18 décembre 2019

Quatre écrivains malgaches vus par Jean-Louis Cornille

Après Le murmure des îles indociles, Jean-Louis Cornille donne, aux mêmes Éditions Passage(s), un nouvel ouvrage dont le sujet nous touche de près : Lémures, sous-titré Hantologie de la littérature malgache en français. Hantologie, une coquille ? Que nenni ! Pour l’auteur, les écrivains étudiés dans son essai sont littéralement hantés par la littérature française – ou traduite en français. Qu’ils s’en imprègnent comme Rabemananjara ou Rabearivelo, qu’ils la bousculent comme Raharimanana, qu’ils la tiennent à distance comme Ravaloson, elle est le point de repère constant.
Le livre s’ouvre sur la Lucarne de Raharimanana, son premier recueil de nouvelles (mot que Cornille place, à juste titre, entre guillemets, tant l’imprégnation poétique est forte), on reviendra au même écrivain avec, précisément, Revenir (comme Ulysse), avant la « So(r)tie » et après avoir traversé les vers de Rabemanjara, les romans de Rabearivelo, les nuits de Ravaloson.
Le choix est (volontairement) restreint, l’essayiste a malgré tout fait du chemin depuis son livre précédent, il y a deux ans – il reconnaît volontiers ici qu’il lui restait, à l’époque, beaucoup de lectures à découvrir et il s’est bien rattrapé. Mais les cinq chapitres sont fouillés, bourrés de références extérieures (l’inflation de celles-ci est un passage obligé, probablement, pour un universitaire) parfois tordues avec enthousiasme pour coller au propos. C’est très conscient : « Nous sommes tantôt le chien qui ne lâche pas son os, tantôt le pou qui s’incruste sous le poil de la bête. » Pareille justification fait pardonner ce qui semble quand même, de temps à autre, une entreprise de brouillage plutôt que d’élucidation.
Superposer une nouvelle de Le Clézio à une autre de Raveloson, est-ce encore lire celle de l’écrivain malgache ? Poser la question n’est pas y répondre, d’autant moins que les liens créés avec d’autres œuvres révèlent un goût très sûr dans les choix littéraires. Cette nouvelle de Le Clézio, par exemple, « Villa Aurore », tirée de La ronde et autres faits divers est lumineuse et puissante. La fréquentation des chiens « féraux » par Jean Rolin a donné le splendide Un chien mort après lui. Du coup, voici de belles pistes ouvertes pour les lecteurs et lectrices désireux d’élargir leurs horizons.
Et puis, ce que l’essai pourrait avoir de lourdeur universitaire est compensé par de belles éclaircies dont Jean-Louis Cornille pourrait prendre conscience afin de donner, un jour peut-être, une étude plus dégagée des contraintes, dans le genre de ces lignes (on aurait pu en citer d’autres) : « Les livres, qui ne s’écrivent jamais seul, se parlent par-dessus nos têtes, conversent à notre insu, tels des fantômes : nul n’est à l’abri de leurs visitations. Un texte s’avère toujours plus intelligent que celui qui s’en proclame l’auteur et qui ne fait en réalité souvent qu’en accompagner le dire secret. »

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