Jean-Claude Mouyon est mort, dit-on, il y a quelques jours à La Réunion. Il est toujours bien sûr. Pour ceux qui le portent dans leur cœur. Au-delà de l’écriture, au-delà de l’écrivain quelque peu reconnu ici à Madagascar, injustement méconnu en dehors.
On oublie trop souvent qu’écrire est un travail sérieux. De chaque heure, chaque minute. On oublie bien souvent qu’écrire n’est pas de tout repos et qu’écrire ce n’est pas qu’écrire mais avant tout vivre, éponger et s’imprégner, être sur le fil, jouer avec les feux et les diables, courant parfois les risques de dérives ou de noyades, avant de jeter son dévolu sur le métier. L’écriture c’est la vie, l’homme et l’écrivain ne font qu’un : une idée qu’on ne pourrait prêter mieux qu’à ce type qui s’est efforcé de rester authentique, proche de ces êtres qu’il aimait, dont il parlait, qu’il faisait parler dans ses écrits. Et ce n’est pas peu de le souligner, dans un contexte économique, un pays, où les moyens de nourrir son homme, sa famille, sont loin d’être aisés.
Il est de bon ton de rappeler le rituel de ce travailleur. Il était debout chaque jour à trois heures du matin pour véritablement composer ses phrases, rythmées, et créer une histoire truffée toujours de rires, de rebondissements. Plus tard dans la matinée, il faisait son petit tour Chez Baba, son bar favori. Il s’attablait, prenait son verre d’Ambilobe, écoutait, regardait, prenait des notes, celles dont il pouvait se servir le lendemain bien avant le chant du coq. Il se plaisait à capter des bribes de conversation, un riff de tsapiky, les variations de tons, les intonations. Il cherchait la couleur, le tempo et tentait de saisir la mentalité, l’esprit autant que possible de ces gens du sud de l’île. Par-delà les mots, entre les mots jetés sur la page dans un flux à nul autre pareil. Il avait une haute estime pour l’Imprévisible, une soif absolue pour toute situation déjantée. Ce qui le captivait c’était le climat, l’ambiance, l’atmosphère, une situation prise sur le vif. Il ne manquait pas de dire « On n’est auteur que grâce à la vie, aux autres, à ceux qui nous entourent. » Il n’est possible aujourd’hui de trouver langue plus actuelle sur le contexte qui est celui du sud malgache. À cheval sans doute, entre deux cultures sans doute. Je pourrais simplement dire qu’il avait su créer une langue bâtarde, digne de ce pays si métissé, sans s’assoir sur des vérités absolues ou des finalités mensongères.
J’ai eu la chance énorme de le rencontrer, l’écouter, le lire. Moi qui ai jeté mon dévolu sur Toliara, y résidant depuis près de trois ans à peine. Moi qui ai tout apprendre encore sur un terrain toujours déconcertant. Moi qui, rétif parfois, aux remontrances, aux sermons des « mieux expérimentés », étais probablement perçu par moments par lui comme un blanc-bec, un insolent. Il avait, certes, son autorité d’aîné, mais aussi des acquis, une longue vie déjà dans le pays, qui ne pouvait que me la boucler. Comme il était sain, en fin de compte, nous eûmes des accrocs, des engueulades, nous nous lançâmes des injures. Rien jamais n’était ruminé et, en finalité, après s’être séparés un jour bien fâchés, nous nous retrouvions le lendemain ou surlendemain en train de rire autour des verres de l’amitié. J’ai eu l’occasion, bien souvent, de repenser à ces propos, à ses visions qu’auparavant je ne pouvais entendre ou accepter.
Si Toliara est aujourd’hui la ville où je vis, c’est certes un peu grâce à son éditeur Pierre Maury, porteur d’eau de tous les liens, mais aussi grâce à lui. Moi, sans doute, parmi quelques autres. Sans Jean-Claude, il n’y eût point de Toliara plus longtemps, des Lalin, Patrice, Jacques, Bernard, Eric, Alain Jean Pierre ou Jean François, Moustou, Mamod, Baba, Riri ou Le Marin ou des farfelus, déboussolés, hauts en couleur, hors pistes, de tous les carrefours. Sans Jean-Claude, il n’y eût pour moi de souffle et d’avenir ici. Même si d’autres facteurs ont, certes, influé. Sans Jean-Claude, il n’y aurait pas eu mon amour du pays. Si le quotidien, ici, n’est pas du petit rhum toujours, il apporte aussi son lot de situations cocasses non négligeables. Pour moi, Toliara, c’est en somme du Mouyon de corps et d’esprit à chaque coin de rue.
En finalité, au-delà des frontières, bien au-delà des questions de terres et de cultures, des lopins qu’on n’est pas aptes à maîtriser, à comprendre, comme il le disait, cet homme reste pour moi un être doué d’un sens aigu de la réalité de l’instant. Bien au-delà de nos limites géographiques et idéologiques, il est et reste du pur bœuf ou du zébu de vraie vie, et l’Europe, la vieille, n’a qu’à bien se tenir ! Par-delà le foutre et la merde, et, bien au-delà de toute usure...
Ben Arès
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