La logique et le bon sens
prendraient-ils enfin le dessus sur la fantaisie et le sentiment irréfléchi ?
Il semble qu’à la Réunion, les esprits commencent à envisager, sans répugnance systématique,
sans parti-pris, les projets déjà anciens de réunion des deux îles voisines, dans
le gouvernement général de l’Afrique Orientale.
Dernièrement, à Saint-Denis,
s’est tenu un congrès des Chambres d’agriculture de Madagascar et de la Réunion.
L’assemblée a mis en présence les agriculteurs des deux pays ; ils ont échangé
leurs vues, reconnu combien ils gagneraient à rendre leurs relations plus étroites.
De là à comprendre l’utilité d’un gouvernement commun, il n’y a qu’un pas, et j’espère
qu’il ne tardera pas à être franchi.
Comment cet état d’esprit
nouveau chez les Réunionnais s’est-il constitué ? Le facteur politique n’y
est pas étranger. Les plus fougueux adversaires de la fusion étaient les conservateurs.
Avec un gouvernement particulier, ils pouvaient espérer, en séduisant ou persécutant
le gouverneur à l’aide des conseils élus, éterniser, dans leur petite patrie, la
politique conservatrice et coloniale. Le gouverneur, neuf fois sur dix, désirait
avant tout ne pas avoir d’affaires ; il cédait aux influences locales prépondérantes.
S’il résistait, c’était la guerre sans merci là-bas, la guerre au couteau comme
elle se fait aux colonies, ne ménageant ni l’homme privé, ni sa famille. Ainsi traité,
le représentant du gouvernement n’avait qu’un désir : s’en aller au plus vite,
n’importe où. Pendant que le malheureux se débattait contre les difficultés de tous
genres, les députés conservateurs de la colonie faisaient le siège du ministère.
Souvent le ministre avait la même âme que son subordonné : lui, non plus, ne
voulait pas d’affaires. Suivant les circonstances, le gouverneur était rappelé,
placé ailleurs, avec ou sans avancement.
Le parti conservateur, longtemps
maître de la Réunion, tenait à l’autonomie administrative de l’île. Le gouverneur
générai de l’Afrique Orientale eût été interposé entre le gouverneur de la Réunion
et le ministre, les députés n’eussent pas exercé sur lui une influence directe,
l’administration eût été soustraite en partie à l’action de la faction dominante.
Depuis quelques années, les
choses ont changé à la Réunion. Le parti conservateur a enregistré des défaites,
il n’est plus aussi sûr du lendemain, qui paraît promis à ses adversaires. Dans
ces conditions, le rattachement à l’Afrique Orientale, non seulement ne lui enlèvera
plus rien, mais lui sera une sauvegarde contre les retours du sort, contre les agissements
de ses adversaires triomphants s’il leur plaisait de suivre ses exemples.
Le Parti républicain n’a pas
à l’égard de la fusion de sentiments hostiles. Il est un peu engagé par son attitude
passée : au moment où les réactionnaires exerçaient un véritable despotisme,
il s’était prononcé ouvertement pour la réunion à Madagascar. Il y voyait le moyen
le plus efficace d’échapper à la tyrannie locale. D’autre part, le parti républicain
réunionnais, en communauté de vues avec les républicains de France, n’a pas, comme
les cléricaux, à cultiver, sous le couvert de l’autonomie administrative, un esprit
réactionnaire autonome. La fusion n’a pas pour les démocrates, d’inconvénient politique,
au contraire.
Cette direction nouvelle des
esprits a été, il faut le reconnaître, secondée par le gouverneur intérimaire, actuellement
en fonctions, à la Réunion. Il s’est efforcé de rapprocher les habitants de Madagascar
et de la vieille Bourbon ; et il y a réussi.
Jusqu’ici les gouverneurs
de la Réunion étaient hostiles à la fusion. Quelques-uns, parfaits réactionnaires,
avaient les mêmes idées que leurs administrés, et voyaient, dans l’autonomie, la
défense de ces idées. D’autres ne renonçaient pas aisément à leur indépendance administrative,
ne se résignaient pas, de gouverneurs, à devenir lieutenant-gouverneurs. Autour
d’eux, tout le monde, les chefs de service, directeurs, etc., etc., se disait que
la fusion réduirait forcément le nombre des fonctionnaires multipliés à l’envi par
les comités politiques maîtres de l’administration. Tels personnages, aujourd’hui
chefs de service, tomberaient en sous-ordre. Les intérêts s’agitaient, le gouverneur,
en défendant l’autonomie, défendait « son personnel ». L’administration
était tout à fait hostile à la fusion, qui trouvait des adversaires jusqu’au ministère.
Que deviendrait le bureau de la Réunion, si l’île n’était plus qu’aux dépendances
de l’Afrique Orientale, le gouvernement général de Madagascar ?
Le gouverneur intérimaire
de la Réunion. M. Garbit, venant de Madagascar, ne pouvait suivre ces traditions,
et son influence heureuse s’est déjà manifestée.
Je salue, pour ma part, comme
un événement heureux, les symptômes d’un revirement dans l’opinion de la Réunion,
par son entrée dans le gouvernement général de Madagascar. La réalisation s’en impose
dans l’intérêt de nos possessions de l’Afrique orientale. Il y a six ans, les Comores,
Madagascar, la Réunion formaient autant de gouvernements autonomes. Ce qu’il a fallu
lutter, discuter, pour que les Comores soient réunies à Madagascar ! Ce que
de ridicules objections, des intérêts mesquins ou méprisables ont pu retarder une
décision, que le bon sens commandait de prendre immédiate, sans discussion !
Il faudra que la même solution
s’impose pour la Réunion.
Nos possessions de l’Océan
Indien doivent faire un tout, un bloc. Administrées avec une communauté totale de
vues, elles deviendront fatalement un centre économique, entraînant dans leur orbe
les Seychelles et Maurice ; elles pourront s’imposer, se défendre commercialement
en face des colonies anglaises, du Cap et du Natal. Isolées elles sont une poussière
aux éléments incohérents, agités, dispersés au premier souffle d’orage : fortement
réunies par un lien administratif solide, elles pourront avoir une vie propre et
active.
Enfin, la suppression de services
généraux, concentrés au gouvernement général au lieu d’être constitués pour chacune
des îles, donnera aux budgets une souplesse qui leur fait défaut.
Victor Augagneur.
Député du Rhône.
Le Progrès de Madagascar
Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Février 1913.
(A paraître dans quelques jours)
Janvier 1913 est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
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