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21 février 2018

Louis Tinayre, envoyé spécial à Madagascar

Le cas de Louis Tinayre, présent dans l’exposition, mérite d’être examiné en détail. Au moins pour un moment particulier de sa vie quand, en 1895, il accompagna ce que les Français appelaient « l’expédition de Madagascar » et qui était, en réalité, la deuxième tentative de colonisation après celle de 1883 qui avait échoué.
Il est l’envoyé spécial du Monde illustré. Son frère Abel a déjà couvert quelque temps auparavant, pour le même hebdomadaire, l’expédition du Dahomey. Bon sang ne saurait mentir, se dit-on probablement à la rédaction. Louis Tinayre est un collaborateur régulier mais, paradoxe pour un envoyé spécial sur le théâtre d’un conflit, il n’écrit pas, ou très peu : il dessine, peint, photographie… C’était, après tout, le principe même de la publication : donner à voir les événements, le récit étant secondaire.
Le voici donc avec son portrait dans les pages intérieures et sur le Yang-Tsé, un paquebot-poste lancé en 1877 sur lequel, ironie de l’Histoire, navigueront aussi bien Gallieni, gouverneur général de Madagascar colonie française, que Ranavalona III en route pour son exil algérien.
Mais revenons à notre artiste des lointains.
Il a 34 ans, un des premiers documents qu’il envoie de Port-Saïd, en cours de voyage, est l’image d’une sieste sur le gaillard d’avant du navire. En même temps que sa vision de la traversée du canal de Suez.
Dès le numéro du 11 mai, les lecteurs du Monde illustré savent qu’il est à pied d’œuvre sur le terrain : ce jour-là, la couverture du magazine (notre illustration) montre un mirador, poste d’observation en avant de « Majunga », occupé par la 1re compagnie des tirailleurs malgaches, un dessin signé Louis Tinayre. Il en donnera beaucoup d’autres au cours des mois suivants, et pas mal d’entre eux se retrouveront également à la Une.


On assiste ainsi, au début de son parcours, à l’interrogatoire d’un tirailleur « sakalave », au ballet des voitures Lefevre, au débarquement des troupes et du matériel que déplacent des porteurs « indigènes » lourdement chargés.
Le commandant Metzinger, qui dirige à ce moment les troupes de l’expédition, fait aux Malgaches de belles promesses. L’avenir s’annonce radieux pour ceux des habitants qui se placeront aux côtés des Français…
Et Tinayre dessine, photographie. Il aime à l’évidence, les tirailleurs bien rangés en ligne sur ce que l’on suppose être une ligne de front, ou en route pour Marovoay. Ce sont, écrit le journal, « certains des épisodes les plus saillants des débuts de la campagne ».
Il visite un sanatorium, qu’ira voir plus tard le général Duchesne – et, dans ce cas précis, on se demande un peu comment il a pu s’attribuer une photographie sur laquelle il est porté en filanzane. Ses éventuels assistants n’ont pas de nom…
A Mononga, il y a des combats. Il les dessine. On n’est pas envoyé spécial pour se reposer à l’arrière, bien qu’il soit aussi photographié, très tranquille, en chaise longue, devant une tente. Il s’essaie aussi à la scène de genre, hors du brouhaha de la guerre : c’est un Malgache faisant sa provision d’eau, celle-ci s’écoulant à travers un bambou au départ d’un tonneau ; c’est la sieste des muletiers arabes, sous un manguier.
Suberbieville, cité industrieuse et minière fondée par Léon Suberbie, est une halte bienvenue. C’est là, à peu près, à côté de Maevatanana, que se termine prématurément le chemin de Louis Tinayre. Bien placé pour dessiner la Betsiboka et l’Ikopa où naviguent des canonnières, il entend les rumeurs du combat de Tsarasoatra. Le 14 juillet, il assiste à la revue et aux divertissements qui conviennent à ce jour, et c’est à peu près son dernier fait d’armes, si l’on ose l’écrire ainsi.
A la fin du mois d’août, en commentant la matière de ses dernières productions – un immense convoi de vivres et de malades –, il annonce aussi que le général Duchesne, décidé à prendre Andriba et à mobiliser toutes les forces de son armée dans ce but, ne souhaite pas avoir les envoyés spéciaux des journaux dans les pieds : « Il est vraiment dur, pour un correspondant, de se voir arrêter juste au moment où l’intérêt décisif de la campagne va s’engager ; et de perdre ainsi le fruit de tant de fatigues subies depuis des mois dans l’espoir de recueillir, de visu, le plus de documents possibles ; mais que faire en présence de la volonté du général Duchesne ? »
Il se console en se disant heureux d’avoir survécu au climat meurtrier de Suberbieville et en ajoutant que sa santé ébranlée malgré tout par la dysenterie trouverait à la Réunion un contexte favorable à un total rétablissement.
Tandis que l’armée continue à avancer – on connaît la suite –, Louis Tinayre bat donc en retraite. Son aventure malgache est bientôt terminée. Mais, en un sens, elle ne fait que commencer. Car, à son retour en France, il reprend les dessins et les photographies réalisés sur place et se met à peindre. De grandes toiles, notamment, de 3,5 sur 5 mètres, exposées à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Albert Ier de Monaco les remarquera, ce qui décidera le prince à embarquer l’artiste comme peintre officiel de ses campagnes océanographiques.
De la campagne de Madagascar au Rocher de Monaco, ce fut un long chemin pour Louis Tinayre, qui décédera en 1942.

16 février 2018

« Peintres des lointains », le goût de l’exotisme

Avant de revenir aux chroniques traditionnelles d'il y a 100 ans et de basculer vers des articles publiés en 1918 (on en était resté, jusqu'à présent, à 1917), un interlude d'une actualité qui reste ancrée dans le passé avec deux articles parus dans Les Nouvelles (ce journal publie aussi quotidiennement les chroniques reprises ici avec un décalage) le 9 février.
Le musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris accueille depuis la fin du mois dernier et jusqu’à l’année prochaine une exposition de peintures. Près de deux cents œuvres doivent révéler l’évolution du « regard porté en Occident sur les peuples, sociétés et territoires lointains, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe ». Donc, aussi, sur Madagascar.


Le dépliant gratuit qui accompagne l’exposition fait d’ailleurs la part belle à Madagascar. Seuls trois peintres y sont représentés. Et, si Eugène Fromentin s’est arrêté en Afrique du Nord, les deux autres ont visité nos contrées : Louis Tinayre à l’occasion de la campagne militaire de 1895 – nous y reviendrons en détail dans l’article suivant – et Marcel Mouillot.
Celui-ci, nous explique le commentaire, est un artiste autodidacte (1889-1972) qui partit en 1930 pour l’océan Indien, comme passager d’un bateau à vapeur. Il passa donc ainsi par Madagascar et par La Réunion. « Les paysages découverts lui inspirent des toiles qui renouvellent l’imaginaire visuel de l’exotisme. Dans des teintes souvent froides de bleus et de verts, Marcel Mouillot pétrifie la nature en usant de la simplification et de la géométrie des motifs. »
Dans ses œuvres (dont nous ignorons lesquelles sont exposées à Paris), on trouve notamment une pirogue à Nosy-Be. Et il est possible que sa Vue d’un bateau à travers des branches de palmiers, une gouache sur papier, soit au moins inspirée par Madagascar. Mais, en 1930, la Réunion était presque aussi exotique…
Péric Bietry-Rivierre, qui a visité l’exposition (ce n’est pas notre cas) pour en rendre compte dans Le Figaro (édition d’hier, jeudi 8 février), signale un tableau d’André Liotard, Femme malgache à sa toilette : « une Noire essuie une Blanche au sortir d’un bain, prétexte à un saphisme racoleur et au rappel du pouvoir. »
André Liotard (qui se prénommait en réalité Alcide, mais il ne devait pas être fou de son prénom), né en 1887 et mort en 1973, possède une carrière singulière qui a toujours laissé une place à l’expression artistique mais qui s’est aussi développée sur d’autres terrains. Directeur des travaux en Afrique, il termina, après la Première Guerre mondiale, la ligne ferroviaire qui relie le littoral du Gabon à Léopoldville, alors au Congo belge. Et en 1926, voilà qui le rapproche géographiquement de nous, il est nommé directeur de la Compagnie coloniale de Madagascar. Il démissionnera de ce poste pour redevenir architecte et construite, dans la Grande Île, des églises, des couvents et une gare ferroviaire. Opposé au pouvoir de Vichy dès le début de la Seconde Guerre mondiale, il est élu conseiller municipal de « Tananarive » en 1944. Il présidera en 1947 la Ligue de défense des intérêts franco-malgaches et deviendra sénateur en 1948, représentant Madagascar pendant son unique mandat.
En 1952, l’année où celui-ci se termine, selon sa biographie établie par les services du Sénat, il publie dans Le Monde un article où « il refuse le terme d'autochtones, « non-sens de la constitution » qui fige des « fractions indépendantes » dans une situation précaire. Il affirme que « le développement normal de [ces] territoires ne saurait être que celui des populations toutes entières qui les peuplent aujourd'hui, ensemble, dans tous les domaines d'activité, et non point en séparant une fraction, dite autochtone ».
Dans l’exposition, on peut croiser aussi, avec Marécage à Madagascar, le nom d’Adolphe Martial Potémont (1828-1883). Ce paysagiste a vécu à La Réunion, de 1847 à 1857, et se trouvait donc très proche d’autres terres qu’il a forcément visitées. L’Iconothèque historique de l’océan Indien reproduit plus de cent de ses œuvres, parmi lesquelles certaines sont puisées dans des décors que nous connaissons bien. Un dessin, gouache et crayon, par exemple, où des Malgaches conduisent un troupeau de zébus. Un autre, selon la même technique, où deux zébus se trouvent dans une clairière. Un paysage avec rivière, huile sur toile. Une estampe : Grève de Tamatave. Etc. Comme on le voit, les décors l’intéressaient davantage que les humains – les gardiens de zébus sont noyés dans le paysage, splendide, il est vrai.
Ce ne sont là que quatre exemples puisés au plus près de nous dans une exposition qui, on le rappelle, n’est pas consacrée qu’à Madagascar. Et peut-être ne sont-ils pas représentatifs des grandes tendances qui traversent l’ensemble de Peintures des lointains. Quand même, osons en tirer un enseignement, avec toute la prudence nécessaire.
Les paysagistes, essentiellement Marcel Mouillot et Adolphe Martial Potémont, se moquent pas mal des mœurs locales et des rapports humains. Ils ont devant les yeux quelques-unes des plus grandes beautés du monde et ne se privent pas de s’en inspirer pour montrer en Europe des images devenues communes, aujourd’hui que l’audiovisuel a envahi le monde, mais peu connues à leurs époques respectives.
Les deux autres sont plus engagés dans leur temps. En suivant l’armée française, Louis Tinayre ne dit pas qu’il approuve l’action colonialiste. Mais il ne dit pas le contraire non plus. André Liotard semble avoir bâti sa vie sur des nuances. Il serait utile de creuser le sujet.