Une croyance populaire
veut qu’une entreprise ne réussisse bien qu’autant que ses commencements auront
été durs et auront éprouvé des difficultés. À tel point que, sacrifiant à ce
préjugé, dans les noces juives, par exemple, la plus jeune sœur de l’un des
époux est chargée, à la fin de la cérémonie, de jeter à terre un vase ou un
verre, et s’il se brise en mille morceaux, le bonheur futur des nouveaux mariés
est assuré.
Nous en tenant à cette
croyance, nous pouvons affirmer hautement que l’avenir du Chemin de fer qui
vient d’être inauguré sera des plus brillants. Pour prédire cela nous avons en
plus d’autres motifs bien plus sérieux, dont le principal est le développement
prodigieux que prend la colonie. C’est là un pronostic qui ne trompe pas et ne
peut pas tromper.
Nous reportant à la
croyance populaire ci-dessus, les augures de prospérité n’ont pas manqué au
nouveau chemin de fer.
Qu’on en juge.
La Réunion avait été
invitée à nous envoyer des Délégués pour assister aux fêtes. Ceux-ci ont pris
passage sur le Djemnah qui devait
arriver à Tamatave le 4 courant. Or un ras de marée a embouteillé ce
paquebot dans le Port de la Pointe des Galets, à moins que… mais non !
Nous sommes, il est vrai, sans nouvelles de lui, mais il faut bien espérer que
la série noire à laquelle les M. M. viennent de payer une si large contribution,
est enfin terminée.
Encore une fois, si nous
avions la ta télégraphie sans fil, nous saurions à quoi nous en tenir sur leur
compte, et si des secours leur étaient nécessaires, nous aurions pu leur en
envoyer ; dans tous les cas nous serions rassurés.
Et d’un.
Les invités de Tananarive
devait nous arriver à 7 h. 52 le mercredi soir 5 courant.
Après la tentative de boycottage
tentée par nos quatre mousquetaires, la population entière de Tamatave, en manière
de protestation, s’était portée aux abords de la nouvelle gare, gracieusement
illuminée, pour fêter et Monsieur Picquié et les personnes distinguées qui l’accompagnaient.
Eh bien ! il a fallu
que le plus vulgaire des accidents vînt se mettre en travers, et le train
officiel n’est arrivé à Tamatave qu’à quatre heures du matin le lendemain. De
nombreux habitants de Tamatave ont eu la constance d’attendre jusqu’au milieu
de la nuit, ne voulant pas manquer l’occasion de saluer le cortège officiel.
Voici ce qui était
arrivé.
Dans la journée, un train
de service remontant vers Brickaville avait rencontré une vache arrêtée sur la
voie, en deçà d’Ankarefo.
La machine, n’ayant pu
être arrêtée à temps, heurta l’animal qui fut tué, mais elle-même, du choc, fut
renversée sur le côté droit, laissant malheureusement son arrière engagé sur
les rails. La circulation restait interrompue et les voyageurs du train
officiel durent rester à la gare d’Ankarefo, où une large hospitalité leur fut
offerte… à la belle étoile, et sur le frais gazon, heureusement sec. Par hasard
il faisait beau temps.
Les secours n’arrivèrent
que dans la nuit, et à la clarté de quelques lanternes, on dut établir une voie
latérale raccordée à la voie principale pour permettre aux trains de circuler.
Et de deux.
Le programme des fêtes
portait que le train des invités partirait de Tamatave le jeudi 6, à
8 heures du matin.
Malgré les fatigues de la
veille et le très court repos qu’avaient pu prendre les voyageurs de
Tananarive, le train des invités s’ébranlait à 8 h. précises.
En approchant d’Ankarefo
les voyageurs purent contempler les victimes de la veille, du moins la
locomotive étendue sur le flanc, et à peu de distance, sur une pelouse,
contemplant d’un air atone ce qui se passait, un jeune veau noir réclamant sa
mère d’un cri plaintif. Pauvre orphelin !
Mais la voie ferrée,
entre la lagune d’Ampanotomisy et la mer, nous réservait des surprises d’un
autre genre, histoire de rompre la monotonie d’un long voyage à travers la
brousse déserte.
C’était la mer qui, sur
plusieurs centaines de mètres, déferlait par-dessus la dune étroite, (quelques
mètres à peine) qui la sépare de la voie ferrée, et qui par endroits,
dégarnissait les rails, et par d’autres les noyait sous les sables.
Une équipe d’ouvriers a
réussi à mettre les choses en état, et avec une bonne demi-heure de retard nous
sommes enfin arrivés au buffet de Brickaville, où nous attendait un succulent
repas, royalement servi par M. Martel de Tananarive, qui ne pouvait
faillir à sa longue réputation.
Dire qu’on n’y a pas fait
honneur serait une inexactitude énorme ; il ne faut pas oublier que les
voyageurs de la capitale n’avaient dîné la veille que d’une banane chacun, frugalité compensée par le
confortable de la salle où ils se trouvaient et la splendeur de l’éclairage que
leur fournissait, gratis, un ciel
bien étoilé.
Après le repas, nous
avons été régalés par une série de discours, tous de haute volée, surtout celui
de Monsieur le Gouverneur Général et qu’ont savouré et chaleureusement applaudi
tous ceux qu’intéressent, peu ou prou, les choses de la colonie et sa
prospérité.
Comme ils ont traité des
questions de très haute importance et dans un moment solennel pour Madagascar,
nous ne voulons pas les dénaturer par un simple résumé ; nous tâcherons de
les donner, in extenso, dans notre
prochain numéro.
Le retour à Tamatave s’est
effectué dans les mêmes conditions et avec les mêmes péripéties que l’aller,
avec cette différence qu’après le bon repas servi par Martel, nous avons pu
contempler, sans impatience, les beautés que présente la mer irritée et les
vagues énormes qui venaient déferler jusque sous les wagons.
En résumé, – abstraction
faite de la chaleur qui s’était mise de la partie sans qu’on l’invite, –cette
fête a été on ne peut mieux réussie, et Monsieur le Gouverneur Général a tout
lieu d’en être fier. Dans les témoignages de sympathie qui lui ont été
prodigués il a trouvé une large compensation aux quatre abstentions des obstructionnistes de Tamatave et aux quatre
abstentions de Tananarive, qui, elles, ne visaient pas M. Picquié et dans
les motifs desquelles nous n’avons pas à intervenir.
Viator.
Le Tamatave
Madagascar il y a 100 ans - Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
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