Le public tananarivien n’ignore
pas que M. Picquié avait préparé une mise en scène aussi ingénieuse que
brillante pour exalter sa falote personnalité lors de l’inauguration du tronçon
Brickaville-Tamatave.
Dans ce but, la presse
officieuse avait commencé à le louer pour l’achèvement d’une voie conçue,
entreprise et imposée par le prédécesseur exécré. Qu’il nous soit permis, à ce
sujet, de rappeler que M. Augagneur eut à lutter, non seulement contre le
Cie des Pangalanes, exaspérée d’entrevoir la fin prochaine d’un fructueux
monopole, mais encore contre le ministre lui-même dont le siège avait été
habilement fait par les monopoliseurs.
Il se produisit alors des
scènes d’un haut comique : le ministre circonvenu envoyait dépêches sur
dépêches, dénonçant au Chef du Contrôle financier l’entreprise du Gouverneur
tenace ; et le Chef du Contrôle faisait en toute circonstance des
représentations respectueuses et désespérées : « La route entreprise
est la plateforme d’une voie ferrée »,
criait M. Lebureau. « C’est une route, répondait, impassible, le
Gouverneur ; personne n’a le droit de changer ce qualificatif. »
Et, en fait, la voie
entreprise resta route jusqu’au jour où elle devint plateforme par l’autorisation
de l’achèvement du T. C. E.
Cette autorisation ne fut
arrachée que par le renouvellement du mandat législatif à l’ancien Gouverneur
de Madagascar : l’interpellation était en perspective, M. Lebureau
capitula, et la Colonie put enfin développer l’entreprise si courageusement
commencée.
Combien sont lointaines
ces luttes homériques : Lebureau a émigré du ministère des Colonies et c’est
lui qui, au gouvernement de Madagascar, préside actuellement à la distribution
des menues et grandes consolations réservées à la Cie des Pangalanes !
Mais revenons à nos
moutons : conscient de la grandeur du résultat atteint, M. Picquié
avait imaginé de s’en attribuer le mérite.
Il avait fait battre la
grosse caisse, et, comme pour donner raison au proverbe qui veut qu’il n’est festins que de gens chiches,
il annonçait des réjouissances extraordinaires : invitations aux corps
constitués de Tananarive et de Tamatave, voire même à quelques rares habitants
de la Réunion, banquets à Brickaville, à Tamatave, à Tananarive, et, pour
achever l’apothéose, un dîner à la
Résidence (!), représentation théâtrale, courses hippiques, sans oublier
le mât de cocagne.
Restait à payer la carte.
À cet effet, Micromégas,
qui avait pris l’initiative des invitations et de l’ordonnance des fêtes, fit
appel au public sous couvert d’un Comité des fêtes.
Et ce brave Comité des fêtes, composé des
délégations de corps constitués ou non constitués comme la Philarmonique et l’Estudiantina,
commença par emboîter le pas.
Mais advint que
M. Picquié voulut forcer son talent, chose toujours périlleuse : à
son instigation les délégués de quatre groupes, Chambre Consultative, Comice
Agricole, Commission Municipale et Chambre des Mines se réunissent le
28 février afin de désigner le porte-voix de la population.
Des indiscrets, des
colons toujours enclins à l’émancipation, eurent l’exorbitante prétention de
vouloir indiquer le caractère du discours : manifestation économique,
exaltation des forces vives de la Colonie, peu ou point d’encens officiel et de
circonstance.
Là-dessus, beau tapage et
des invectives rappelant les fameuses apostrophes : « Qui t’a fait
comte ? – Qui t’a fait roi ? »
Du coup, une scission se
produisait, deux des groupes refusaient de s’associer, les yeux fermés, à une
pure manifestation officielle. Et la combinaison tout entière tombait à l’eau.
Nous sommes avisés que
les mêmes incidents se sont déroulés sous une forme peu différente à Tamatave
et que le résultat fut le même : les représentants qualifiés des deux
centres refusent d’apporter à M. Picquié un mérite qui ne lui appartient
pas.
Et voici qu’à la dernière
heure un appel sur affiches tricolores est fait aux hommes de bonne volonté :
c’est la Sultative qui marche sous cette bannière indépendante. On peut être
assuré qu’un nombre respectable de fonctionnaires répondra à l’appel
gouvernemental et soulignera de bravos nourris les harangues officielles.
Quant à l’immense
majorité des Colons, pour qui la vie est autre chose qu’un enchaînement de
fêtes, elle célébrera le très gros événement qu’est l’aboutissement du Chemin
de fer à la mer par la glorification de notre jeune et ardente Colonie, ce qui
vaudra infiniment mieux que le pénible repêchage d’un Gouverneur disqualifié.
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