12 mars 2013

Il y a 100 ans : Inauguration du chemin de fer de Brickaville à Tamatave


Une croyance populaire veut qu’une entreprise ne réussisse bien qu’autant que ses commencements auront été durs et auront éprouvé des difficultés. À tel point que, sacrifiant à ce préjugé, dans les noces juives, par exemple, la plus jeune sœur de l’un des époux est chargée, à la fin de la cérémonie, de jeter à terre un vase ou un verre, et s’il se brise en mille morceaux, le bonheur futur des nouveaux mariés est assuré.
Nous en tenant à cette croyance, nous pouvons affirmer hautement que l’avenir du Chemin de fer qui vient d’être inauguré sera des plus brillants. Pour prédire cela nous avons en plus d’autres motifs bien plus sérieux, dont le principal est le développement prodigieux que prend la colonie. C’est là un pronostic qui ne trompe pas et ne peut pas tromper.
Nous reportant à la croyance populaire ci-dessus, les augures de prospérité n’ont pas manqué au nouveau chemin de fer.
Qu’on en juge.
La Réunion avait été invitée à nous envoyer des Délégués pour assister aux fêtes. Ceux-ci ont pris passage sur le Djemnah qui devait arriver à Tamatave le 4 courant. Or un ras de marée a embouteillé ce paquebot dans le Port de la Pointe des Galets, à moins que… mais non ! Nous sommes, il est vrai, sans nouvelles de lui, mais il faut bien espérer que la série noire à laquelle les M. M. viennent de payer une si large contribution, est enfin terminée.
Encore une fois, si nous avions la ta télégraphie sans fil, nous saurions à quoi nous en tenir sur leur compte, et si des secours leur étaient nécessaires, nous aurions pu leur en envoyer ; dans tous les cas nous serions rassurés.
Et d’un.
Les invités de Tananarive devait nous arriver à 7 h. 52 le mercredi soir 5 courant.
Après la tentative de boycottage tentée par nos quatre mousquetaires, la population entière de Tamatave, en manière de protestation, s’était portée aux abords de la nouvelle gare, gracieusement illuminée, pour fêter et Monsieur Picquié et les personnes distinguées qui l’accompagnaient.
Eh bien ! il a fallu que le plus vulgaire des accidents vînt se mettre en travers, et le train officiel n’est arrivé à Tamatave qu’à quatre heures du matin le lendemain. De nombreux habitants de Tamatave ont eu la constance d’attendre jusqu’au milieu de la nuit, ne voulant pas manquer l’occasion de saluer le cortège officiel.
Voici ce qui était arrivé.
Dans la journée, un train de service remontant vers Brickaville avait rencontré une vache arrêtée sur la voie, en deçà d’Ankarefo.
La machine, n’ayant pu être arrêtée à temps, heurta l’animal qui fut tué, mais elle-même, du choc, fut renversée sur le côté droit, laissant malheureusement son arrière engagé sur les rails. La circulation restait interrompue et les voyageurs du train officiel durent rester à la gare d’Ankarefo, où une large hospitalité leur fut offerte… à la belle étoile, et sur le frais gazon, heureusement sec. Par hasard il faisait beau temps.
Les secours n’arrivèrent que dans la nuit, et à la clarté de quelques lanternes, on dut établir une voie latérale raccordée à la voie principale pour permettre aux trains de circuler.
Et de deux.
Le programme des fêtes portait que le train des invités partirait de Tamatave le jeudi 6, à 8 heures du matin.
Malgré les fatigues de la veille et le très court repos qu’avaient pu prendre les voyageurs de Tananarive, le train des invités s’ébranlait à 8 h. précises.
En approchant d’Ankarefo les voyageurs purent contempler les victimes de la veille, du moins la locomotive étendue sur le flanc, et à peu de distance, sur une pelouse, contemplant d’un air atone ce qui se passait, un jeune veau noir réclamant sa mère d’un cri plaintif. Pauvre orphelin !
Mais la voie ferrée, entre la lagune d’Ampanotomisy et la mer, nous réservait des surprises d’un autre genre, histoire de rompre la monotonie d’un long voyage à travers la brousse déserte.
C’était la mer qui, sur plusieurs centaines de mètres, déferlait par-dessus la dune étroite, (quelques mètres à peine) qui la sépare de la voie ferrée, et qui par endroits, dégarnissait les rails, et par d’autres les noyait sous les sables.
Une équipe d’ouvriers a réussi à mettre les choses en état, et avec une bonne demi-heure de retard nous sommes enfin arrivés au buffet de Brickaville, où nous attendait un succulent repas, royalement servi par M. Martel de Tananarive, qui ne pouvait faillir à sa longue réputation.
Dire qu’on n’y a pas fait honneur serait une inexactitude énorme ; il ne faut pas oublier que les voyageurs de la capitale n’avaient dîné la veille que d’une banane chacun, frugalité compensée par le confortable de la salle où ils se trouvaient et la splendeur de l’éclairage que leur fournissait, gratis, un ciel bien étoilé.
Après le repas, nous avons été régalés par une série de discours, tous de haute volée, surtout celui de Monsieur le Gouverneur Général et qu’ont savouré et chaleureusement applaudi tous ceux qu’intéressent, peu ou prou, les choses de la colonie et sa prospérité.
Comme ils ont traité des questions de très haute importance et dans un moment solennel pour Madagascar, nous ne voulons pas les dénaturer par un simple résumé ; nous tâcherons de les donner, in extenso, dans notre prochain numéro.
Le retour à Tamatave s’est effectué dans les mêmes conditions et avec les mêmes péripéties que l’aller, avec cette différence qu’après le bon repas servi par Martel, nous avons pu contempler, sans impatience, les beautés que présente la mer irritée et les vagues énormes qui venaient déferler jusque sous les wagons.
En résumé, – abstraction faite de la chaleur qui s’était mise de la partie sans qu’on l’invite, –cette fête a été on ne peut mieux réussie, et Monsieur le Gouverneur Général a tout lieu d’en être fier. Dans les témoignages de sympathie qui lui ont été prodigués il a trouvé une large compensation aux quatre abstentions des obstructionnistes de Tamatave et aux quatre abstentions de Tananarive, qui, elles, ne visaient pas M. Picquié et dans les motifs desquelles nous n’avons pas à intervenir.
Viator.
Le Tamatave

Madagascar il y a 100 ans - Janvier 1913 est disponible :
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