Avant de l'interroger, et comme c'est la coutume, j'ai tracé de lui un petit portrait (subjectif et incomplet).
Je vous en livre le texte tel quel, amputé seulement des quelques lignes qui, au début, avaient pour fonction de faire sourire le public.
Regardez bien Johary Ravaloson. Parce que, si vous le croisez en ville un jour de semaine, vous risquez de ne pas le reconnaître. Il ne sera pas habillé de la même manière. Le costard-cravate est de mise dans le milieu juridique où il travaille – je dois dire qu’il endosse cet habit de circonstance avec une élégance certaine. Johary est docteur en droit – mais tous les chemins mènent à l’art, à la littérature… et au pays Zafimaniry.
Il est né à Tana – j’allais dire tout bêtement – en 1965. Il s’est posé en France dans les années 80, puis à la Réunion à la fin du siècle dernier – si, si, on peut le dire ainsi. Entre-temps, il avait rencontré Sophie Bazin, le genre de rencontre qui change la vie et lui donne une nouvelle orientation.
Nouvelle orientation géographique, puisque le retour dans l’Océan Indien n’était qu’un prélude au retour à Madagascar, décidé cette année.
Nouvelle orientation artistique aussi, parce que le travail de l’un allait nourrir le travail de l’autre, à moins que ce soit le contraire – en tout cas, bien des entreprises ont été menées ensemble, y compris le livre qui est le prétexte à la rencontre d’aujourd’hui : Sophie a accompagné Johary sur les sentiers du pays Zafimaniry et a pris les photos qui illustrent l’ouvrage.
Et nouvelle orientation dans la vie privée, sur laquelle je ne m’étendrai pas, sinon pour dire que, quand Johary rentre chez lui, avant même d’enlever sa cravate et son costard, il devient mari et père, un rôle qui lui va bien si j’en juge d’après les réactions de Félix et Zoé l’autre soir.
La sphère privée n’étant pas le sujet de ce forum, j’en reviens à la partie visible de la vie de notre invité. Elle impressionne. La première fois que je l’ai rencontré, il y a cinq ans, il avait investi Tana avec Sophie et quelques autres complices. Rebaptisé TsyKanto sy Tsimaninona, le couple avait réalisé expositions, performances et installations à l’espace Rarihasina et au CCAC, dans la galerie du regretté Richard Razafindrakoto, les balais avaient dansé dans l’ancien tribunal, près du Rova, au rythme des percussions de Ricky… J’en oublie. Paradoxalement, parce Johary et Sophie aiment utiliser les négations pour mieux affirmer, l’ensemble de la manifestation s’appelait « Padar à Tana » - Padar en un mot, mais on voit ce que voulait dire, par l’action, TsyKanto sy Tsimaninona.
Le couple utilise d’autres noms : ils sont aussi Arius et Mary Batiskaf. Leur maison d’édition, dans laquelle ils publient notamment des livres pour enfants – et Zafimaniry intime – s’appelle Dodo vole. On voit combien les mots sont importants dans cette démarche.
Forcément : Johary Ravaloson s’exprime aussi (j’ai envie de dire : surtout, mais ce ne serait que l’expression de mon propre intérêt), s’exprime donc aussi par la littérature.
En 2003, il a publié La porte du sud, prix de la nouvelle de l’Océan Indien. Il y relate une course de dahalo (des voleurs de zébus) dans le sud de Madagascar, sur le plateau pelé de l'Horombe. Il s'agit presque, comme on le sait, d'un sport traditionnel qui n'exclut pas pour autant la violence, surtout quand il s'agit de s'emparer d'un troupeau et pas seulement de quelques têtes de bétail.
Avec ses complices, le narrateur remonte vers le nord, ils poussent les bêtes devant eux dans la poussière, formant un convoi furieux sous la menace des gendarmes à leur poursuite avec des hélicoptères. S'ils arrivent à La porte du sud, ils pourront entrer dans le massif de l'Isalo et décourager les poursuivants avant d'aller vendre leur cheptel au marché d'Ambalavao.
Le récit est nerveux, entrecoupé de cris pour encourager les zébus à avancer, de pauses pour avaler du riz salé et de la viande boucanée, et aussitôt ça repart, avec cette impression de vitesse qui affole et disperse le regard.
C’était un coup d’essai très prometteur. Pas vraiment un coup d’essai, d’ailleurs, puisqu’il avait été précédé, en 1996, du Prix du Centre régional des œuvres universitaires, à Paris, pour une autre nouvelle, Heurt-terres et frappe-cornes
Johary ne pouvait pas en rester là. La voie du roman s’ouvrait devant lui, avec l’exigence que représente la distance du genre, la nécessité d'une construction, l'importance des personnages...
Mais voilà. Il semble capable de tout, cet écrivain-plasticien-vidéaste: il écrit Les larmes d'Ietsé, présente le texte au jury qui l'a déjà couronné pour sa nouvelle, et, en 2005, décroche un nouveau Grand prix de l'Océan Indien. La même année, il reçoit aussi le prix Williams Sassine en Belgique, pour une nouvelle qui sera publiée dans un recueil collectif.
Collectif est un mot qui lui va bien, on l'a compris avec "Padar à Tana". C'est donc tout naturellement qu'il trouve sa place dans le recueil où Dominique Ranaivoson publie, il y a deux ans, douze écrivains malgaches sous le titre Chroniques de Madagascar - elle était venue nous le présenter ici.
En ce qui concerne le roman, on en attend encore la publication. Mais un extrait en est paru cette année dans L'archipel des lettres. C'est le début. Je vous le lis:
Depuis quelque temps, Ietsé se réveillait alors que rien vraisemblablement n'aurait dû troubler ses nuits. Souvent, à ces moments, aucun grillon ne stridulait, aucun hibou, chat-huant ne hululait. Les chauves-souris semblaient avoir interrompu leurs volettements voraces et ne produisaient plus ce flap-flap caractéristique de leurs ailes sans poils battant l'air. Il n'y avait même pas de brise qui aurait froissé quelque peu les feuillages des arbres. Le bois habituellement craquetant dans la vieille maison se taisait. Aucun frottement ni agitation ne se percevait sous les draps du lit conjugal. A croire que le silence le tirait du sommeil.Il y a un autre roman, aussi - au moins un -, Géotropique, je pense qu'on aura l'occasion d'en parler plus tard, ainsi que de bien d'autres écrits. Car je pressens qu'on n'en a pas fini avec Johary Ravaloson et qu'il nous réserve encore bien des surprises - de bonnes surprises.
Aujourd'hui, donc, il y a ce Zafimaniry intime, un récit de voyage, une approche lente qui prend son temps puisqu'avec Sophie il a pris dix ans pour connaître la région, l'art, les hommes et les femmes.
Je vais vous avouer une chose que je n'ai pas osé lui dire encore: ce livre, je croyais qu'il ne l'écrirait jamais. Ou du moins qu'il ne serait jamais terminé. Il m'en parlait depuis longtemps, mais j'avais l'impression que les séjours chez les Zafimaniry étaient devenus plus importants pour lui que l'ouvrage auquel il avait pensé. Je m'étais trompé, et je m'en réjouis.
D'autant que le livre est beau. Pas seulement à cause du texte. Pas seulement à cause des photos. Mais aussi parce que le choix du format, la mise en page, la typographie, tout y a été réalisé avec un goût très sûr.
En outre, et c'est la deuxième fois que cela nous arrive en peu de temps, après Madagascar 1947 de Raharimanana dont nous parlions ici même en septembre, il s'agit d'un ouvrage bilingue, en français et en malgache. Je crois très sincèrement qu'il faut féliciter notre invité pour les choix qu'il a effectués, pour nous avoir donné ce livre, pour avoir passé du temps à chercher... à chercher quoi, au fait?
Peut-être va-t-il nous le dire, et même nous dire aussi ce qu'il a trouvé.
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