27 mars 2010

Laurent Graff et les noms malgaches

C'est une nouvelle du dernier livre de Laurent Graff, Selon toute vraisemblance. Une douzaine de pages pour raconter La maladie de Delphine. Très étrange maladie, inconnue des études de médecine. Née Handtschoewerckerten, Delphine a eu, on le comprend aisément, quelques problèmes dans l'enfance avec son nom de famille. Aucun professeur ne l'a jamais prononcé correctement. Passe encore. Le pire est à venir. A l'oral d'anglais du brevet des collèges, l'examinateur fait un effort et y arrive presque. Sinon qu'il oublie le "n" final. Delphine le lui fait remarquer. Mais le fameux "n" ne se trouve pas sur la convocation. Et il a même disparu de sa carte d'identité. Dès lors, le nom de Delphine se met à raccourcir, une lettre par ci, une lettre par là. Elle doit bien accepter l'évidence: son nom rétrécit progressivement. Se marie-t-elle pour devenir épouse Martin qu'elle ne tarde pas à être appelée Marti... Pour ne pas disparaître totalement, il ne lui reste qu'à trouver un mari au nom assez long pour lui durer un certain temps. Et devinez qui peut avoir cette qualité? Un Malgache, pardi! Lisez ces deux pages:
Elle s’inscrivit sur un site de rencontres franco-malgaches à but clairement matrimonial. Son intention était de contracter un mariage blanc dans les plus brefs délais. Elle fit la connaissance de Denis Rasoamanahira, Claude Imanankoasaika, Joro Andriamampianina. Mais celui qui remporta sa faveur s’appelait Naivo Randrianampoinimeria – elle ne trouva pas plus long. Elle convint d’un arrangement avec le jeune homme qui, en échange de son nom, demandait seulement un titre de séjour et un peu d’argent de poche. Delphine était prête à tous les sacrifices. Elle se déplaça à Madagascar pour essayer d’accélérer la procédure de mariage. Elle découvrit les joies et les charmes de l’Île rouge. Elle attendit d’interminables heures sur les bancs de la préfecture, du consulat, de la police, de la mairie de Maevatanana. Sous les pales indolentes des ventilateurs, elle se prenait à rêver de Las Vegas, de mariage express devant un officier d’état civil déguisé en Elvis Presley sur fond de machines à sous, dans une salle entièrement climatisée, quelques mots en anglais, une signature, un cachet, et l’affaire était réglée. Elle perdit connaissance, victime d’un malaise. On la transporta à l’hôpital.
Le consul se rendit au chevet de la jeune Française hospitalisée. On mit son extrême état de faiblesse sur le compte du changement de latitude. Le mariage
fut prononcé dans sa chambre. Delphine se rétablit.
Les deux époux prirent l’avion ensemble. À l’arrivée, ils se séparèrent, chacun partit de son côté.
Delphine considérait son nouveau nom, Randrianampoinimeria. Elle disposait de vingt lettres: elle avait un peu de temps devant elle.

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