essayant de faire croire que c'est le thème le plus présent à l'esprit du lecteur. Et ce qui est le plus personnel à l'auteur est aussi le plus fort. Si je n'avais pas fait l'Algérie, je n'aurais pas écrit ce livre. J'ai connu des colons, j'ai senti chez eux cette impression d'un paradis perdu. Mais il y avait différentes espèces de colons...
Au fond, on pourrait se demander pourquoi ce n'est quand même pas l'Algérie qui a été le cadre historique choisi par Cauvin, pourquoi il est allé chercher si loin, dans un pays où il n'a jamais mis les pieds (Je me suis privé des paysages, dit-il), un sujet qu'il aurait pu rapprocher de ce qu'il connaissait mieux.
Quand un moment comme celui-là est ainsi occulté, c'est le rêve pour le romancier. Il est très libre, ce qui n'aurait pas été le cas face au mythe colonial indochinois ou algérien. L'équivalent n'existe pas à Madagascar, pour des raisons économiques. Madagascar, c'était la vanille... Alors, les journaux de l'époque en parlaient très peu, ça n'intéressait personne.
Il y a du souffle dans cette grande aventure terrible, vécue sous plusieurs angles à la fois par les différents personnages. Ils se déchirent, se rapprochent, rencontrent l'horreur qui les marquera pour toujours. Sous la forme d'un roman populaire qui se lit à toute allure, Patrick Cauvin fait ici ce qu'on peut appeler une œuvre de salubrité publique. Il faut lui en savoir gré.

Trois ans plus tard, quand l'adaptation télévisée du roman est sortie, j'étais ici, et donc mieux placé pour comprendre l'accueil plutôt glacial réservé au livre. Paradoxe: le téléfilm a été diffusé peu de temps après à la télévision malgache (sur TVM, si je me souviens bien). J'ai donc écrit un autre article, paru le 6 juillet 1998, que voici.

Cinquante ans après, un souvenir toujours douloureux à Madagascar
Les îles de l'océan Indien se trouvent actuellement placées dans une grande période de commémorations. Cette année, comme dans d'autres parties du monde, on y célèbre le cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage. L'an dernier, à Madagascar, on se souvenait des tragiques événements de 1947, peu présents dans les manuels d'histoire de France, mais très marquants en revanche dans le chemin vers une indépendance enfin acquise en 1960. C'est dans ce cadre que se situe Villa Vanille qui, avant d'être un téléfilm, fut un roman de Patrick Cauvin.
Les troubles de 1947, le colonisateur les appelle une révolte. Les Malgaches récusent le mot et lui préfèrent celui d'insurrection. Les points de vue, à l'époque, étaient tellement peu conciliables qu'ils ont provoqué des combats violents, une répression d'une brutalité insensée et ont débouché sur la mort de 90.000 à 100.000 personnes, selon les chiffres les plus fiables. On comprend que cela puisse laisser des traces. Et que la démarche de Patrick Cauvin ait été accueillie, à Madagascar, avec circonspection.
Mettant en scène des personnages essentiellement français, Patrick Cauvin a, aux yeux des Malgaches, perpétué un mensonge historique. Cela dit, une universitaire malgache, Nivoelisoa D. Galibert, auteur d'un savant ouvrage consacré à la littérature qui s'est écrite à propos de son pays, faisait récemment remarquer que, sur le sujet, les écrivains nationaux avaient de leur côté gardé le silence. Celui-ci vient certes d'être brisé par Raharimanana dont le nouveau recueil de nouvelles, Rêves sous le linceul (Le serpent à plumes), évoque la répression de 1947. Il le fait, bien entendu, en termes beaucoup plus durs que Patrick Cauvin.
Celui-ci, pourtant, était convaincu de rendre justice à un peuple alors opprimé. Mais comment restituer une telle violence inscrite, à l'époque, dans la logique de la colonisation?
Il convient donc de savoir que, pour être pétri de bonnes intentions, Villa Vanille passe à côté de son sujet. A moins que celui-ci soit l'histoire de ces hommes auxquels les Malgaches reprochent leur attitude...

July 24, 2009

Les cauchemars du gecko: le cauchemar de la critique?

Les premiers articles sont sortis dans la presse à propos de la pièce de Raharimanana, Les cauchemars du gecko. La tendance générale n'est pas à l'enthousiasme.
Sur son blog Parathéâtre, Philippe Couture évacue le sujet d'un revers de la main pour mieux passer à autre chose:
Il s'est produit quelque chose de l'ordre d'une libération hier soir au Cloître des Célestins. Disons qu'Un peu de tendresse bordel de merde arrivait à point nommé, après toute une série de pièces sur la guerre et quelques ratages qui ont laissé les spectateurs sur leur faim (et en proie à l'épuisement). Ciels, de notre bien-aimé Wajdi, est malheureusement du nombre, comme Les cauchemars du gecko, une pièce de Jean-Luc Raharimanana dont je vous épargne les détails.
C'est ne rien dire tout en laissant clairement entendre qu'il n'a pas apprécié.
Dans L'Humanité, Jean-Pierre Léonardi trouve bien que le gecko est un "sympathique reptile". Mais...
Si l’on fréquente volontiers les plages d’humour noir (aux deux sens) éparses dans le spectacle, on a plus de difficulté avec la rhétorique à l’oeuvre dans le champ de la revendication et de la dénonciation brute, ce malgré la forte présence d’interprètes alternativement aptes au lyrisme sec et à l’ironie froide, sur fond de pensée politique, fût-elle après tout un tantinet confuse.
Fabienne Darge, pour Le Monde, note la qualité des comédiens et "le beau travail aux guitares de Rija Randrianivosoa". Mais, elle aussi...
Que le néocolonialisme soit encore une réalité, doublée par celle de la mondialisation, ne transforme pas pour autant le constat en spectacle de théâtre. D'abord parce que le texte, très inégal, poétique par éclats mais troué de faiblesses et de facilités, se dilue à trop vouloir embrasser tous les maux de l'Afrique.
Et de conclure:
Raharimanana et Bédard restent prisonniers d'une logique de la dénonciation qui, au théâtre, n'est malheureusement jamais très utile.
On va quand même attendre d'autres commentaires...







July 7, 2009

Raharimanana à Avignon et dans la presse

Ce sera un des événements du Festival d'Avignon, s'il faut en croire les articles qui précèdent le calendrier: Raharimanana sera présent à plusieurs titres dans ces grandes rencontres du théâtre français et international. Sur ce théâtre-monde, vous avez déjà pu lire, si vous avez l'habitude de fréquenter ce blog, les réponses que l'écrivain a faites aux quelques questions que je lui ai posées. C'était en avril.
Aujourd'hui, je vous propose de découvrir deux nouvelles présentations.
L'une paraît sur le site des Inrocks. L'article met l'accent sur les guerres qui seront portées à la scène. Thierry Bedard y parle de 47.
“Cette guerre coloniale oubliée a laissé quelque 60.000 morts en terre malgache et a été définitivement rayée de notre mémoire, précise Bedard. Il est fondamental de se demander comment cette insurrection est née et pourquoi elle a été réprimée dans un bain de sang, car une génération entière de l’élite malgache de cette époque a pratiquement été éliminée."
On doit l'autre article au Monde, dans un rapprochement entre Madagascar et le Congo. Raharimanana y parle notamment de son travail sur la langue:
"Je viens d'un espace qui a beaucoup à dire, observe Jean-Luc Raharimanana. Dans ma langue, je mêle des éléments très divers, en écho au désordre du monde actuel. Si je mettais ces éléments dans une narration classique, ce serait terriblement démonstratif. Et je ne pourrais pas travailler la langue de la même manière, alors même que dans notre monde, c'est justement la langue qui est devenue le nouveau lieu du combat : les mots - celui de libéralisme, par exemple - ont perdu leur sens étymologique pour en acquérir un nouveau, totalement idéologique."
Deux textes à lire en attendant le spectacle...


April 2, 2009

Les cauchemars du gecko : trois questions à Jean-Luc Raharimanana

Du 20 au 25 juillet, la nouvelle pièce de Jean-Luc Raharimanana, mise en scène par Thierry Bedard, Les cauchemars du gecko, est programmée au Festival d'Avignon.
Personne ne pouvant en parler mieux que l'auteur lui-même, je lui ai posé trois questions...

Après les tribulations de 47, la programmation des Cauchemars du gecko à Avignon constitue-t-elle une sorte de revanche ?

Une revanche ? Non... Mais un joli pied de nez oui. De plus 47 est programmé aussi dans le festival Contre-courant (le 17 juillet, Festival dans le festival d'Avignon). Disons que dès les premières tribulations, nous avons essayé, Thierry Bedard et moi, de voir plus loin et de toujours revenir à l'essentiel, c'est à dire l'objet-théâtre et la question de l'insurrection. La censure de fait exercée par le ministère français des affaires étrangères n'était qu'un épiphénomène. Avec le recul, cela nous a même mis en pleine lumière (voilà pourquoi les censures sont souvent idiotes, elles font connaître ce qu'elles sont censées voiler). Bref, nous avons continué à travailler. La piste Avignon existait avant toutes ces agitations, elle s'est concrétisée, c'est tout.
Mais ce qui me plaît le plus dans la programmation des Cauchemars du gecko à Avignon, c'est de me retrouver à ma vraie place, en collaboration avec des théâtres, avec des artistes, des comédiens, des musiciens, en somme avec la Scène nationale de Bonlieu à Annecy d'abord, au festival d'Avignon ensuite. Ces derniers temps, je me trouvais à des places et postures que je n'ai pas réellement choisies : défendre la mémoire malgache contre les négations de toutes sortes, répondre à des questions qu'on pose normalement à des historiens, des politiques, des économistes.. la pauvreté, la violence, ces événements absurdes qui arrivent au pays. Comme le gecko donc, retomber sur mes pattes et m'accrocher à mes parois...

A lire les extraits du travail en cours publiés dans Langue vive, Le cauchemar du gecko semble une sorte de prolongement de Za. Est-ce le cas ?

Je ne sais pas. Un moyen d'en sortir je dirais ? L'écriture de Za m'a amené à des endroits que je ne voulais/pouvais pas trop quitter. je ne savais pas comment continuer à écrire après. Je ne voulais pas non plus produire un Za 2. En tout cas, la question de la voix reste toujours primordiale. Comment une écriture peut physiquement nous atteindre. Une expérimentation qu'il m'est difficile de théoriser. Et face à la déréliction du monde, à la colonisation de la langue par cette pensée relativisante (où tout est faussement libre, impertinent, etc), comment se frayer un corps à travers tous ces bruits et langages nous chosifiant...

Le théâtre, c’est l’oralité directe, de la scène au public. Est-ce plus facile, plus efficace, sous cette forme que dans un roman où le lecteur se trouve seul face à un texte muet dont le chant ne peut naître que dans sa tête ?

Un chant intérieur, c'est tout aussi beau... Dans un roman, on a le choix du chant, on peut revenir en arrière, on peut laisser, on peut sauter une page, on peut réinventer. Au théâtre, le public n'a pas vraiment le choix, il écoute un chant, le chant du comédien, du metteur en scène. Le plus difficile, c'est de multiplier ce chant, d'emporter le public à un autre endroit qui le surprenne, quitte même à un autre endroit qu'il ne veut pas et de l'y confronter à d'autres possibilités du dire. Je ne sais pas quel est le plus efficace. Et efficace en quoi ? Je n'ai plus de pouvoir à partir du moment où je pose ma plume. C'est au metteur en scène de bâtir ce qu'il veut. Et moi-même, auteur, je deviens public, un peu particulier mais public néanmoins. Pour répondre réellement à ta question, il faut que je me fasse Artaud et me confronter directement au public, sans passer par les comédiens... Ca viendra peut-être.

December 30, 2008

Langue vive et Madagascar

Je reçois aujourd'hui le premier numéro de Langue vive, une revue littéraire liégeoise (donc belge, pour ceux qui ne situent pas Liège), à l'origine de laquelle se trouve notamment Ben Arès, l'écrivain dont je vous ai déjà parlé il y a quelques mois, quand il arpentait les terres malgaches en vue d'écrire un roman.
Sa revue s'appelait alors Matière à poésie et, après 21 numéros sous ce titre, elle vient d'être rebaptisée. Relookéée, aussi, oh! le vilain mot - mais le joli objet: sous un emboîtage sobre et élégant, chaque auteur fait l'objet d'un petit fascicule séparé.
Pour établir le sommaire avec ses complices David Besschops et Antoine Wauters, Ben Arès a fait une ample moisson à Madagascar.
On trouve donc, dans cette livraison de décembre 2008, Jean-Luc Raharimanana et Jean-Claude Mouyon, des noms familiers aux lecteurs de ce bongs.
Le premier donne Les cauchemars du gecko, treize pages extraites d'un travail futur avec le metteur en scène Thierry Bedard. Le texte s'ouvre sur une sorte de prolongement de Za:
Eskuza-moi ai-je écrit. Eskuza-moi. Car je me sens encore de vous. Lié. La corde au cou. Eskuza-moi, je m'enlève de là. Bien que je vous aime. Bien que je suis de vous. Encore. Toujours. De vous, je le suis. Le serai toujours. Je me tire. Vrillant ma corde. Reniant l'imposture collective. Je m'enlève de là. Je me tire oui, je me vire, la mort de tout côté, la sombre histoire que l'on se conte, vertige de nos mensonges: contrôler la vie, organiser nos jours, et faire croire que tout va bien, tout ira bien dans l'occultation de nos nuits et la bascule dans les lunes millénaires. Politisons. Politis. Réglons la cité. Réglons l'incapacité de l'homme à n'être pas homme pour l'homme, prédateur...
De Jean-Claude Mouyon, Langue vive publie un extrait de la deuxième partie de Roman vrac. Que vous connaissez probablement. Mais voici comment l'auteur introduit le texte, à l'usage de ceux qui n'ont jamais rencontré ses livres:
Ca fait drôle de rencontrer des écrivains à Tuléar où les lecteurs ne remplissent pas les doigts des deux mains alors que les autres occupent la planète, hormis les salauds qui nous gouvernent.
Ben Arès est passé par là. Il vient de lire Roman vrac que Pierre Maury a publié dans sa Bilbiothèque malgache, une entreprise littéraire de fou, autant dire de passionné (et pardon pour le pléonasme). Voyez-vous, le sable, la poussière, la latérite et l'immensité n'empêchent pas d'écrire. Les sons, la lumière, les couleurs, les filles et la musique nous y obligent. La bière et le rhum, aussi. Qu'on est loin de la Hongrie même si on est gaulois. Roman Vrac a été écrit sous Chirac et Ratsiraka. Le temps a passé sur eux, il passera sur nous. On pourra tous dire: "j'y étais." Est-ce pour cela qu'il fallait écrire cette première trilogie?
Allez, c'est pas grave, on fera mieux la prochaine fois. Salut Ben, bises et bénédiction animiste du grand Sud pour ta poésie et la revue Langue vive.
Et puis (je vais le dire tout bas), Ben a jugé bon de publier aussi quelques pages de moi, le début d'un recueil de poèmes qui s'appellera, le jour où il verra le jour, Dix figures d'un récit en mouvement. Merci, Ben. (Il fait ce qu'il veut, non?)

December 29, 2008

47: Raharimanana s'exprime

C'est dans L'Express de Madagascar aujourd'hui, et annoncé en page une: Jean-Luc Raharimanana revient sur les obstacles rencontrés par la pièce 47 que Thierry Bédard a tirée de son livre.
Sans remettre en cause le soutien que l'ambassade de France à Madagascar et le CCAC ont apporté à la création du spectacle, il s'interroge sur la manière dont la programmation de celui-ci a ensuite été écartée, de fait, d'une tournée dans la région.
Le titre donné à l'entretien par Hernan Rivelo, le journaliste qui a recueilli les propos de l'écrivain malgache, est clair: Jean-Luc Raharimanana: "La déprogrammation de 47 est une censure de fait".
Il faut lire l'article. En voici quelques mots, à propos de la mémoire:
La mémoire ne fait-elle pas partie de l’identité d’un peuple ? Un régime totalitaire commence toujours par effacer la mémoire. Ainsi la colonisation a voulu nous faire croire que nous étions de jeunes pays, sans mémoire, sans passé, un pays à doter d’une culture moderne, celle du maître en définitive, installant ainsi la domination.


October 3, 2008

Où est le scandale ?


Le Journal de l'Ile de la Réunion l'annonçait il y a quelques jours:
Un enseignant de lettres a été suspendu vendredi par le rectorat : le texte qu’il avait donné à ses élèves a été jugé “tendancieux, polémique et provocateur”. Le rôle critique de la nouvelle de Jean-Luc Raharimanana, qui dénonce les massacres et leur médiatisation, n’a pas été spontanément perçu par les parents.
Raharimanana, polémiste et provocateur?
Certes, je crois même qu'il serait prêt à le revendiquer. Sa littérature n'appartient pas à la catégorie lénifiante. Elle n'est pas de tout repos. Elle bouscule, secoue, fournit matière à réflexion - cette réflexion qui, à moins que je me trompe beaucoup, est une des bases de la formation prodiguée par l'enseignement.
Ah! il y avait un autre qualificatif: "tendancieux"... On peut mettre tout ce qu'on veut, et même le contraire, là-dedans. En ce qui me concerne, si cela veut dire que Raharimanana est "tendance", à la mode, ça me va...
L'extrait de Rêves sous le linceul donné à lire à des jeunes d'une quinzaine d'années est âpre, douloureux.
Très bien, ça me va aussi.
J'ai assez souffert de cours de français où les textes proposés étaient d'une insupportable mièvrerie pour ne pas me réjouir d'une "audace" toute relative. Car enfin, lisez ce livre, vous verrez pas vous-mêmes.
Parler de pornographie à son sujet ne peut se faire que si l'on a depuis toujours fermé les yeux sur la violence du monde. Car voilà bien la pornographie d'aujourd'hui, l'insupportable fracas que Raharimanana dénonce à sa manière, avec ses mots, et avec talent.
Le talent est-il une non-valeur?
S'il faut en croire Libération, rendant compte du Festival des Francophonies à Limoges, où la pièce 47, de Raharimanana (encore lui, donc) était jouée, peut-être.
La première du spectacle, il y a dix jours, au centre culturel français d’Antananarivo, a fait tiquer l’ambassade de France.
Je ne sais pas d'où vient cette information, et je n'étais pas à la représentation...
Pour en revenir à cette malheureuse affaire de professeur suspendu à la Réunion, une chose est rassurante: les réactions des lecteurs à l'article sont, dans leur très grande majorité, favorables à l'enseignant. Ouf!

Et pour finir cette note sur une tonalité plus sereine - sans quitter la Réunion -, ce petit extrait d'un livre qui vient de paraître, signé Bernard-Henri Lévy et Michel Houellebecq. Ennemis publics est une correspondance entre les deux écrivains. On y trouve, sous la plume de Houellebecq (pour lequel je n'éprouve pas une grande affection), ce passage:
J'ai vu ma mère assez peu de fois dans ma vie, une quinzaine tout au plus, mais un jour où elle m'a vraiment écœuré est celui où elle m'a raconté avoir croisé par hasard, à la Réunion, mon ancienne nounou malgache, et que celle-ci lui avait demandé de mes nouvelles. Elle trouvait ça marrant, incongru, que mon ancienne nounou malgache, trente ans plus tard, demande de mes nouvelles; moi, je trouvais ça bouleversant, mais je n'ai même pas essayé de lui expliquer pourquoi.
Cela me le rend plus humain.

September 8, 2008

La quinzaine Raharimanana au CCAC

Ce doit être ce qu'on appelle un hasard objectif. J'étais occupé à rechercher l'image ci-contre, que j'avais déjà publiée en mai, pour la réutiliser ici.
A ce moment, le téléphone sonne dans la pièce d'à côté.
Encore un importun, me dis-je en courant...
Erreur.
C'était Raharimanana, que j'ai entendu sourire (si, si) quand je lui ai raconté ce que j'étais en train de faire.
(Tu vas le raconter dans ton blog? me demande-t-il? Voilà, la réponse est oui.)
Je reviens quand même, après cette introduction à laquelle je ne pouvais pas m'attendre, au véritable sujet de cette note - puisqu'il ne s'agit pas, vous l'aurez compris, de me mettre en scène dans mon appartement, de vous dire comment je suis habillé ni ce que je suis en train de boire...

Une vraie quinzaine Raharimanana s'est ouverte au CCAC à Antananarivo, depuis ce matin. La littérature de Madagascar sera donc en fête.

Actuellement, et jusqu'à vendredi, l'écrivain anime un atelier d'écriture dans un esprit que je lui laisse le soin de dévoiler:
Un atelier d’écriture autour de la mémoire, passée et présente. Autour de mes deux livres Madagascar, 1947 et Za. Quels sont les liens entre l’histoire, la voix, le corps ? Si la pièce 47 est une exploration de la mémoire, le corps demeure un enjeu de domination.
Parcourir la mémoire ou la traversée des vies, d’un lieu à un autre, d’un parcours individuel à la destinée d’un groupe, les visages disparus dans le temps, des réapparitions souvent singulières, inexplicables, parfois brutales, presque violentes. Des voix et des visages couverts par les pans de l’histoire, des voix et des visages déformés par les clichés, racontés par d’autres.
Za quant à lui, tisse un lien très fort encore la voix et le corps, sa voix éraillée, zézayante, et son corps meurtri, le corps de son fils disparu, le corps des ancêtres tombé en poussière mais censé demeurer parmi les vivants.
L’atelier explorera ainsi les notions de mémoire et la charge des voix et la présence du corps dans l’écriture.
Je crois qu'ils ont bien de la chance, celles et ceux qui y participent!

Samedi à 10h30, toujours au CCAC, j'aurai le périlleux honneur de présenter Raharimanana dans un forum littéraire. Nous reparlerons de Za, bien entendu. Et aussi, j'imagine, d'un tas d'autres choses. Venez nombreux, c'est gratuit. Et il s'agit d'un grand, d'un très grand écrivain malgache.

La quinzaine se terminera, comme il se doit, à la fin de la semaine prochaine, avec une double représentation de 47, une pièce interprétée par Romain Lagarde et Sylvain Tilahimena.
Des rires sur l’absurdité de ces lignes cherchant à comprendre pourquoi je devrais me justifier pour revendiquer ma mémoire. (…) De quoi parlons-nous en fait ? De 1947, mars 1947 et de tout ce qui s’ensuivit. Insurrection contre la colonisation française. L’oppression pendant près de deux ans. Je parlais comme d’une évidence : le chiffre même de 47 sonne douloureux sur la Grande Île, la fin d’un monde, la perte et la défaite, le silence lourd d’une période qui n’en finit pas de nous ronger, de nous hanter…
Raharimanana dans un court texte incisif revient sur une période de l’Histoire, entre Madagascar et la France. C’est une œuvre qui nous interroge sur les rapports entre colonisés et colonisateur, entre pouvoir actuel et passé, sur le silence de part et d’autre, sur l’écriture de l’histoire par le Nord et la nécessité d’interroger cette histoire par le Sud.
Notez donc ces rendez-vous: le vendredi 19 et le samedi 20, chaque fois à 19 heures.

June 16, 2008

Elle n'est pas belle, la province?


Je rentre d'Antsirabe, et je découvre ce matin dans la presse malgache le compte-rendu des "derniers" concerts de la tournée de Rossy. Je devrais dire: la presse tananarivienne. Car celle-ci semble ignorer (les journaux que j'ai lus, du moins), qu'il y aura encore un concert le 22 juin, dans quelques jours, annoncé un peu partout dans la ville d'eaux par des grandes banderoles.
Les quotidiens arrivent à Antsirabe à partir de la fin de la matinée. Ceux qui les liront là, à trois heures de route de la capitale, se sentiront frustrés d'être ainsi ignorés. Et ils auront raison de l'être. Un fait divers sanglant trouve sa place dans les pages. Mais que la tournée de Rossy ait un prolongement après les ultimes prestations tananariviennes, on s'en moque.
Dommage.
Pour ma part, je ne regrette pas les conversations culturelles que j'ai eues là-bas.
Avec Ben Arès, écrivain belge en séjour à Madagascar pour s'imprégner d'une atmosphère qu'il compte restituer dans son prochain roman. Le premier, Ne pas digérer, est paru au début de cette année et m'a fait une forte impression.
Avec Bekoto, de retour d'une tournée internationale en compagnie des autres membres de Mahaleo, nous avons surtout parlé de littérature. Et en particulier de Raharimanana, dont il a ramené Za dans ses bagages.
Avec Vahömbey, enfin, il a été question de musique et de sa volonté de s'y impliquer complètement après un an et demi de travail.
C'est cela aussi, Antsirabe: des rencontres comme on peut en faire en province.
Dans la province française, à Montpellier pour l'instant, le Printemps des Comédiens accueille aussi des artistes malgaches. Doly Odeamson a lu des poèmes avec Clarisse et... l'ancien premier ministre français, Dominique de Villepin. Dans Les précieuses ridicules, de Molière, Fela Karlynah Razafiarison et Haingo Ratsimbazafy jouent, Haingo Ratsimbazafy est à la mise en scène tandis que Hanitraviro Rasoanaivo-Anderson chante. Pour lire un compte-rendu du spectacle, voir ici.
Alors, elle n'est pas belle, la province?
Bien sûr qu'il se passe aussi des choses à Antananarivo et à Paris. Mais ne nous limitons pas aux capitales, de grâce!

Et puis, pour ceux qui préfèrent parler aux arbres et aux plantes, voici un bel outil: l'atlas des Plantes de Madagascar, par Lucile Allorge qui n'en est pas à son coup d'essai sur ce terrain. Aux 850 photos annoncées sur la couverture s'en ajoutent 2500 autres sur un CD-rom. Avis aux amateurs...

May 31, 2008

A lire en complément, à voir peut-être

Deux articles parus hier et qui peuvent intéresser ceux qui suivent l'actualité culturelle malgache:
Dans Le Monde, un reportage de Florence Evin, Madagascar, par la nationale 7, qui donne l'impression d'un voyage très bref (à moins que ce soit à suivre, mais ce n'est pas précisé).
Et, dans Le Soir, le texte que je vous avais annoncé à propos de Za, le roman de Raharimanana dont il était question ci-dessous, en même temps que sur un autre roman de Georges Yémy, Tarmac des hirondelles. Cela s'appelle Une langue qui râpe et dérape.

Et puis, pour ceux qui se connectent tôt et sont dans le coin, il y a tout à l'heure (10h30) un forum littéraire au CCAC (à Tana, donc), où j'aurai le plaisir d'interroger trois auteurs pour les jeunes, Jean-Claude Mourlevat, Laurence Ink et Jean-Pierre Haga.
Pour ceux qui ne pourront pas y être, voici quelques références de livres:
De Jean-Claude Mourlevat, L'Enfant Océan, La rivière à l'envers ou Hannah - parmi un nombre considérable de titres.
De Laurence Ink, Piège en forêt.
Et, de Jean-Pierre Haga, Vert de peur.

Maintenant, je vous laisse - je n'ai pas fini de préparer ce forum.

May 27, 2008

Raharimanana en pleine forme


Presque cinq mois déjà que Za, le nouveau roman de Raharimanana, est paru aux Editions Philippe Rey, et je finis seulement aujourd'hui de le lire. Lamentable, n'est-ce pas? Mais il arrive que je me propose de faire telle ou telle chose et que les circonstances décident à ma place. Je suis contraint de reporter cette activité au moment où le temps me sera plus favorable. Pour la lecture des livres, c'est souvent quand j'arrive à glisser dans Le Soir un article sur les titres que j'aspire à découvrir - et à faire découvrir. Voilà, pour Za, c'est fait, l'article paraîtra vendredi - et je pense que vous pourrez le lire sur le site du journal.
Je ne vais donc pas vous le faire maintenant (l'article). Mais je peux déjà vous dire que je suis soufflé par la maîtrise et l'exigence d'un texte formidable (je pèse mes mots).
Voici sans aucun doute le meilleur livre de Raharimanana, qui avait pourtant déjà donné quelques ouvrages importants. L'œuvre qu'il construit depuis Lucarne est de celles qui laissent des traces de plus en plus profondes au fur et à mesure qu'elle s'affirme. Cette voix - déformée dans le cas de ce roman par le zézaiement qui accompagne le personnage principal et qui produit une musique singulière - est celle d'un de nos contemporains capitaux, qu'on se le dise!
Et je m'arrête là, sans quoi je vais finir quand même par l'écrire ici, cet article.
Il me reste néanmoins à vous renvoyer vers quelques lieux qui font écho à ce travail, en commençant par le site d'Africultures où pas moins de quatre articles sont disponibles. Celui de Dominique Ranaivoson a été le premier à paraître, début février. Yves Chemla a suivi le 16 mai avec un autre article, en même temps qu'un entretien réalisé par Virginie Andriamirado. Et Taina Tervonen a conclu (provisoirement?) cette série il y a quelques jours.
Il faut aussi signaler, sur le site de Remue.net (où l'on trouve ce qui se fait de mieux en littérature contemporaine), un excellent article de Dominique Dussidour ainsi que la publication d'un inédit de Raharimanana, Danse.
Enfin (et j'oublie peut-être quelques autres références), Raharimanana répond à Philippe Bernard, auteur d'un article consacré à L'Afrique répond à Sarkozy, un ouvrage collectif auquel l'écrivain malgache a participé, dans un droit de réponse qui avait été refusé par Le Monde.
Ce sera tout pour aujourd'hui. Notez bien que, si Raharimanana est bien évidemment inspiré par Madagascar, sa parole porte aujourd'hui bien au-delà des rivages de la Grande Ile. On ne peut que s'en réjouir. Pour lui comme pour nous.