31 décembre 2008

Bibliothèque malgache / 42 et 43 : Leguével de Lacombe

Deux d'un coup! Le Voyage à Madagascar et aux îles Comores (1823-1830) de Leguével de Lacombe...

J'y ai mis du temps, mais j'y suis arrivé. Je crois que cet ouvrage en deux tomes est le plus épais jamais publié depuis les débuts de la Bibliothèque malgache. Paru en 1840, déjà en deux parties, il retrace sept années de la vie d'un homme à qui sa propre vie fournit la matière d'un récit passionnant.
Et en particulier, de 1823 à 1830, celui d'un long séjour à Madagascar, avec quelques incursions sur les îles voisines, au cours duquel Leguével de Lacombe prend le temps de fréquenter les Malgaches, d’apprendre la langue, d’étudier les coutumes dans différentes régions.
Il est arrivé pour s’installer et faire du commerce. Mais les circonstances le conduiront à être mêlé à des conflits locaux et à rencontrer quelques acteurs importants de l’histoire du pays.
La narration est vive, les détails sont abondants. Et il y a même de l’action !
On notera avec intérêt que ce récit est antérieur à la colonisation et s’ancre donc dans l’initiative individuelle d’un homme qui devait avoir, au plus haut point, l’esprit aventurier.
Le texte du voyageur est précédé d’une longue notice géographique et historique que l’on doit à Eugène de Froberville.

Le second volume reprend aussi la plupart des illustrations, à l'exception d'une carte sur laquelle je ne suis pas parvenu à mettre la main. Cela le rend plus "lourd" à télécharger, bien sûr - le prix à payer pour une réédition qui restitue, pour l'essentiel, les qualités de l'original.

Voici tous les liens de téléchargement, uniquement pour l'instant sur le site de la Bibliothèque malgache:
Tome 1: format DOC (820 Ko) ou format PDF (966 Ko);
Tome 2: format DOC (3209 Ko) ou format PDF (5802 Ko).

Demain, nous serons en 2009. Outre le fait que cela me permet de vous souhaiter une excellente année, il faut signaler que les auteurs décédés en 1938 appartiennent, dès le 1er janvier, au domaine public.
Il y en avait un que je couvais depuis longtemps. Il a lui aussi passé beaucoup de temps à Madagascar. Et il a écrit un livre qui passe à juste titre pour un classique (encore un), à propos d'un phénomène qui... que...
Mais je vous laisse la surprise. A demain, donc, pour cet ouvrage en guise de cadeau de Nouvelle année.

Bonne lecture.

30 décembre 2008

Langue vive et Madagascar

Je reçois aujourd'hui le premier numéro de Langue vive, une revue littéraire liégeoise (donc belge, pour ceux qui ne situent pas Liège), à l'origine de laquelle se trouve notamment Ben Arès, l'écrivain dont je vous ai déjà parlé il y a quelques mois, quand il arpentait les terres malgaches en vue d'écrire un roman.
Sa revue s'appelait alors Matière à poésie et, après 21 numéros sous ce titre, elle vient d'être rebaptisée. Relookéée, aussi, oh! le vilain mot - mais le joli objet: sous un emboîtage sobre et élégant, chaque auteur fait l'objet d'un petit fascicule séparé.
Pour établir le sommaire avec ses complices David Besschops et Antoine Wauters, Ben Arès a fait une ample moisson à Madagascar.
On trouve donc, dans cette livraison de décembre 2008, Jean-Luc Raharimanana et Jean-Claude Mouyon, des noms familiers aux lecteurs de ce bongs.
Le premier donne Les cauchemars du gecko, treize pages extraites d'un travail futur avec le metteur en scène Thierry Bedard. Le texte s'ouvre sur une sorte de prolongement de Za:
Eskuza-moi ai-je écrit. Eskuza-moi. Car je me sens encore de vous. Lié. La corde au cou. Eskuza-moi, je m'enlève de là. Bien que je vous aime. Bien que je suis de vous. Encore. Toujours. De vous, je le suis. Le serai toujours. Je me tire. Vrillant ma corde. Reniant l'imposture collective. Je m'enlève de là. Je me tire oui, je me vire, la mort de tout côté, la sombre histoire que l'on se conte, vertige de nos mensonges: contrôler la vie, organiser nos jours, et faire croire que tout va bien, tout ira bien dans l'occultation de nos nuits et la bascule dans les lunes millénaires. Politisons. Politis. Réglons la cité. Réglons l'incapacité de l'homme à n'être pas homme pour l'homme, prédateur...
De Jean-Claude Mouyon, Langue vive publie un extrait de la deuxième partie de Roman vrac. Que vous connaissez probablement. Mais voici comment l'auteur introduit le texte, à l'usage de ceux qui n'ont jamais rencontré ses livres:
Ca fait drôle de rencontrer des écrivains à Tuléar où les lecteurs ne remplissent pas les doigts des deux mains alors que les autres occupent la planète, hormis les salauds qui nous gouvernent.
Ben Arès est passé par là. Il vient de lire Roman vrac que Pierre Maury a publié dans sa Bilbiothèque malgache, une entreprise littéraire de fou, autant dire de passionné (et pardon pour le pléonasme). Voyez-vous, le sable, la poussière, la latérite et l'immensité n'empêchent pas d'écrire. Les sons, la lumière, les couleurs, les filles et la musique nous y obligent. La bière et le rhum, aussi. Qu'on est loin de la Hongrie même si on est gaulois. Roman Vrac a été écrit sous Chirac et Ratsiraka. Le temps a passé sur eux, il passera sur nous. On pourra tous dire: "j'y étais." Est-ce pour cela qu'il fallait écrire cette première trilogie?
Allez, c'est pas grave, on fera mieux la prochaine fois. Salut Ben, bises et bénédiction animiste du grand Sud pour ta poésie et la revue Langue vive.
Et puis (je vais le dire tout bas), Ben a jugé bon de publier aussi quelques pages de moi, le début d'un recueil de poèmes qui s'appellera, le jour où il verra le jour, Dix figures d'un récit en mouvement. Merci, Ben. (Il fait ce qu'il veut, non?)

29 décembre 2008

47: Raharimanana s'exprime

C'est dans L'Express de Madagascar aujourd'hui, et annoncé en page une: Jean-Luc Raharimanana revient sur les obstacles rencontrés par la pièce 47 que Thierry Bédard a tirée de son livre.
Sans remettre en cause le soutien que l'ambassade de France à Madagascar et le CCAC ont apporté à la création du spectacle, il s'interroge sur la manière dont la programmation de celui-ci a ensuite été écartée, de fait, d'une tournée dans la région.
Le titre donné à l'entretien par Hernan Rivelo, le journaliste qui a recueilli les propos de l'écrivain malgache, est clair: Jean-Luc Raharimanana: "La déprogrammation de 47 est une censure de fait".
Il faut lire l'article. En voici quelques mots, à propos de la mémoire:
La mémoire ne fait-elle pas partie de l’identité d’un peuple ? Un régime totalitaire commence toujours par effacer la mémoire. Ainsi la colonisation a voulu nous faire croire que nous étions de jeunes pays, sans mémoire, sans passé, un pays à doter d’une culture moderne, celle du maître en définitive, installant ainsi la domination.


26 décembre 2008

Jean-Claude Mouyon, troisième !

De son Sud qu'il affectionne, Jean-Claude Mouyon continue à nous donner des nouvelles. Après Roman Vrac (disponible aussi en librairie) et Beko ou La nuit du Grand Homme (disponible sous peu en librairie), la Bibliothèque malgache est fière d'éditer, par l'intermédiaire de Lulu, son troisième roman.

Carrefour est un livre bref, mais sa petite centaine de pages est bourrée de dynamite. Il se passe au cœur du cœur d'une ville dont le nom n'est pas donné (mais il est sur toutes les lèvres), c'est-à-dire près d'une gare routière, à la fin d'une route nationale que croise une rue plus locale grouillant de vie.
Particulièrement ce jour-là, puisque s'y déroulent en même temps la préparation d'une campagne électorale et l'arrivée d'un reggaeman de réputation internationale.
Jean-Claude Mouyon lâche les mots au rythme d'une mitrailleuse. Il multiplie les situations improbables. Et son humour fait mouche à chaque page.
On sort de Carrefour essoufflé et heureux d'avoir vécu des moments inoubliables.

Voici comment l'auteur présente lui-même son texte:

Cette histoire je l’ai voulue joyeuse, jouissive, violente, excessive, habitée d’une tendre tristesse proche de la désespérance paradoxalement heureuse d’une population admirable. C’est l’histoire de la vie d’un carrefour sublime sans rond-point ni sens interdit où tout semble permis. Un carrefour fréquenté par des riverains exubérants qu’on n’invitera jamais à celui de l’Odéon ni au rond-point qui mène à l’Élysée.
Mais là n’est pas le propos. Quoique…
Ici aussi les personnages existent, le pays et les événements également mais ne comptez pas sur moi pour dénoncer qui que ce soit.
Ainsi va la vie…
Bonne lecture.

20 décembre 2008

Madagascar 1947 : suite et fin ?

Il y a quelque temps, je vous avais parlé ici (le 5 décembre), comme beaucoup d'autres, des soucis rencontrés par Thierry Bédard, metteur en scène, et Jean-Luc Raharimanana, écrivain, avec la pièce tirée par le premier du livre du second. Ils se posaient la question de la censure à laquelle cette production aurait eu à faire face.
Le Monde, hier, L'Express de Madagascar, ce matin, font été de réactions officielles à cette accusation.

Voici quelques extraits de l'article du quotidien français:
Anne Gazeau-Secret, directrice de la DGCID (direction générale de la coopération internationale et du développement), qui serait à l'origine de la demande d'interdiction, répond: "C'est une déformation de la vérité. J'ai effectivement présidé une réunion régionale, mais je n'ai pas assisté à la réunion où les centres culturels français et les Alliances françaises font leur marché parmi les propositions qui leur parviennent. On m'a rapporté que 47 n'avait pas été retenu."
Bernard Kouchner invoque des raisons budgétaires.
Victoire Bidegain Di Rosa, conseillère du ministre chargée de la culture, ajoute que "le thème du spectacle n'intéressait pas forcément les pays de la région. Si tous les postes l'avaient voulu, ils l'auraient pris. Mais cela n'empêche pas ceux qui veulent 47 de l'acheter, à condition qu'ils trouvent le financement".
Quant à Olivier Poivre d'Arvor, directeur de Culturesfrance, qui s'était engagé à soutenir la tournée de 47, il dit ne pas avoir de point de vue sur l'affaire : "Je n'ai pas vu le spectacle et je n'ai pas assisté aux réunions de programmation. Culturesfrance est intervenu très en amont, pour apporter son soutien à la création. Et je n'ai aucun état d'âme à l'avoir fait."

L'Express de Madagascar fournit un complément d'information puisé à l'ambassade de France d'Antananarivo:
« Il est tout à fait inapproprié de parler de censure », fait savoir Marie-Claire Gerardin, chargée d'affaires par intérim à l'ambassade de France.
Pour expliquer le caractère inapproprié du terme censure, la chargée d'affaires rappelle que la pièce en question avait été jouée à deux reprises au Centre culturel Albert Camus en septembre. « Les deux représentations avaient été précédées par un atelier d'écriture et un forum littéraire consacré à l'oeuvre dont il a été tiré», souligne-t-elle encore.

Affaire close. Ou affaire à suivre?

16 décembre 2008

Journalismes dans l'océan Indien

Dans la grande série: je tente de vous informer de toutes les publications concernant Madagascar (en librairie au moins), je tombe aujourd'hui sur un ouvrage assez spécialisé mais qui devrait en intéresser quelques-uns.
Il s'agit d'un ouvrage dirigé par Bernard Idelson, publié par l'Harmattan dans la collection Communication et civilisation (246 pages, 22,50 €, version numérique disponible chez l'éditeur): Journalismes dans l'océan Indien: Espaces publics en question.
Cet ouvrage s'intéresse aux producteurs, journalistes, réunionnais, mauriciens, malgaches, comoriens et seychellois. Il témoigne d'une rencontre qui a permis de réunir des chercheurs de plusieurs universités et des professionnels des médias venus rendre compte de leurs analyses pour les uns et de leurs pratiques pour les autres. L'ensemble des journalistes se réfèrent à une conception normative de leur profession, dans une volonté d'ouverture démocratique de leurs aires d'exercice.

9 décembre 2008

J.M.G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes

J'en avais parlé au moment de l'attribution du prix Nobel de littérature à Le Clézio: il est en quelque sorte notre voisin puisque que ses origines sont en partie mauricienne et qu'il possède d'ailleurs la nationalité de l'île (Maurice, pas Madagascar).
Exceptionnellement, et parce que ce texte est un beau morceau de littérature, voici une note de blog qui n'a rien à voir (directement du moins) avec Madagascar: le discours que Le Clézio a prononcé le 7 décembre à Stockholm, avant la cérémonie des prix Nobel.
Si vous préférez le charger au format PDF, suivez le lien dans le titre de cette note.
P.S. Je viens de changer le lien, qui renvoyait d'abord au site de la Fondation Nobel. Je lui ai préféré l'édition de Publie.net, plus élégante, et où quelques coquilles ont été corrigées.

* * *

Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.

Si j’examine les circonstances qui m’ont amené à écrire – je ne le fais pas par complaisance, mais par souci d’exactitude – je vois bien qu’au point de départ de tout cela, pour moi, il y a la guerre. La guerre, non pas comme un grand moment bouleversant où l’on vit des heures historiques, par exemple la campagne de France relatée des deux côtés du champ de bataille de Valmy, par Goethe du côté allemand et par mon ancêtre François du côté de l’armée révolutionnaire. Ce doit être exaltant, pathétique. Non, la guerre pour moi, c’est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants très jeunes. Pas un instant elle ne m’a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c’est tout. Je me souviens d’avoir vu passer sous ma fenêtre les troupes du maréchal Rommel remontant les Alpes à la recherche d’un passage vers le nord de l’Italie et l’Autriche. Cela ne m’a pas laissé un souvenir très marquant. En revanche, dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d’avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j’ai dessiné et j’ai écrit mes premiers mots sur l’envers des carnets de rationnement, en me servant d’un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m’en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires. Faute de livres pour enfants, j’ai lu les dictionnaires de ma grand-mère. C’étaient de merveilleux portiques pour partir à la reconnaissance du monde, pour vagabonder et rêver devant les planches d’illustrations, les cartes, les listes de mots inconnus. Le premier livre que j’ai écrit, à l’âge de six ou sept ans, du reste s’intitulait Le Globe à mariner. Suivi tout de suite par la biographie d’un roi imaginaire appelé Daniel III – peut-être était-il de Suède ? Et par un récit raconté par une mouette. C’était une période de réclusion. Les enfants n’avaient guère la liberté d’aller jouer dehors, car les terrains et les jardins autour de chez ma grand-mère avaient été minés. Au hasard des promenades, je me souviens d’avoir longé un enclos de barbelés au bord de la mer, sur lequel un écriteau en français et en allemand menaçait les intrus d’une interdiction accompagnée d’une tête de mort.

Je peux comprendre que c’était un contexte où l’on avait le désir de s’enfuir – donc de rêver et d’écrire ces rêves. En outre, ma grand-mère maternelle était une extraordinaire conteuse, qui réservait aux longues heures d’après-midi le temps des histoires. Ses contes étaient toujours très imaginatifs, et mettaient en scène une forêt – peut-être africaine, ou peut-être la forêt mauricienne de Macchabée – dont le personnage principal était un singe doué de malice, qui se sortait toujours des situations les plus périlleuses. Par la suite, j’ai fait un voyage et un séjour en Afrique, où j’ai découvert la forêt véritable, à peu près dépourvue d’animaux. Mais un D.O. du village d’Obudu, à la frontière des Camerouns, m’a fait écouter le crépitement des gorilles sur une colline voisine, en train de frapper leurs poitrines. De ce voyage, de ce séjour (au Nigéria où mon père était médecin de brousse) j’ai rapporté non pas la matière de romans futurs, mais une sorte de seconde personnalité, à la fois rêveuse et fascinée par le réel, qui m’a accompagné toute ma vie – et qui a été la dimension contradictoire, l’étrangeté moi-même que j’ai ressentie parfois jusqu’à la souffrance. La lenteur de la vie est telle qu’il m’aura fallu la durée de la majeure partie de cette existence pour comprendre ce que cela signifie.

Les livres sont entrés dans ma vie un peu plus tard. C’était sous la forme de plusieurs bibliothèques que mon père avait réussi à réunir et qui provenaient de la dispersion de son héritage lorsqu’il avait été expulsé de sa maison natale à Moka (Ile Maurice). C’est alors que j’ai compris cette vérité qui n’apparaît pas immédiatement aux enfants, à savoir que les livres sont un trésor plus précieux que les biens immeubles ou que les comptes en banque. C’est dans ces volumes, la plupart anciens et reliés, que j’ai découvert les grands textes de la littérature universelle, le Don Quijote illustré par Tony Johannot, La vida de Lazarillo de Tormes ; The Ingoldsby Legends, Gulliver’s Travels ; les grands romans inspirés de Victor Hugo, Quatre-vingt Treize, Les Travailleurs de la Mer, ou L’Homme qui rit. Les Contes drôlatiques de Balzac, aussi. Mais les livres qui m’ont le plus marqué, ce sont les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l’Inde, à l’Afrique et aux îles Masacareignes, ainsi que les grands textes d’exploration, de Dumont d’Urville ou de l’Abbé Rochon, de Bougainville, de Cook, et bien sûr le Livre des Merveilles de Marco Polo. Dans la vie médiocre d’une petite bourgade de province endormie au soleil, après les années de liberté en Afrique, ces livres m’ont donné le goût de l’aventure, ils m’ont permis de pressentir la grandeur du monde réel, de l’explorer par l’instinct et par les sens plutôt que par les connaissances. D’une certaine façon ils m’ont permis de ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d’enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre.

Dans les instants qui ont précédé l’annonce, pour moi très étonnante, de la distinction que m’octroyait l’Académie de Suède, j’étais en train de relire un petit livre de Stig Dagerman que j’aime particulièrement : la collection de textes politiques intitulée Essäer och texter (La Dictature du Chagrin). Ce n’était par hasard que je me replongeais dans la lecture de ce livre caustique et amer. Je devais me rendre en Suède pour y recevoir le prix que l’association des amis de Dagerman m’avait donné l’été passé, afin de rendre visite aux lieux de l’enfance de cet écrivain. J’ai toujours été sensible à l’écriture de Dagerman, à ce mélange de tendresse juvénile, de naïveté et de sarcasme. À son idéalisme. À la clairvoyance avec laquelle il juge son époque troublée de l’après-guerre, pour lui le temps de la maturité, pour moi celui de mon enfance. Une phrase en particulier m’a arrêté, et m’a semblé s’adresser à moi dans cet instant précis – alors que je venais de publier un roman intitulé Ritournelle de la Faim. Cette phrase, ou plutôt ce passage, le voici : « Comment est-il possible par exemple de se comporter, d’un côté comme si rien au monde n’avait plus d’importance que la littérature, alors que de l’autre il est impossible de ne pas voir alentour que les gens luttent contre la faim et sont obligés de considérer que le plus important pour eux, c’est ce qu’ils gagnent à la fin du mois ? Car il (l’écrivain) bute sur un nouveau paradoxe : lui qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim découvre que seuls ceux qui ont assez à manger ont loisir de s’apercevoir de son existence. » (L’écrivain et la conscience)
Cette « forêt de paradoxes », comme l’a nommé Stig Dagerman, c’est justement le domaine de l’écriture, le lieu dont l’artiste ne doit pas chercher à s’échapper, mais bien au contraire dans lequel il doit « camper » pour en reconnaître chaque détail, pour explorer chaque sentier, pour donner son nom à chaque arbre. Ce n’est pas toujours un séjour agréable. Lui qui se croyait à l’abri, elle qui se confiait à sa page comme à une amie intime et indulgente, les voici confrontés au réel, non pas seulement comme observateurs, mais comme des acteurs. Il leur faut choisir leur camp, prendre des distances. Cicéron, Rabelais, Condorcet, Rousseau, Madame de Staël, ou bien plus récemment Soljenitsyne ou Hwang Seok-yong, Abdelatif Laâbi ou Milan Kundera ont eu à prendre la route de l’exil. Pour moi qui ai toujours connu – sauf durant la brève période de la guerre – la possibilité de mouvement, l’interdiction de vivre dans le lieu qu’on a choisi est aussi inacceptable que la privation de liberté.

Mais cette liberté de bouger comme un privilège a pour conséquence le paradoxe. Voyez l’arbre aux épines hérissées au sein de la forêt qu’habite l’écrivain : cet homme, cette femme occupés à écrire, à inventer leurs songes, ne sont-ils pas les membres d’une très heureuse et réduite happy few ? Imaginons une situation extrême, terrifiante – celle-là même que vit le plus grand nombre sur notre planète. Celle qu’ont vécue jadis, au temps d’Aristote ou au temps de Tolstoï, les inqualifiables – les serfs, serviteurs, vilains de l’Europe au Moyen-Âge, ou peuples razziés au temps des Lumières sur la côte d’Afrique, vendus à Gorée, à El Mina, à Zanzibar. Et aujourd’hui même, à l’heure que je vous parle, tous ceux qui n’ont pas droit à la parole, qui sont de l’autre côté du langage. C’est la pensée pessimiste de Dagerman qui m’envahit plutôt que le constat militant de Gramsci ou le pari désabusé de Sartre. Que la littérature soit le luxe d’une classe dominante, qu’elle se nourrisse d’idées et d’images étrangères au plus grand nombre, cela est à l’origine du malaise que chacun de nous éprouve – je m’adresse à ceux qui lisent et écrivent. L’on pourrait être tenté de porter cette parole à ceux qui en sont exclus, les inviter généreusement au banquet de la culture. Pourquoi est-ce si difficile ? Les peuples sans écriture, comme les anthropologues se sont plu à les nommer, sont parvenus à inventer une communication totale, au moyen des chants et des mythes. Pourquoi est-ce devenu aujourd’hui impossible dans notre société industrialisée ? Faut-il réinventer la culture ? Faut-il revenir à une communication immédiate, directe ? On serait tenté de croire que le cinéma joue ce rôle aujourd’hui, ou bien la chanson populaire, rythmée, rimée, dansée. Le jazz peut-être, ou sous d’autres cieux, le calypso, le maloya, le sega.

Le paradoxe ne date pas d’hier. François Rabelais, le plus grand écrivain de langue française, partit jadis en guerre contre le pédantisme des gens de la Sorbonne en jetant à leur face les mots saisis dans la langue populaire. Parlait-il pour ceux qui ont faim ? Débordements, ivresses, ripailles. Il mettait en mots l’extraordinaire appétit de ceux qui se nourrissaient de la maigreur des paysans et des ouvriers, pour le temps d’une mascarade, d’un monde à l’envers. Le paradoxe de la révolution, comme l’épique chevauchée du chevalier à la triste figure, vit dans la conscience de l’écrivain. S’il y a une vertu indispensable à sa plume, c’est qu’elle ne doive jamais servir à la louange des puissants, fût-ce du plus léger chatouillis. Et pourtant, même dans la pratique de cette vertu, l’artiste ne doit pas se sentir lavé de tout soupçon. Sa révolte, son refus, ses imprécations restent d’un certain côté de la barrière, du côté de la langue des puissants. Quelques mots, quelques phrases s’échappent. Mais le reste ? Un long palimpseste, un atermoiement élégant et distant. L’humour, parfois, qui n’est pas la politesse du désespoir mais la désespérance des imparfaits, la plage où le courant tumultueux de l’injustice les abandonne.
Alors, pourquoi écrire ? L’écrivain, depuis quelque temps déjà, n’a plus l’outrecuidance de croire qu’il va changer le monde, qu’il va accoucher par ses nouvelles et ses romans un modèle de vie meilleur. Plus simplement, il se veut témoin. Voyez cet autre arbre dans la forêt des paradoxes. L’écrivain se veut témoin, alors qu’il n’est, la plupart du temps, qu’un simple voyeur.

Témoin, il arrive que l’artiste le soit : Dante dans La Divina Commedia, Shakespeare dans The Tempest – et Césaire dans la magnifique reprise de cette pièce, appelée Une Tempête, dans laquelle Caliban, à cheval sur un baril de poudre, menace d’emmener avec lui dans la mort ses maîtres détestés. Témoin, il l’est parfois de façon irrécusable, comme Euclides da Cunha dans Os Sertões, ou comme Primo Levi. L’absurde du monde est dans Der Prozess (ou dans les films de Chaplin), son imperfection dans La Naissance du jour de Colette, sa fantasmagorie dans la chanson irlandaise que Joyce a mise en scène dans Finnegans Wake. Sa beauté brille d’un éclat irrésistible dans The Snow Leopard de Peter Matthiessen ou dans A Sand County Almanach d’Aldo Leopold. Sa méchanceté dans Sanctuary de William Faulkner, ou dans Première neige de Lao She. Sa fragilité d’enfance dans Ormen (Le Serpent) de Dagerman.

L’écrivain n’est jamais un meilleur témoin que lorsqu’il est un témoin malgré lui, à son corps défendant. Le paradoxe, c’est que ce dont il témoigne n’est pas ce qu’il a vu, ni même ce qu’il a inventé. L’amertume, parfois le désespoir, viennent de ce qu’il n’est pas présent au réquisitoire. Tolstoï nous fait voir le malheur que l’armée napoléonienne inflige à la Russie, et pourtant rien n’est changé dans le cours de l’histoire. Mme de Duras écrit Ourika, Harriet Beecher Stowe Uncle Tom’s Cabin, mais ce sont les peuples esclaves qui changent leur propre destin, qui se révoltent et fondent contre l’injustice les résistances marronnes, au Brésil, en Guyane, aux Antilles, et la première république noire en Haïti.

Agir, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l’écrivain de chercher des issues ? N’est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l’écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ?

Elle l’a toujours été. Enfant, il était cet être fragile, inquiet, réceptif excessivement, cette fille que décrit Colette, qui ne peut que regarder ses parents se déchirer, ses grands yeux noirs agrandis par une sorte d’attention douloureuse. La solitude est aimante aux écrivains, c’est dans sa compagnie qu’ils trouvent l’essence du bonheur. C’est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe dérisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d’une petite musique obsédante. L’écrivain est l’être qui cultive le mieux cette plante vénéneuse et nécessaire, qui ne croît que sur le sol de sa propre incapacité. Il voulait parler pour tous, pour tous les temps : le voilà, la voici dans sa chambre, devant le miroir trop blanc de la page vide, sous l’abat-jour qui distille une lumière secrète. Devant l’écran trop vif de son ordinateur, à écouter le bruit de ses doigts qui clic-claquent sur les touches. C’est cela, sa forêt. L’écrivain en connaît trop bien chaque sente. Si parfois quelque chose s’en échappe, comme un oiseau levé par un chien à l’aube, c’est sous son regard éberlué – c’était au hasard, c’était malgré lui, malgré elle.
Mais je ne voudrais pas me complaire dans une attitude négative. La littérature – c’est là que je voulais en venir – n’est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l’audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au temps de Byron ou de Victor Hugo.

Il y a deux raisons à cette nécessité :

D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France l’on a cessé d’utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L’écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs. Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s’anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l’aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque.

Lorsque, au siècle dernier, les théories racistes se sont fait jour, l’on a évoqué les différences fondamentales entre les cultures. Dans une sorte de hiérarchie absurde, l’on a fait correspondre la réussite économique des puissances coloniales avec une soi-disant supériorité culturelle. Ces théories, comme une pulsion fiévreuse et malsaine, de temps à autre ressurgissent ça et là pour justifier le néo-colonialisme ou l’impérialisme. Certains peuples seraient à la traîne, n’auraient pas acquis droit de cité (de parole) du fait de leur retard économique, ou de leur archaïsme technologique. Mais s’est-on avisé que tous les peuples du monde, où qu’ils soient, et quel que soit leur degré de développement, utilisent le langage ? Et chacun de ces langages est ce même ensemble logique, complexe, architecturé, analytique, qui permet d’exprimer le monde – capable de dire la science ou d’inventer les mythes.

Ayant défendu l’existence de cet être ambigu et un peu archaïque qu’est l’écrivain, je voudrais dire la deuxième raison de l’existence de la littérature, car celle-ci touche davantage au beau métier de l’édition.

L’on parle beaucoup de mondialisation aujourd’hui. On oublie que le phénomène a commencé en Europe à la Renaissance, avec le début de l’ère coloniale. La mondialisation n’est pas une mauvaise chose en soi. La communication rend le progrès plus rapide, en médecine, ou en sciences. Peut-être que la généralisation de l’information rendra les conflits plus difficiles. S’il y avait eu internet, il est possible que Hitler n’eût pas réussi son complot mafieux – le ridicule l’eût peut-être empêché de naître.

Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’écriture.

Aujourd’hui, au lendemain de la décolonisation, la littérature est un des moyens pour les hommes et les femmes de notre temps d’exprimer leur identité, de revendiquer leur droit à la parole, et d’être entendus dans leur diversité. Sans leur voix, sans leur appel, nous vivrions dans un monde silencieux.

La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs. Il est vrai qu’il est injuste qu’un Indien du grand Nord Canadien, pour pouvoir être entendu, ait à écrire dans la langue des conquérants – en Français, ou en Anglais. Il est vrai qu’il est illusoire de croire que la langue créole de Maurice ou des Antilles pourra atteindre la même facilité d’écoute que les cinq ou six langues qui règnent aujourd’hui en maîtresses absolues sur les médias. Mais si, par la traduction, le monde peut les entendre, quelque chose de nouveau et d’optimiste est en train de se produire. La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d’un roman ou d’un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d’une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n’est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d’une façon générale une attention accrue apportée à l’égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité.

Il me plaît assez de parler encore de la forêt. C’est sans doute pour cela que la petite phrase de Stig Dagerman résonne dans ma mémoire, pour cela que je veux la lire et la relire, m’en pénétrer. Il y a quelque chose de désespéré en elle, et au même instant de jubilatoire, parce que c’est dans l’amertume que se trouve la part de vérité que chacun cherche. Enfant, je rêvais de cette forêt. Elle m’épouvantait et m’attirait à la fois – je suppose que le petit Poucet, ou Hansel devaient ressentir la même émotion, quand elle se refermait sur eux avec tous ses dangers et toutes ses merveilles. La forêt est un monde sans repères. La touffeur des arbres, l’obscurité qui y règnent peuvent vous perdre. L’on pourrait dire la même chose du désert, ou de la haute mer, lorsque chaque dune, chaque colline s’écarte pour montrer une autre colline, une autre vague parfaitement identiques. Je me souviens de la première fois que j’ai ressenti ce que peut être la littérature – Dans The Call of the Wild, de Jack London, précisément, l’un des personnages, perdu dans la neige, sent le froid l’envahir peu à peu alors que le cercle des loups se referme autour de lui. Il regarde sa main déjà engourdie, et s’efforce de bouger chaque doigt l’un après l’autre. Cette découverte pour l’enfant que j’étais avait quelque chose de magique. Cela s’appelait la conscience de soi.

Je dois à la forêt une de mes plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte. Cela se passe il y a une trentaine d’années, dans une région d’Amérique centrale appelée El Tapón de Darien, le Bouchon, parce que c’est là que s’interrompait alors (et je crois savoir que depuis la situation n’a pas changé) la route Panaméricaine qui devait relier les deux Amériques, de l’Alaska à la pointe de la Terre de Feu. L’isthme de Panama, dans cette partie, est couvert d’une forêt de pluie extrêmement dense, dans laquelle il n’est possible de voyager qu’en remontant le cours des fleuves en pirogue. Cette forêt est habitée par une population amérindienne, divisée en deux groupes, les Emberas et les Waunanas, tous deux appartenant à la famille linguistique Ge-Pano-Karib. Etant venu là par hasard, je me suis trouvé fasciné par ce peuple au point d’y faire plusieurs séjours assez longs, pendant environ trois ans. Pendant tout ce temps, je n’ai rien fait d’autre que d’aller à l’aventure, de maison en maison – car ce peuple refusait alors de se grouper en villages – et d’apprendre à vivre selon un rythme entièrement différent de ce que j’avais connu jusque là. Comme toutes les vraies forêts, cette forêt était particulièrement hostile. Il fallait faire l’inventaire de tous les dangers, et aussi de tous les moyens de survie qu’elle comportait. Je dois dire que dans l’ensemble, les Emberas ont été très patients avec moi. Ma maladresse les faisait rire, et je crois que dans une certaine mesure, je leur ai rendu en distraction un peu de ce qu’ils m’ont appris en sagesse. Je n’écrivais pas beaucoup. La forêt n’est pas un milieu idéal pour cela. L’humidité détrempe le papier, la chaleur dessèche les crayons à bille. Rien de ce qui marche à l’électricité ne dure très longtemps. J’arrivais là avec la conviction que l’écriture était un privilège, et qu’il me resterait toujours pour résister à tous les problèmes de l’existence. Une protection, en quelque sorte, une espèce de vitre virtuelle que je pouvais remonter à ma guise pour m’abriter des intempéries.

Ayant assimilé le système de communisme primordial que pratiquent les Amérindiens, ainsi que leur profond dégoût pour l’autorité, et leur tendance à une anarchie naturelle, je pouvais imaginer que l’art, en tant qu’expression individuelle, ne pouvait avoir cours dans la forêt. D’ailleurs, rien chez ces gens qui pût ressembler à ce que l’on appelle l’art dans notre société de consommation. Au lieu de tableaux, les hommes et les femmes peignent leur corps, et répugnent de façon générale à construire rien de durable. Puis j’ai eu accès aux mythes. Lorsqu’on parle de mythes, dans notre monde de livres écrits, l’on semble parler de quelque chose de très lointain, soit dans le temps, soit dans l’espace. Je croyais moi aussi à cette distance. Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d’un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d’une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter. C’était une aventurière, qui vivait sans homme, sans enfants – on racontait qu’elle était un peu ivrognesse, un peu prostituée, mais je n’en crois rien – et qui allait de maison en maison pour chanter, moyennant un repas, une bouteille d’alcool, parfois un peu d’argent. Bien que je n’aie eu accès à ses contes que par le biais de la traduction – la langue embera comprend une version littéraire beaucoup plus complexe que la langue de chaque jour – j’ai tout de suite compris qu’elle était une grande artiste, dans le meilleur sens qu’on puisse donner à ce mot. Le timbre de sa voix, le rythme de ses mains frappant ses lourds colliers de pièces d’argent sur sa poitrine, et par-dessus tout cet air de possession qui illuminait son visage et son regard, cette sorte d’emportement mesuré et cadencé, avaient un pouvoir sur tous ceux qui étaient présents. A la trame simple des mythes – l’invention du tabac, le couple des jumeaux originels, histoires de dieux et d’humains venues du fond des temps, elle ajoutait sa propre histoire, celle de sa vie errante, ses amours, les trahisons et les souffrances, le bonheur intense de l’amour charnel, l’acide de la jalousie, la peur de vieillir et de mourir. Elle était la poésie en action, le théâtre antique, en même temps que le roman le plus contemporain. Elle était tout cela avec feu, avec violence, elle inventait, dans la noirceur de la forêt, parmi le bruit environnant des insectes et des crapauds, le tourbillon des chauves-souris, cette sensation qui n’a pas d’autre nom que la beauté. Comme si elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature, et c’était là sans doute le plus grand paradoxe, que ce lieu isolé, cette forêt, la plus éloignée de la sophistication de la littérature, était l’endroit où l’art s’exprimait avec le plus de force et d’authenticité.

Ensuite j’ai quitté ce pays, je n’ai plus jamais revu Elvira, ni aucun des conteurs de la forêt du Darien. Mais il m’est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l’usure des conventions et des compromis, malgré l’incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l’harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. Ce quelque chose qui vibre dans la poésie de Jallal Eddine Roumi, par exemple, ou dans l’architecture visionnaire d’Emanuel Swedenborg. Le frisson que l’on éprouve à lire les plus beaux textes de l’humanité, tel le discours que le chef Stealth des Indiens Lumni adressait à la fin du dix-neuvième siècle au Président des Etats-Unis, afin de lui faire don de la terre : « Peut-être sommes nous frères… »

Quelque chose de simple, de vrai, qui n’existe que dans le langage. Une allure, une ruse parfois, une danse grinçante, ou bien de grandes plages de silence. La langue de la moquerie, les interjections, les malédictions, et tout de suite après, la langue du paradis.

C’est à elle, Elvira, que j’adresse cet éloge – à elle que je dédie ce Prix que l’Académie de Suède me remet. À elle, et à tous ces écrivains avec qui – ou parfois contre qui j’ai vécu. Aux Africains, Wole Soyinka, Chinua Achebe, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, à Cry the Beloved Country d’Alan Paton, à Chaka de Tomas Mofolo.. Au très grand Mauricien Malcolm de Chazal, auteur, entre autres de Judas. Au romancier mauricien hindi Abhimanyu Unnuth, pour Lal passina (Sueur de sang), la romancière urdu Hyder Qurratulain pour l’épopée de Ag ka Darya (River of fire). Au Réunionnais Danyèl Waro, le chanteur de maloyas, l’insoumis, à la poétesse kanak Dewé Gorodé qui a défié le pouvoir colonial jusqu’en prison, à Abdourahman Waberi le révolté. À Juan Rulfo, à Pedro Paramo et aux nouvelles du El llano en llamas, aux photos simples et tragiques qu’il a faites dans la campagne mexicaine. À John Reed pour Insurgent Mexico, à Jean Meyer pour avoir porté la parole d’Aurelio Acevedo et des insurgés Cristeros du Mexique central. À Luis González, auteur de Pueblo en vilo. À John Nichols, qui a écrit sur l’âpre pays dans The Milagro Beanfield War, à Henry Roth, mon voisin de la rue New York à Albuquerque (Nouveau Mexique) pour Call it Sleep. À J.P. Sartre, pour les larmes contenues dans sa pièce Morts sans sépulture. À Wilfrid Owen, au poète mort sur les bords de la Marne en 1914. À J.D. Salinger, parce qu’il a réussi à nous faire entrer dans la peau d’un jeune garçon de quatorze ans nommé Holden Caufield. Aux écrivains des premières nations de l’Amérique, le Sioux Sherman Alexie, le Navajo Scott Momaday, pour The Names. A Rita Mestokosho, poétesse innue de Mingan (Province de Québec) qui fait parler les arbres et les animaux. À José Maria Arguedas, à Octavio Paz, à Miguel Angel Asturias. Aux poètes des oasis de Oualata, de Chinguetti. Aux grands imaginatifs que furent Alphonse Allais et Raymond Queneau. À Georges Perec pour Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Aux Antillais Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, au Haitien René Depestre, à Schwartz-Bart pour Le Dernier des justes. Au poète mexicain Homero Aridjis qui nous glisse dans la vie d’une tortue lyre, et qui parle des fleuves orangés des papillons monarques coulant dans les rues de son village, à Contepec. À Vénus Koury Ghata qui parle du Liban comme d’un amant tragique et invincible. À Khalil Jibran. À Rimbaud. À Emile Nelligan. À Réjean Ducharme, pour la vie.

À l’enfant inconnu que j’ai rencontré un jour, au bord du fleuve Tuira, dans la forêt du Darién. Dans la nuit, assis sur le plancher d’une boutique, éclairé par la flamme d’une lampe à kérosène, il lit un livre et écrit, penché en avant, sans prêter attention à ce qui l’entoure, sans se soucier de l’inconfort, du bruit, de la promiscuité, de la vie âpre et violente qui se déroule à côté de lui. Cet enfant assis en tailleur sur le plancher de cette boutique, au cœur de la forêt, en train de lire tout seul à la flamme de la lampe, n’est pas là par hasard. Il ressemble comme un frère à cet autre enfant dont je parle au commencement de ces pages, qui s’essaie à écrire avec un crayon de charpentier au verso des carnets de rationnement, dans les sombres années de l’après-guerre. Il nous rappelle les deux grandes urgences de l’histoire humaine, auxquelles nous sommes hélas loin d’avoir répondu. L’éradication de la faim, et l’alphabétisation.

Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.

J.M.G. Le Clézio, Bretagne, 4 novembre 2008

© LA FONDATION NOBEL 2008

7 décembre 2008

Hery Mahavanona au forum littéraire du CCAC

Nouveau forum littéraire, hier au CCAC à Tana. J'y présentais, cette fois, Hery Mahavanona, auteur de trois recueils de poèmes et de deux nouvelles, pour ne parler que de la part publiée de son oeuvre.
Voici le texte que j'ai prononcé en ouverture de ce forum.

* * *

Je dois le respect à Hery Mahavanona. D’abord parce qu’il est mon aîné. Pour un an seulement, mais quand même. Et puis aussi… mais là, je devrais peut-être lui en vouloir, plutôt… parce qu’en 1999, j’avais inconsidérément envoyé un manuscrit au Prix de poésie Grand Océan, que je n’avais évidemment pas gagné – je n’avais pas cette prétention – mais… presque quand même. Un certain Hery Mahavanona l’avait emporté, suivez mon regard. Oui, je devrais vous en vouloir, Hery. Si vous n’aviez pas été couronné cette année-là avec Urgence d’écriture pour l’émergence annoncée du Mont Ikongo, je serais peut-être maintenant riche et célèbre… (Si la poésie rendait riche et célèbre, bien sûr.)
Vous êtes né à Ikongo, ou Fort-Carnot, en pays tanala. Même si vous en êtes parti assez vite, on verra que vous y êtes resté fidèle. Comme tout le monde ne sait peut-être pas exactement ce qu’est le pays tanala, je voudrais citer le paragraphe d’introduction d’un texte paru en 1905 dans la revue Le tour du monde, dans lequel le lieutenant Ardant du Picq présente Une peuplade malgache, plus précisément : Les Tanala de l’Ikongo.
« Le district de l’Ikongo est situé au sud-est de Madagascar, à 40 kilomètres de la côte, entre le Betsileo et la région côtière. Lorsqu’on y pénètre en venant du Betsileo on éprouve une impression de satisfaction, car on quitte une région d’une désespérante monotonie, où tout est gris et triste, où rien ne vient jeter de gaieté sur un morne paysage, pour affronter tout à coup une forêt qui s’étend à perte de vue, sombre, mystérieuse et immense. »
La forêt, un Cauchemar de chlorophylle ? J’anticipe, car c’est le titre de votre dernier recueil en date, celui dont nous allons parler ensemble tout à l’heure. Je voudrais revenir à vos premières années, que vous avez passées à Mananjary, là où vos parents avaient été nommés – votre mère était institutrice, votre père, fonctionnaire. A Mananjary, il y avait un aéroport, près duquel vous viviez. Et c’est là, dans votre enfance, quand vous montiez sur le toit pour regarder les avions, que votre vocation est née : vous seriez pilote ! Un problème de vue a contrarié l’accomplissement de ce rêve de jeunesse sans pour autant l’abolir tout à fait.

A Manajary, vous ne passez pas toutes vos journées à regarder les avions, bien sûr. Vous allez à l’école, au collège. Puis au lycée à Fianarantsoa, où vous décrochez le bac, point de départ pour des aventures plus ouvertes. Vous entrez à l’armée – l’armée de l’air, bien entendu, je ne vois pas comment vous auriez pu envisager une autre arme. Et l’armée vous envoie à Bordeaux pour cinq ans, au terme desquels vous possédez une formation d’ingénieur mécanicien ainsi qu’une spécialisation dans la maintenance des hélicoptères – cela, c’était à Chambéry, et vous êtes aussi passé par Salon-de-Provence. Une belle ouverture sur le monde qui vous a beaucoup appris, me disiez-vous il y a quelques jours…

Fort de votre savoir et de votre savoir-faire nouvellement acquis, vous rentrez alors à Madagascar en 1976. Vous êtes lieutenant à la base de l’armée de l’air à Ivato. Il y avait là, vous souvenez-vous, une bonne flotte de DC3 dont il fallait assurer la maintenance, sur la piste et lors des réparations. Vous deviez convenir au poste puisque vous devenez patron de la maintenance sur la base et qu’en 1983, vous êtes à nouveau envoyé en France pour poursuivre des études.

Cette fois, il s’agit d’obtenir un titre de docteur en ingénierie aéronautique, à Toulouse. Vous rédigez donc une thèse qui porte sur les écoulements pulsatoires.

Ah ! Les écoulements pulsatoires… ne dirait-on pas le titre d’un poème ? Ce n’était pas pour autant le titre de votre thèse, bien plus compliqué que cela – vous me pardonnerez, j’ai zappé le titre…

En même temps, vous suivez aussi une formation en gestion des entreprises. Oserais-je avancer une hypothèse hardie ? J’ai l’impression que vous en faites trop, à ce moment, pour trouver encore votre place dans l’armée de l’air. Vous êtes surqualifié, et que va-t-on faire de vous quand vous rentrez à Madagascar en 1988 ?

Après une période de flottement, vous devenez conseiller technique au Ministère des transports, pour l’aéronautique, cela va sans dire, et on vous propose de conduire un projet qui devrait conduire à la privatisation d’un certain nombre d’aéroports malgaches.

Cette fois, bien qu’appartenant toujours à l’armée de l’air, vous avez mis le doigt dans l’engrenage du civil. Assez naturellement, étant donné votre expérience et vos compétences, vous êtes nommé directeur de l’aéroport d’Ivato. Nous sommes en 1989, c’est le moment où commence à se mettre en place l’ADEMA (Aéroports de Madagascar), société de droit privé qui est un peu le fruit du projet que vous aviez mené au Ministère des transports. Vous en serez, assez logiquement, le Directeur général adjoint de 1991 à 1995 avant de devenir Directeur général jusqu’en 2004. Puis vous êtes, pendant un an et demi, Directeur des combattants nationaux, liste de 1947, ce qui vous rappelle des événements que vous n’avez pas connus mais qui se sont déroulés notamment dans l’Ikongo. Et vous êtes actuellement rattaché au cabinet du Ministère de la défense.

Oui, mon général !

Car, de peur de m’embrouiller dans les galons et les étoiles, dans une hiérarchie qui m’a toujours semblé mystérieuse, j’ai passé sous silence votre ascension progressive au sein de l’armée de l’air, jusqu’à ce grade de général qui est le vôtre.

Une carrière bien pleine, n’est-ce pas ? Et qui ne vous a pourtant pas empêché de contracter, très tôt, le virus de l’écriture. Vous avez eu la chance – cela commence souvent ainsi – de subir l’influence bénéfique d’un professeur de français qui vous a fait découvrir la poésie. Hugo, Senghor, Césaire, ont été vos guides. Et, avant même d’avoir 18 ans, vous aviez écrit deux recueils – que nous ne lirons probablement jamais puisque vous portez maintenant sur eux un jugement assez sévère.

En 1971, vous recevez le deuxième prix d’un concours de nouvelles organisé par la Star – l’histoire ne dit pas, et je ne veux pas le savoir, si vous aviez trouvé l’inspiration au fond d’une bouteille de THB. Kotomena le pêcheur, c’est le titre de cette nouvelle, est publié avec les textes d’autres lauréats.

L’année suivante, vous venez d’arriver à Bordeaux, vous écrivez un long poème, Chant de fin de nuit, où l’on sent les influences – Senghor, en particulier – mais aussi la volonté de vous réenraciner dans la terre malgache que vous avez à peine quittée. Ce texte clôt votre premier recueil, dont j’ai déjà cité le titre : Urgence d’écriture pour l’émergence annoncée du Mont Ikongo. Recueil construit patiemment, pendant plus de vingt ans, et dont la première partie, cela n’étonnera personne, s’intitule : Pays tanala.

Cinq ans se passent avant la sortie d’un deuxième recueil de poèmes, Lumière océane du petit matin.

Vous avez aussi publié une nouvelle, Sadikamena, dans le recueil collectif dirigé par Dominique Ranaivoson, Nouvelles de Madagascar – et vous étiez ici, avec quelques autres écrivains, pour en parler lors de sa sortie. Il y aura une autre nouvelle écrite par vous dans le deuxième volume.

Mais surtout, voici maintenant le troisième recueil de poèmes, Cauchemar de chlorophylle, qui commence ainsi :
« Non, je n’en ai pas fini
fini de hurler
dans le vide sidéral des consciences assoupies
fini de prêcher mon catéchisme vengeur
dans les déserts réfractaires de la passivité »
C’est ce livre en particulier, et plus généralement (mon général !) la manière dont vous conduisez votre travail littéraire, que nous allons donc évoquer ensemble aujourd’hui. Avant de vous céder la parole, je voudrais revenir au texte d’Ardant du Picq que je citais tout à l’heure. Il y écrit aussi ceci :
« Il existe dans l’Ikongo une poésie populaire, rustique et primitive, qui ne manque pas de pittoresque. Elle est le reflet du caractère et des mœurs des Tanala : grands chasseurs, parcourant sans cesse la forêt, profonds observateurs des mœurs des animaux, doués en même temps d’un bon sens plein de rusticité et de franchise, comment n’auraient-ils point inventé d’ingénieux rapprochements, et formulé de sages mais primitives sentences ? »
Je ne sais pas si vous devez quelque chose à cette tradition. Mais je peux déjà dire que votre poésie n’a rien de primitif.

5 décembre 2008

Madagascar 1947 : la censure ?

Je vous ai parlé ici de Madagascar 1947, le texte de Raharimanana que Thierry Bédard a mis en scène. La première avait eu lieu au CCAC à Tana, puis la pièce s'était jouée à Limoges, et en beaucoup d'autres endroits en France.
L'auteur et le metteur en scène pouvaient légitimement espérer voir tourner ce spectacle dans la région à laquelle appartient Madagascar - l'Afrique australe orientale et l'Océan Indien, pour reprendre la délimitation géographique appliquée lors de la réunion régionale annuelle de programmation qui s'est tenue à Addis Abeba le 5 novembre dernier.
Que nenni! 47, le spectacle, a été, écrit Thierry Bédard dans une lettre à Bernard Kouchner, "retiré des propositions de programmation".
Il ajoute: "Nous souhaiterions donc urgemment connaître les raisons qui ont justifié ce retrait inacceptable."
En fait, moi aussi, j'aimerais bien savoir. (Et vous?)
Voici en tout cas un solide sujet de polémique, sur lequel vous saurez tout en lisant l'article que Raharimanana a publié aujourd'hui sur le site Rue 89. Lisez les réactions aussi. Enthousiasmantes ou consternantes, selon les cas.
Affaire à suivre, comme on dit...
Ironie du calendrier: ce soir même, Raharimanana participe aux huitièmes rencontres internationales des écritures de l'exil, dans la petite salle du Centre Pompidou à Paris (19h45).

Les archives photographiques de Life en ligne



Life fut un grand magazine dont la qualité des photos ont fait la réputation. Ses archives sont progressivement mises en ligne, y compris des clichés qui ne sont jamais parus.
Vous commencez à me connaître, je n'ai pas pu résister à effectuer une petite recherche sur le site à partir du mot-clé "Madagascar".
Résultat: 156 photos extrêmement prévisibles, lémuriens, caméléons et autres bestioles qui font la richesse de notre faune. Peu, très peu d'autres sujets. Il y a bien une couverture sur le film Madagascar, le satellite Hubble au-dessus de la Grande Ile, Philibert Tsiranana dans une rangée d'autres chefs d'Etat aux funérailles de Charles de Gaulle, Louis Rakotomalala (ambassadeur aux Etats-Unis et aux Nations Unies) et... des lemurs, des lizards, des lizards, des lemurs...
Pour être représentatif de ce qu'était le monde malgache pour Life, je vous propose donc un lemur et un lizard - pardon, un lémurien et un caméléon.


P.S. Je ne promets pas d'y penser chaque fois, mais je vais, à partir d'aujourd'hui, m'habituer à justifier les textes de ce blog - c'est quand même plus joli, non?

1 décembre 2008

La tyrannie des fêtes et des cadeaux

C'est un coup de gueule qui n'a rien à voir avec Madagascar. Mais, s'il était entendu par les Malgaches, il ferait peut-être du bien à quelques-uns d'entre eux.
Je viens d'entendre, dans un journal télévisé, une dame qui allait chercher de la nourriture aux Restos du cœur.
Elle disait: "J'ai dû zapper deux factures pour payer les cadeaux des enfants."
Je ne sais pas sur quel poste de son budget tombaient (mal) ces factures. Loyer? Gaz? Electricité? Peu importe. Toujours est-il que les cadeaux des enfants lui semblaient plus importants.
Je déteste les fêtes fixées dans les calendrier. (Mais j'aime bien faire la fête.)
Je sais encore mieux pourquoi depuis tout à l'heure.
M'obliger à dépenser de l'argent pour faire marcher un commerce saisonnier? Non merci. Les produits frais saisonniers, oui. Les cadeaux quand j'ai envie d'en faire, oui aussi. Mais que personne ne vienne me dire à quelle date je dois les offrir.
P.S. Je ne fête pas mon anniversaire non plus.

Trois nouveaux ouvrages sur Madagascar

L'actualité de la librairie ne s'arrête jamais. La preuve par trois titres.


La sortie de Madagascar: le grand livre des petits métiers (Editions Snoeck) est annoncée dans quelques jours (le lancement à Madagascar se fait jeudi).
La République de Madagascar est un état insulaire, situé dans la partie occidentale de l’Océan Indien. « Madagascar » est un livre photo avec de superbes images des différents petits métiers de Madagascar : un fabriquant de briques en terre, un cultivateur, un fabriquant de miniatures en bois, un gardien de canards, une lavandière, un piroguier etc... Avec des textes de Laurence Vanpaeschen et une préface de Bekoto, membre du groupe de musique malgache « Mahaleo » et spécialiste dans la défense des droits des paysans.
Un ouvrage destiné aux jeunes vient de paraître. Zafy et Tam, enfants du métissage (Editions Siloé), de Nathalie Boquien et Claude Grollimund, est destiné aux lecteurs débutants, à partir de 6 ans.
Zafy et Tam sont deux enfants vivant dans un village de Madagascar. Un jour de marché, intrigués de voir tant de visages différents, ils décident de découvrir les diverses origines de leur île. Comme le riz qui mûrit tout au long d une saison, les deux garçons, au gré de leurs rencontres, parviendront à une maturité qui leur permettra de mieux appréhender les diversités ethniques, religieuses et culturelles du peuple malgache, et d apprécier la richesse de ces différences. À travers une fiction illustrée, chaque titre de la collection Terre de mômes destinée à un public de lecteurs juniors se donne pour principal objectif la découverte de tout jeunes citoyens du monde mis en scène dans leur vie quotidienne et jamais banale.
Enfin, cela intéressera les spécialistes, Les crevettes côtières de Madagascar font l'objet d'une étude dirigée par Alain Caverivière, Christian Chaboud et Théophile Rafalimanana (Editions de l'IRD).
Depuis les années 1960, les crevettes côtières de Madagascar font l’objet d’une intense exploitation. Elles représentent l’une des principales ressources de devises du pays et constituent à ce titre un enjeu convoité par les investisseurs, mais aussi par les pêcheurs traditionnels. Du fait de l’augmentation de la pression de pêche, la pêcherie malgache se trouve confrontée, depuis le milieu des années 1990, à des difficultés économiques croissantes, à la stagnation des débarquements, à la baisse des rendements et de la taille moyenne des captures.
Avec pour objectif d’actualiser les connaissances scientifiques sur la ressource et d’en améliorer la gestion et l’exploitation, mais également pour définir une politique d’aménagement des aires de production, le Programme national de recherche crevettière (PNRC) a été lancé en 1997 avec le soutien financier de l’Agence française de développement et l’expertise scientifique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
Cet ouvrage en présente la synthèse dans trois principaux domaines : biologie et environnement des espèces ; dynamique et état de l’exploitation industrielle, artisanale et traditionnelle ; économie de l’exploitation et évolution des aménagements.