10 décembre 2016

Roland Vilella revisite l’île-bagne de Nosy Lava

La collection « Terre humaine », aux Editions Plon, est un mythe. Créée par Jean Malaurie en 1954 avec son premier livre sur les Inuits, dirigée aujourd’hui par Jean-Christophe Rufin, elle a accueilli des ouvrages de Claude Lévi-Strauss, Victor Segalen, Wilfred Thesiger, Pierre Jakez Hélias, Eduardo Galeano. Un catalogue prestigieux.
C’est dans ce catalogue que s’inscrit aujourd’hui La sentinelle de fer, de Roland Vilella, avec un sous-titre plus explicite : Mémoires du bagne de Nosy Lava (Madagascar). La sentinelle du titre est le phare de l’île, qui prend sous les yeux de l’auteur des connotations négatives, comme dans ce passage situé assez loin dans l’ouvrage, après que l’impression a été répétée à plusieurs reprises : « la silhouette noire du phare émerge dans les éclats du soleil à son coucher, détachée sur le profil de l’île. Je frissonnais toujours à sa vue. L’obscurité finissait par la dissimuler à mes regards, mais je ressentais se présence hostile. »
A dire vrai, ce sentiment de malaise ne trouve jamais d’explication rationnelle. Mais on le comprend néanmoins à la lecture du livre : un phare a normalement pour fonction de sauver des vies, celles des navigateurs pour qui il constitue un point de repère permettant d’éviter les dangers ; celui-ci, en revanche, est assimilé à un des gardiens qui ont longtemps sévi, avec une cruauté sans limites, au bagne de Nosy Lava.
Les scènes les plus fortes du récit sont d’ailleurs celles de tortures poussées, s’il en plaît ainsi aux bourreaux, au-delà de la résistance humaine. Bien des prisonniers subissent ainsi une exécution qui ne porte pas son nom, mais au cours de laquelle le penchant de l’homme à la violence s’exerce avec une impunité acceptée par les victimes – et ceux qui, à côté, savent qu’il leur est interdit de voir ce qui se passe, même devant eux. Les criminels sont des deux côtés, seul le pouvoir place une frontière entre eux. Encore tous les prisonniers ne sont-ils pas des criminels endurcis et quelques gardiens peuvent-ils faire preuve d’un minimum d’humanité.
Pages 62 à 67, des documents historiques surgissent de la poussière où ils étaient oubliés de tous. Roland Vilella les a exhumés avec la complicité d’Albert Abolaza, meurtrier qui purge une peine sans fin – les travaux forcés à perpétuité – et qui, véritable mémoire du bagne, développe une relation presque amicale avec l’auteur. Ces documents concernent des prisonniers condamnés après l’insurrection de 1947, copies d’actes judiciaires qui éclairent l’époque d’un jour inédit.
Albert Abolaza mérite la place particulière qu’il occupe dans l’ouvrage. Il n’est pas exonéré de ses crimes, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a largement payés. Non seulement par sa longue détention, mais aussi par des séances de torture auxquelles seule sa volonté lui a permis de survivre. Par ailleurs, il lit – et a demandé au navigateur qu’est Roland Vilella s’il n’avait pas un exemplaire, même ancien, du quotidien Le Monde à lui donner. Il a aussi été le complice d’une évasion en pirogue, quand il a accompagné un autre prisonnier jusqu’à la Grande Terre… avant de se rendre, car sa mère, confirmant à sa manière le verdict du tribunal, lui avait demandé de ne pas s’enfuir.
Tout cela et bien d’autres choses encore fourniraient la matière d’un livre remarquable si certaines pages ne péchaient par leur imprécision, sinon par les erreurs qu’elles contiennent. Passons, en la rangeant dans la catégorie des fautes d’inattention, sur la coquille, non répétée, qui transforme le nom du premier président malgache en Antsiranana. Il est plus difficile de digérer l’information historique selon laquelle l’armée de conquête française aurait débarqué à Tamatave avant de se diriger vers le Palais de la reine Ranavalona III… puisque le débarquement s’était fait à Mahajanga ! Des événements plus récents sont aussi résumés de manière confuse et quelques rumeurs, certes persistantes, sont prises pour des faits. Péchés véniels, certes, mais qui empêchent d’accorder à La sentinelle de fer tout le crédit qu’on aurait voulu lui donner.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire