Photo Elisa Larvego |
La première chose qui
frappe dans votre roman, c’est l’écriture, poétique, pleine de ruptures.
Pourquoi avoir choisi ce type d’écriture ?
C’est venu en partie
du sujet, du fait que mes deux personnages sont des poètes. J’avais donc envie
d’amener l’écriture de plus en plus vers la poésie, que le rythme et les
sonorités soient très importants. Et j’ai cherché à rejoindre l’oralité de la
poésie malgache.
Le titre, déjà,
possède une charge poétique. Avez-vous réussi à imposer facilement L’oragé à votre éditeur ?
J’ai peut-être de la
chance avec mon éditrice, elle a tout de suite aimé ce titre. Il est venu
plutôt tardivement, une fois que j’avais fini le livre. En cours d’écriture,
j’avais un titre de travail en malgache.
Vous étiez venue à
Madagascar avant de penser à écrire ce roman ?
Oui, à dix-huit ans,
en 2000-2001, j’y ai passé six mois en bénévolat, en grande partie à Tana et un
peu sur la côte, dans des orphelinats. C’était mon premier contact avec
Madagascar.
Avez-vous découvert
Rabearivelo à ce moment, ou plus tard ?
Je ne l’ai pas
découvert à mon premier voyage, ça a été quelques années après. Je suis revenue
à Madagascar en 2007, j’avais entre-temps noué d’autres liens avec le pays,
parce que mon mari est malgache. Mais il ne vivait plus à Madagascar quand nous
nous sommes rencontrés, au cours d’un voyage. Nous sommes revenus avec notre
première fille, puis je suis revenue en 2012 dans l’idée du projet autour de
Rabearivelo. Je l’ai découvert dans la bibliothèque de mon mari, en fait.
C’est plus compliqué,
probablement, pour Esther, qui est beaucoup moins connue ?
Oui, elle est arrivée
alors que j’étais déjà dans le projet autour de Rabearivelo. C’est dans Les
Calepins bleus, qui ont été publiés il
n’y a pas très longtemps, que j’ai découvert Esther. Il a traduit quelques-uns
de ses poèmes, il a écrit sur elle. Il y avait assez peu de choses mais je me
suis assez vite intéressée à elle. J’ai beaucoup inventé, mais c’est ce qui me
plaisait, parce que cela reste un roman.
On a l’impression
qu’à ce moment, votre projet a basculé et qu’elle est devenue le personnage
principal…
Oui, elle a pris de
plus en plus d’importance, elle est un peu le centre même si Rabearivelo reste
le point de départ et le point d’arrivée. On sait que Rabearivelo s’est suicidé
mais je me suis dit assez vite que je n’allais pas traverser toute sa vie en un
roman. Il fallait que je choisisse une période.
Ils ont deux démarches
assez différentes : il lit beaucoup les poètes français, il publie en
français à l’étranger ; elle est, au contraire, dans une radicalité qui
lui interdit d’écrire en français.
C’est ça aussi qui m’a
intéressée. Il y a des années que j’ai envie d’écrire sur la période coloniale
à Madagascar. On connaît finalement très peu cette histoire et Rabearivelo
incarne quelqu’un qui n’est pas anticolonial, qui a une double appartenance
entre la langue française et la langue malgache et qui, à mes yeux, contient
toute cette ambivalence. Il y a, surtout à la fin de sa vie, un désespoir
devant l’absence de reconnaissance. Il symbolise beaucoup d’éléments de cette
période. Esther a, en effet, une position complètement différente.
Leurs différences
ont-elles apporté une complémentarité dans le regard sur l’époque ?
C’était une façon de
questionner l’époque à travers deux positions différentes, oui.
Pendant la
colonisation française, l’instruction des Malgaches était considérée comme un
danger…
En effet, j’ai lu
beaucoup de journaux de l’époque et j’ai utilisé des extraits d’articles.
Esther est
transgressive aussi parce qu’elle est homosexuelle. Avez-vous découvert ce
thème en cours de route ou bien aviez-vous l’intention de l’introduire d’une
manière ou d’une autre ?
Non, au départ, je
n’avais pas l’intention de l’introduire. En fait, sur Esther, je n’affirme
rien, je ne sais pas ce qui est réel ou non. C’est venu par une allusion que
fait Rabearivelo dans ses Calepins bleus
et, vu le parcours que j’avais envie de creuser avec Esther, par rapport à
l’écriture et à un positionnement transgressif, il y avait une quête dans
l’intime qui s’est imposée au fil du temps.
Votre roman occupe le
territoire. Antananarivo est évidemment le lieu principal mais on passe aussi
par l’ouest et l’est de Madagascar. Etiez-vous habitée par ce qu’on pourrait
appeler un sentiment géographique ?
J’avais envie de faire
exister une géographie. Je n’avais pas l’intention d’écrire un roman historique
traditionnel, mais je voulais faire sentir une époque et une géographie, tout
en étant très proche de personnages avec lesquels on est plutôt sur des thèmes
très intimes. Esther avait passé quelque temps à Mahajanga, puis cette autre
femme est venue de l’est, donc cela permet de traverser l’île.
La maturation de ce
roman, jusqu’à la fin de l’écriture, a-t-elle pris beaucoup de temps ?
L’idée d’un livre sur
Madagascar, cela faisait longtemps. Le projet s’est précisé en 2011, l’année
suivante j’étais vraiment dans les recherches, les lectures, j’ai rencontré du
monde, et j’ai commencé à écrire en automne 2013. J’ai mis du temps à me sentir
légitime, c’est-à-dire d’avoir suffisamment intégré toute cette matière pour me
sentir libre d’inventer. Et j’ai mis à peu près une année et demie à l’écrire.
Vous citez, dans le
roman, un article d’Esther écrit en français. Il n’y a rien d’autre ?
Cet article, c’est moi
qui l’invente.
Avez-vous encore des
projets littéraires liés à Madagascar ?
Je suis partie dans
l’idée qu’il y aurait plusieurs livres autour de la vie de Rabearivelo, sur
différentes périodes. Ce n’est pas vraiment une suite, mais avec un autre
personnage, peut-être. On verra si l’idée se concrétise…
Demain, l'entretien avec Michaël Ferrier.
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