27 février 2018

La mort d'Alain Jeanpierre

Un auteur de la Bibliothèque malgache vient de disparaître et la maison est bouleversée. Alain Jeanpierre est mort en France le 16 février, à 77 ans. Il était né près de Paris le 26 septembre 1940 et était installé à Madagascar depuis 1989. Dans sa retraite active à Toliara, la grande ville du sud-ouest, il terminait une maison qui reflétait son bon goût d’architecte sans diplôme et continuait à élargir son immense culture doublée d’une prodigieuse mémoire.

Son livre unique, Pochades, est composé de deux longues nouvelles dont la première, « Cyclone sec », se déroule – sans le dire explicitement – à Madagascar. Charles y arrive pour la première fois, en visite chez son ami Antoine. Il découvre les plaisirs du coup de foudre et les désagréments de ses conséquences.
La seconde, « Suzanne et ses vieillards », raconte sur un ton enjoué le vilain tour que montent des copains de bar afin de protéger la petite-fille de l’un d’eux, trop jeune pour être dévorée par un agent immobilier entreprenant.

Dans Roman vrac (Bibliothèque malgache pour l’édition numérique, No Comment pour l’édition papier), où Jean-Claude Mouyon (mort en 2011) faisait entrer ses plus proches amis dans sa belle galerie de personnages, Alain Jeanpierre y était l’Archi. Décrit avec la liberté que donne la fiction :

L’Archi, depuis quelques temps il a la barbe grisonnante, le menton inquiet et l’œil rigolard. La trilogie de l’existence. Il vient de nous faire le coup du papa cinquantaine. Alors il construit à tout va pour la descendance. Il échafaude volumes et plans avec baignoires à tous les étages, panneaux solaires et éoliennes, balcons aux quatre coins cardinaux, nurserie aérienne, salons et bibliothèques, bar central, cuisines extérieures et chambres amovibles. Il en est à son dixième cahier. En ce moment il attaque le ponton et le bateau qui va avec. L’Archi, si on le laisse faire il va nous chambouler la brousse. Nous mettre le lagon dans une bulle. Il faudrait le calmer, lui trouver une autre occupation tant qu’il n’a pas l’argent pour acheter son terrain. Putain de soleil.

23 février 2018

Il y a 100 ans : Pour développer le cheptel malgache

Un de nos confrères de Madagascar préconisait la mise en valeur des pâturages de la Grande Île en attribuant des terrains aux particuliers ou aux sociétés qui pratiquent l’élevage.
Un autre confrère, les Petites Affiches de Majunga, s’élève contre cette opinion, du moins en ce qui concerne la côte occidentale.
Dans tout l’Ouest, assure-t-il, la transhumance est une règle et une nécessité pendant la saison sèche, les troupeaux paissent dans le fond des vallées et sur le haut des plateaux quand arrivent les pluies. Le rédacteur de la Revue agricole est convaincu qu’il faut un parcours de 10 000 hectares pour un troupeau de 5 000 têtes, mais le même parcours n’est-il pas aussi nécessaire pour un troupeau de 1 000 têtes et même de 100 têtes ?
Avant la conquête, le premier ministre envoyait ses troupeaux dans les riches herbages d’Andriamena, d’Ankoala et d’Ambalanjanakamby. Tous les vieux colons connaissent ce fait ; ils savent également qu’aujourd’hui les troupeaux des régions voisines font de même et convergent, dès le début de la saison sèche, vers cette magnifique prairie naturelle.
Dans ces conditions, qu’arriverait-il si l’Administration concédait des parties de cette région à un particulier ou à une société ?
« Les troupeaux du Kamoro, de la Betsiboka et de l’Ikopa, répond notre confrère, ne pourraient plus transhumer et disparaîtraient rapidement. »
Ce serait, en effet, un moyen bien singulier de conserver le cheptel de l’île. Au surplus, la région occidentale est appelée à devenir, un jour qui est peut-être prochain, un pays essentiellement agricole, et de céder des terrains dans cette partie de la colonie, même pour faciliter l’élevage en grand, serait enlever de vastes espaces à la culture.
Pour conserver le cheptel malgache, les pâturages doivent donc rester communs.
Le Courrier colonial

Accident

Dimanche dernier, sur la route de l’Ivoloina, une automobile qui portait quatre personnes heurta la charrette d’un Malgache, fit une embardée et chavira.
L’un des passagers eut seulement de légères contusions, les autres en sortirent indemnes. La voiture seule a été fortement endommagée.

Le Tamatave

Deux volumes de compilation de la presse à propos de Madagascar il y a 100 ans sont disponibles. La matière y est copieuse et variée, vous en lisez régulièrement des extraits ici. Chaque tome (l'équivalent d'un livre papier de 800 pages et plus) est en vente, au prix de 6,99 euros, dans les librairies proposant un rayon de livres numériques. D'autres ouvrages numériques, concernant Madagascar ou non, sont publiés par la Bibliothèque malgache - 71 titres parus à ce jour.

21 février 2018

Louis Tinayre, envoyé spécial à Madagascar

Le cas de Louis Tinayre, présent dans l’exposition, mérite d’être examiné en détail. Au moins pour un moment particulier de sa vie quand, en 1895, il accompagna ce que les Français appelaient « l’expédition de Madagascar » et qui était, en réalité, la deuxième tentative de colonisation après celle de 1883 qui avait échoué.
Il est l’envoyé spécial du Monde illustré. Son frère Abel a déjà couvert quelque temps auparavant, pour le même hebdomadaire, l’expédition du Dahomey. Bon sang ne saurait mentir, se dit-on probablement à la rédaction. Louis Tinayre est un collaborateur régulier mais, paradoxe pour un envoyé spécial sur le théâtre d’un conflit, il n’écrit pas, ou très peu : il dessine, peint, photographie… C’était, après tout, le principe même de la publication : donner à voir les événements, le récit étant secondaire.
Le voici donc avec son portrait dans les pages intérieures et sur le Yang-Tsé, un paquebot-poste lancé en 1877 sur lequel, ironie de l’Histoire, navigueront aussi bien Gallieni, gouverneur général de Madagascar colonie française, que Ranavalona III en route pour son exil algérien.
Mais revenons à notre artiste des lointains.
Il a 34 ans, un des premiers documents qu’il envoie de Port-Saïd, en cours de voyage, est l’image d’une sieste sur le gaillard d’avant du navire. En même temps que sa vision de la traversée du canal de Suez.
Dès le numéro du 11 mai, les lecteurs du Monde illustré savent qu’il est à pied d’œuvre sur le terrain : ce jour-là, la couverture du magazine (notre illustration) montre un mirador, poste d’observation en avant de « Majunga », occupé par la 1re compagnie des tirailleurs malgaches, un dessin signé Louis Tinayre. Il en donnera beaucoup d’autres au cours des mois suivants, et pas mal d’entre eux se retrouveront également à la Une.


On assiste ainsi, au début de son parcours, à l’interrogatoire d’un tirailleur « sakalave », au ballet des voitures Lefevre, au débarquement des troupes et du matériel que déplacent des porteurs « indigènes » lourdement chargés.
Le commandant Metzinger, qui dirige à ce moment les troupes de l’expédition, fait aux Malgaches de belles promesses. L’avenir s’annonce radieux pour ceux des habitants qui se placeront aux côtés des Français…
Et Tinayre dessine, photographie. Il aime à l’évidence, les tirailleurs bien rangés en ligne sur ce que l’on suppose être une ligne de front, ou en route pour Marovoay. Ce sont, écrit le journal, « certains des épisodes les plus saillants des débuts de la campagne ».
Il visite un sanatorium, qu’ira voir plus tard le général Duchesne – et, dans ce cas précis, on se demande un peu comment il a pu s’attribuer une photographie sur laquelle il est porté en filanzane. Ses éventuels assistants n’ont pas de nom…
A Mononga, il y a des combats. Il les dessine. On n’est pas envoyé spécial pour se reposer à l’arrière, bien qu’il soit aussi photographié, très tranquille, en chaise longue, devant une tente. Il s’essaie aussi à la scène de genre, hors du brouhaha de la guerre : c’est un Malgache faisant sa provision d’eau, celle-ci s’écoulant à travers un bambou au départ d’un tonneau ; c’est la sieste des muletiers arabes, sous un manguier.
Suberbieville, cité industrieuse et minière fondée par Léon Suberbie, est une halte bienvenue. C’est là, à peu près, à côté de Maevatanana, que se termine prématurément le chemin de Louis Tinayre. Bien placé pour dessiner la Betsiboka et l’Ikopa où naviguent des canonnières, il entend les rumeurs du combat de Tsarasoatra. Le 14 juillet, il assiste à la revue et aux divertissements qui conviennent à ce jour, et c’est à peu près son dernier fait d’armes, si l’on ose l’écrire ainsi.
A la fin du mois d’août, en commentant la matière de ses dernières productions – un immense convoi de vivres et de malades –, il annonce aussi que le général Duchesne, décidé à prendre Andriba et à mobiliser toutes les forces de son armée dans ce but, ne souhaite pas avoir les envoyés spéciaux des journaux dans les pieds : « Il est vraiment dur, pour un correspondant, de se voir arrêter juste au moment où l’intérêt décisif de la campagne va s’engager ; et de perdre ainsi le fruit de tant de fatigues subies depuis des mois dans l’espoir de recueillir, de visu, le plus de documents possibles ; mais que faire en présence de la volonté du général Duchesne ? »
Il se console en se disant heureux d’avoir survécu au climat meurtrier de Suberbieville et en ajoutant que sa santé ébranlée malgré tout par la dysenterie trouverait à la Réunion un contexte favorable à un total rétablissement.
Tandis que l’armée continue à avancer – on connaît la suite –, Louis Tinayre bat donc en retraite. Son aventure malgache est bientôt terminée. Mais, en un sens, elle ne fait que commencer. Car, à son retour en France, il reprend les dessins et les photographies réalisés sur place et se met à peindre. De grandes toiles, notamment, de 3,5 sur 5 mètres, exposées à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Albert Ier de Monaco les remarquera, ce qui décidera le prince à embarquer l’artiste comme peintre officiel de ses campagnes océanographiques.
De la campagne de Madagascar au Rocher de Monaco, ce fut un long chemin pour Louis Tinayre, qui décédera en 1942.

16 février 2018

« Peintres des lointains », le goût de l’exotisme

Avant de revenir aux chroniques traditionnelles d'il y a 100 ans et de basculer vers des articles publiés en 1918 (on en était resté, jusqu'à présent, à 1917), un interlude d'une actualité qui reste ancrée dans le passé avec deux articles parus dans Les Nouvelles (ce journal publie aussi quotidiennement les chroniques reprises ici avec un décalage) le 9 février.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris accueille depuis la fin du mois dernier et jusqu’à l’année prochaine une exposition de peintures. Près de deux cents œuvres doivent révéler l’évolution du « regard porté en Occident sur les peuples, sociétés et territoires lointains, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe ». Donc, aussi, sur Madagascar.


Le dépliant gratuit qui accompagne l’exposition fait d’ailleurs la part belle à Madagascar. Seuls trois peintres y sont représentés. Et, si Eugène Fromentin s’est arrêté en Afrique du Nord, les deux autres ont visité nos contrées : Louis Tinayre à l’occasion de la campagne militaire de 1895 – nous y reviendrons en détail dans l’article suivant – et Marcel Mouillot.
Celui-ci, nous explique le commentaire, est un artiste autodidacte (1889-1972) qui partit en 1930 pour l’océan Indien, comme passager d’un bateau à vapeur. Il passa donc ainsi par Madagascar et par La Réunion. « Les paysages découverts lui inspirent des toiles qui renouvellent l’imaginaire visuel de l’exotisme. Dans des teintes souvent froides de bleus et de verts, Marcel Mouillot pétrifie la nature en usant de la simplification et de la géométrie des motifs. »
Dans ses œuvres (dont nous ignorons lesquelles sont exposées à Paris), on trouve notamment une pirogue à Nosy-Be. Et il est possible que sa Vue d’un bateau à travers des branches de palmiers, une gouache sur papier, soit au moins inspirée par Madagascar. Mais, en 1930, la Réunion était presque aussi exotique…
Péric Bietry-Rivierre, qui a visité l’exposition (ce n’est pas notre cas) pour en rendre compte dans Le Figaro (édition d’hier, jeudi 8 février), signale un tableau d’André Liotard, Femme malgache à sa toilette : « une Noire essuie une Blanche au sortir d’un bain, prétexte à un saphisme racoleur et au rappel du pouvoir. »
André Liotard (qui se prénommait en réalité Alcide, mais il ne devait pas être fou de son prénom), né en 1887 et mort en 1973, possède une carrière singulière qui a toujours laissé une place à l’expression artistique mais qui s’est aussi développée sur d’autres terrains. Directeur des travaux en Afrique, il termina, après la Première Guerre mondiale, la ligne ferroviaire qui relie le littoral du Gabon à Léopoldville, alors au Congo belge. Et en 1926, voilà qui le rapproche géographiquement de nous, il est nommé directeur de la Compagnie coloniale de Madagascar. Il démissionnera de ce poste pour redevenir architecte et construite, dans la Grande Île, des églises, des couvents et une gare ferroviaire. Opposé au pouvoir de Vichy dès le début de la Seconde Guerre mondiale, il est élu conseiller municipal de « Tananarive » en 1944. Il présidera en 1947 la Ligue de défense des intérêts franco-malgaches et deviendra sénateur en 1948, représentant Madagascar pendant son unique mandat.
En 1952, l’année où celui-ci se termine, selon sa biographie établie par les services du Sénat, il publie dans Le Monde un article où « il refuse le terme d'autochtones, « non-sens de la constitution » qui fige des « fractions indépendantes » dans une situation précaire. Il affirme que « le développement normal de [ces] territoires ne saurait être que celui des populations toutes entières qui les peuplent aujourd'hui, ensemble, dans tous les domaines d'activité, et non point en séparant une fraction, dite autochtone ».
Dans l’exposition, on peut croiser aussi, avec Marécage à Madagascar, le nom d’Adolphe Martial Potémont (1828-1883). Ce paysagiste a vécu à La Réunion, de 1847 à 1857, et se trouvait donc très proche d’autres terres qu’il a forcément visitées. L’Iconothèque historique de l’océan Indien reproduit plus de cent de ses œuvres, parmi lesquelles certaines sont puisées dans des décors que nous connaissons bien. Un dessin, gouache et crayon, par exemple, où des Malgaches conduisent un troupeau de zébus. Un autre, selon la même technique, où deux zébus se trouvent dans une clairière. Un paysage avec rivière, huile sur toile. Une estampe : Grève de Tamatave. Etc. Comme on le voit, les décors l’intéressaient davantage que les humains – les gardiens de zébus sont noyés dans le paysage, splendide, il est vrai.
Ce ne sont là que quatre exemples puisés au plus près de nous dans une exposition qui, on le rappelle, n’est pas consacrée qu’à Madagascar. Et peut-être ne sont-ils pas représentatifs des grandes tendances qui traversent l’ensemble de Peintures des lointains. Quand même, osons en tirer un enseignement, avec toute la prudence nécessaire.
Les paysagistes, essentiellement Marcel Mouillot et Adolphe Martial Potémont, se moquent pas mal des mœurs locales et des rapports humains. Ils ont devant les yeux quelques-unes des plus grandes beautés du monde et ne se privent pas de s’en inspirer pour montrer en Europe des images devenues communes, aujourd’hui que l’audiovisuel a envahi le monde, mais peu connues à leurs époques respectives.
Les deux autres sont plus engagés dans leur temps. En suivant l’armée française, Louis Tinayre ne dit pas qu’il approuve l’action colonialiste. Mais il ne dit pas le contraire non plus. André Liotard semble avoir bâti sa vie sur des nuances. Il serait utile de creuser le sujet.

14 février 2018

Il y a 100 ans : La situation à Madagascar (3)

(Suite et fin.)
Récemment, la Tribune de Madagascar constatait avec mélancolie qu’un administrateur visitant sa province mobilisait au minimum huit hommes pour porter son filanzane et ses bagages, huit hommes attachés en quelque sorte à sa personne, c’est-à-dire perdus comme main-d’œuvre.
Indépendamment des routes, les colons ont exprimé de nombreux desiderata à leur nouveau gouverneur général ; c’est ainsi qu’ils réclament la suppression de la réquisition des cuirs dont le moindre inconvénient a été d’annihiler une industrie active et prospère.
Leurs plaintes sont parfaitement justifiées comme le Courrier colonial l’a maintes fois répété ; elles n’en restent pas moins impuissantes puisqu’au 15 mars dernier, la réquisition des cuirs dans la colonie n’avait donné qu’un nombre infime de peaux tannées. Le reste a donc passé à tout autre chose qu’aux besoins de la guerre et les colons disent avec raison qu’alors il n’était point nécessaire de payer ces peaux si cher. Il est évidemment fâcheux que la France – c’est-à-dire les contribuables – ait dépensé son argent pour réunir des produits sans utilité.
M. Merlin s’inquiète assurément de cet état de choses, mais la mission chargée de l’achat des cuirs échappe à son autorité et il ne peut qu’adresser ses observations au département des colonies.
Voilà quelques-uns des problèmes qui se posent dans la Grande Île et dont nos colons vont réclamer la solution à M. Merlin. Les lettres que publie la presse locale depuis l’arrivée du nouveau gouverneur général en témoignent. Certaines même préconisent des remèdes tels que l’interdiction de vendre les récoltes sur pied, le recensement des denrées existant dans la colonie, l’achat du paddy par l’administration afin de faire disparaître le fâcheux intermédiaire, la répartition du riz entre les provinces suivant leurs besoins, le maintien des colons indispensables aux cultures, etc.
Ces idées ainsi émises méritent d’être mûrement examinées. Elles le seront certainement par M. Merlin qui s’est montré en A. O. F. assez habile administrateur pour que Madagascar ne ressente aucune inquiétude au sujet de l’avenir.
G. Bertrand.

Le Courrier colonial

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13 février 2018

Il y a 100 ans : La situation à Madagascar (2)

(Suite.)
Comme il ne s’agit que d’inégalités dans la production et que, dans l’ensemble, Madagascar produit assez de riz pour sa population, il ne paraît pas impossible de remédier à cette situation.
M. Merlin peut demander, par exemple, aux chefs de province de le renseigner exactement sur le rendement de chaque région, de lui indiquer les causes de la raréfaction du riz qui n’est pas due seulement à une récolte déficitaire.
L’administration supérieure de la colonie peut se rendre compte ainsi de l’importance et de l’extension plus ou moins grande prise par les cultures vivrières dans les régions plus favorisées.
Peut-être conviendrait-il actuellement d’interdire l’exportation du riz et de ne pas laisser se reproduire des faits dans le genre de celui-ci :
Dernièrement, un chargement de riz pris à Majunga pour Bourbon a négligé de s’arrêter dans cette île et a poussé jusqu’à Maurice où le riz est resté. On comprend que nos compatriotes de Bourbon n’aient pas été contents.
Les voies ferrées existantes sont manifestement insuffisantes et il ne sera pas facile, après la guerre, de leur donner toute l’extension nécessaire. Et puis, le rail ne suffit pas ; il ne peut pénétrer partout. Pour arriver jusqu’à lui, il faut des routes que puissent sillonner les charrettes, les camions, les automobiles. Les courses et les épreuves de sélection qui ont lieu dans les principaux centres de la colonie, les achats de chevaux effectués à Madagascar par Maurice et par le Sud-Afrique nous dispensent d’inquiétudes au sujet de ce moyen de traction ; l’élevage chevalin de la Grande Île est en bonne voie ; il n’y aurait qu’à l’intensifier. En ce qui concerne les automobiles et les routes pour les faire circuler, Madagascar est plutôt mal pourvu et il y a beaucoup à faire dans cet ordre d’idées. On ne peut pourtant pas s’en tenir indéfiniment au portage, c’est-à-dire aux bourjanes dont les rangs ont été, d’ailleurs, éclaircis par la mobilisation ; aussi bien, ceux qui sont restés préfèrent-ils « petraker », c’est-à-dire s’abandonner à un doux farniente.
Que de fois nos confrères locaux ont-ils demandé qu’on utilise tous ces bras inoccupés à la construction des routes les plus nécessaires !
 (À suivre.)
G. Bertrand.

Le Courrier colonial

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11 février 2018

Il y a 100 ans : La situation à Madagascar (1)

Prendre possession d’un nouveau poste est toujours chose délicate même pour un gouverneur expérimenté. Tel doit être l’avis de M. Merlin récemment installé à Madagascar où il succède à un excellent fonctionnaire, M. Garbit, qui a pu faire de la bonne besogne dans une colonie qu’il connaissait de longue date.
Quand on remplace un gouverneur général, genre Augagneur, on n’a pas grand’peine à gagner la sympathie des colons. Quand on vient après un fonctionnaire comme M. Garbit, qui ne laisse que des regrets, il est beaucoup plus méritoire de devenir un chef populaire.
Nous sommes persuadé que M. Merlin, sans faire oublier son prédécesseur, a déjà su gagner toutes les sympathies de nos compatriotes de la Grande Île. Son premier soin va être évidemment de mettre au point les nombreux projets dont M. Garbit poursuivait l’exécution et que son brusque départ l’a empêché de réaliser.
À l’heure actuelle, la situation économique de Madagascar ne saurait trop retenir l’attention du haut fonctionnaire chargé de la diriger ; la guerre a eu, dans cette colonie, une répercussion assez profonde pour risquer, si l’on n’y prenait garde, d’annihiler le puissant effort fait depuis la venue de ce merveilleux administrateur qu’était le général Gallieni.
Les hostilités empêchent notamment de doter la Grande Île du système routier dont le besoin se fait de plus en plus impérieusement sentir.
À ce point de vue, Madagascar offre sensiblement le même spectacle que la Chine actuelle ou l’Europe du moyen âge ! Des provinces regorgent de produits pendant que d’autres sont exposées à souffrir de la disette, pour ne pas dire de la famine, tellement le défaut de routes rend malaisée la circulation des denrées à l’intérieur de la colonie.
En dehors de quelques régions évidemment privilégiées, Madagascar manque de riz. La chose peut paraître invraisemblable attendu que notre grande colonie de l’océan Indien en produisait de plus en plus. Mais la mobilisation, la paresse des indigènes, le manque de moyens de communication ont réussi à provoquer dans diverses provinces la pénurie d’une denrée qu’elle exportait en assez fortes quantités depuis quelques années.
(À suivre.)
G. Bertrand.

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7 février 2018

Il y a 100 ans : Fiandravasana

Nos confrères de la Grande Île protestent énergiquement contre des coutumes déplorables, désastreuses dans leurs conséquences, et cependant respectées encore dans certaines parties de la province du Betsiléo : il s’agit du Fiandravasana qui se traduit surtout par des orgies dont l’alcool fait les principaux frais.
Lorsqu’un indigène meurt, on s’abstient d’abord de déclarer le décès dans les délais prévus par la loi, jusqu’à la venue de ses proches dont le domicile est parfois très éloigné ; en attendant leur arrivée, on organise la « veillée des morts » qui n’est pas ordinaire car on y convie tous les voisins et même les… autres, notamment des filles et des garçons de huit à quinze ans… puis on commence la veillée, c’est-à-dire que tous les soi-disant veilleurs se livrent à une débauche d’alcool que l’orgie suit bientôt.
Les historiens ont voué à l’exécration les noms de Louis XV et de Napoléon III pour le parc aux cerfs de Marly et le parc aux biches de Compiègne. Nos indigènes n’ont pas eu besoin de lire l’Histoire pour s’inspirer de ces illustres exemples ; quand l’orgie est à son comble, on voile la tête des filles qui gagnent la campagne et la chasse commence ; les garçons se lancent sur leurs traces et se saisissent de celle qui leur tombe sous la main. Cette « fête » dure trois jours.
Dans un village du Betsiléo, il y eut dernièrement cinq décès dans le mois, ce qui occasionna quinze jours d’orgie.
Notre confrère la Tribune de Madagascar fait observer avec raison que laisser vivre de semblables coutumes, c’est vouloir la destruction d’une race qui fut jadis vigoureuse.
Pour mettre un terme à ces déplorables mœurs, il ne suffira pas d’exiger la déclaration prompte du décès, mais il faudra interdire la coutume ; ce sera l’affaire des fonctionnaires indigènes, des médecins de colonisation qui sont, par leur origine même, plus à même de comprendre la mentalité du Betsiléo et de constater les regrettables effets de ces réunions.
Respecter les coutumes nationales d’un peuple est bien et parfois d’une bonne politique, mais il en est tout de même quelques-unes – et le Fiandravasana est de celles-là – dont les Malgaches eux-mêmes accepteront la suppression quand ils pourront apprécier les avantages qui en résulteront.

Le Courrier colonial

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