31 décembre 2013

Il y a 100 ans : Lettre d’un broussard (2)

(Suite et fin.)
Il y a plus encore.
C’est aujourd’hui dimanche ; mes ouvriers sont on balade : j’ai donc le temps de vous exposer ma manière de voir, qui, du reste, est celle de tous les voisins avec qui j’ai eu l’occasion d’en parler. Voici :
Quand M. Picquié est arrivé à Madagascar, il connaissait peu, ou imparfaitement du moins, la colonie et ses besoins. Puis il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il ne pouvait pas compter sur ses auxiliaires, du moins sur la plupart d’entre eux.
Alors, en administrateur avisé, consciencieux, vraiment à la hauteur de sa mission, il s’est mis à étudier le pays afin de se rendre compte par lui-même de ses besoins. Cela, on n’est pas venu nous le conter ; nous l’avons vu nous-même à l’œuvre de nos propres yeux.
Et c’est au moment où il vient d’acquérir cette expérience qui lui manquait, au moment où il connaît, en détail, les besoins de la Colonie et ses ressources, qu’il a étudié minutieusement les moyens de donner satisfaction à ces besoins en mettant ces ressources à profit, au moment, par conséquent, où il est le plus apte à rentre des services à notre colonie, c’est à ce moment-là, dis-je, qu’on l’éloignerait de Madagascar ?
Oh non !… ce serait un défi au bon sens et il y a lieu de croire, plus que jamais, que ce dernier règne encore en terre de France.
Que M. Picquié aille prendre quelques mois d’un repos bien gagné, rien de plus naturel et de plus légitime.
Mais qu’il nous abandonne ou qu’on le remplace au moment où il peut nous être plus utile, c’est ce que nous, colons, nous ne pouvons comprendre. Le gouvernement libéral que la France s’est enfin donné, n’y prêtera pas la main, dussent tous les blocards en crever de dépit.
M. Picquié doit à la Colonie, et se doit à lui-même de compléter son œuvre. C’est un droit et un devoir pour lui.
Du reste, rien de plus désastreux pour la bonne marche d’une colonie que ces à-coups, ces changements fréquents dans sa direction. À tout propos on nous cite les Anglais comme colonisateurs modèles. Mais eux ont soin de laisser quinze et vingt ans le même gouverneur à la tête d’une même colonie ; ils sont logiques. Qu’on les imite au moins en cela !
Excusez mon bavardage et cordialement à vous.
B.

Le Tamatave

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