Monsieur,
… Vous dites : ces co…. de Journalistes, n’ont donc rien à
faire, pour s’occuper ainsi de nous !!!…
Cette boutade grossière, qui
sent en plein « son ancien paysan mal éduqué » ne saurait nous émouvoir,
ni même nous atteindre ; – j’ajoute, qu’un jugement sain de votre part, nous
eût au contraire singulièrement étonné, car, illustre Monsieur, nous savons depuis
longtemps que les bonnes manières et des paroles polies, ne sauraient sortir de
votre cru !
Du reste,… tournez,…
tempêtez,… bondissez… Défoncez le billard à coups de poings, tout à votre aise ;
la Presse continuera toujours son petit rôle, celui de flétrir et de dénoncer à l’opinion publique, les abus, les
gaffes, le favoritisme des fonctionnaires, qui pour être agréables et défendre
les intérêts d’un seul, nuisent, en tout et pour tout, à la collectivité. –
Comprenez-vous ?
J’ai lieu d’en douter… Cependant
je sais une chose c’est que la plus grande partie des colons d’ici, (les petits
principalement), n’entendent nullement se laisser plus longtemps bafouer, par vos
refrains de gascon et par vos actes irréfléchis… Si dans votre magistrale cervelle,
vous les dédaignez, et les traitez de quantités négligeables, ils se sentent assez
résolus, soyez-en sûr, pour ne pas se laisser « boycotter » par vos allures
de matamore, et vos sarcasmes à l’esprit lourdaud.
Je vais vous citer un exemple
(je pourrai en citer cent).
– Un petit colon, vient-il
vous demander respectueusement s’il ne lui serait pas possible d’acquérir un terrain
en ville… D’un air narquois, vous répondez : « si vous voulez obtenir
ce terrain, je vais le mettre en adjudication »,… puis d’un geste martial vous
lui faites comprendre qu’il est temps de rompre les rangs et de prendre la porte !…
… Survient-il votre Ami ?…
votre Grandissime Ami ? ah !
tout change,… pour lui, pas d’adjudication, pas de temporisation, de suite, de suite,
tout lui est accordé en Concession !…
Voyons, intègre Cartron n’en
fut-il pas ainsi pour ce terrain en pleine ville, près de la douane ? Ne fallut-il
pas l’intervention d’un colon, qui en demanda la mise en adjudication, et en référa
au Gouvernement Général, pour empêcher cet acte de favoritisme de s’accomplir ?
Vous aimez le billard, les
cartes, et que sais-je encore ; ce n’est pas un mal mais ce qui en est un c’est
que par votre incurie administrative, notre ville de Vatomandry a plutôt l’air d’un
cloaque empesté que d’un lieu habité !… allez jusqu’au bazar, pénétrez sur
la pelouse nord, vous en reniflerez du propre, et pendant ce temps-là vos prisonniers
se tournent les pouces rendant grâce à votre… je m’enfoutisme !
Et les impôts ? jamais
notre Province n’avait autant possédé de sans-cartes, que sous votre abracadabrante
administration ! Tous les chemins regorgent de Malgaches qui placidement s’en
vont à la maraude ; pourquoi se gêneraient-ils ? Ils savent posséder deux
retraites sûres, la première, votre bienveillante administration, la deuxième, la
propriété et les chantiers de votre favori, où, là, ils se savent en lieu sacré !!!
Oh ! si les sans-cartes
se réfugiaient chez les petits colons ! quelles rafles ! vous vous y connaissez,
mon brave !… Combien n’en avez vous pas fait exécuter, par le Gouverneur de
Sauvaza, les chefs de canton d’Ambotrotroka et d’Ambinandrano,… pour diriger par
bandes les indigènes, sur les chantiers de votre illustre ami ?
Les autres colons, qui jadis
s’approvisionnaient dans ces régions, n’ont plus qu’une seule ressource à tenter :
prendre eux-mêmes l’angady, ou attendre que leurs cultures soient étouffées sous
les herbes et aller benoitement se recommander à vous pour l’obtention d’un billet
de rapatriement ! quelle douce perpective pour les colons ! mais quel
débarras pour vous, n’est-ce pas ? À vous voir agir, l’on croirait volontiers
que notre province n’est plus Vatomandry mais bien… mais bien… la Grande Comore,
(par vous tant regrettée) et que nous autres, nous ne sommes plus Français mais
des malotrus Comoriens !! Heureux Cartron ! – et dire que ce sont nos
deniers (et ceux des Malgaches) à nous qui suons et qui peinons, que ce sont nos
deniers dis-je, qui vous permettent tant de parties d’écarté, tant de bonnes parties
de billard… et tant de goulots de bouteilles de Champagne, débouchés en l’honneur
de votre ami !
Allons colons, mes frères,
prenons la pioche, notre seigneur et maître nous le prescrit et nous vivons dans
l’espoir qu’un jour peut-être « l’Eminence grise » ne pouvant plus occuper
les centaines et centaines de travailleurs qu’on lui amène « Elle » voudra
bien se défaire de quelques estropiés et nous les octroyer à titre de bienveillance !
Maintenant terminons notre
petite missive : Vous vous vantez d’avoir reçu carte blanche de M. Picquié,
pour agir selon les caprices de votre cervelle !… Nous voulons bien vous croire,
car réellement pour agir ainsi que vous le faites, il faut que vous soyez assuré
de toute impunité ! – Réfléchissez pourtant !… La majorité des colons,
si dédaignés par votre grandissime personne, n’est pas décidée du tout à se laisser
manœuvrer comme un simple peloton de miramilas ! et en fait de rompre les
rangs vous serez peut-être le premier à les rompre, mon cher Monsieur.
Un colon.
Vatomandry le 1er février 1913.
En écrivant les lignes ci-dessus,
le Colon de Vatomandry ne croyait sans doute pas être un aussi bon prophète.
Selon ce que nous apprend la Tribune,
M. Picquié toujours préoccupé de rendre justice aux colons, envoie M. Cartron
à Mayotte. Ainsi tout le monde sera satisfait.
Le Tamatave
Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire