21 mars 2014

« Madagascar dahalo », une enquête de Bilal Tarabey

Le sud-est de Madagascar fait la une de l'actualité depuis des années et on ne sait pas ce qui s'y passe. Paradoxe d'une région dont bien des parties sont quasiment inaccessibles, sauf à déployer des moyens que possèdent seulement des candidats en campagne électorale - des hélicoptères - ou à reprendre, pedibus cum jambis, un mode de locomotion auquel nos ancêtres étaient plus habitués que nous.
Autour du présumé chef de bande Remenabila et de ses voleurs de zébus devenus des assassins, on nous a raconté des quantités d'histoires plus ou moins crédibles (souvent moins que plus), on nous a montré des photos, dont certaines étaient du genre qu'on préfère ne pas voir, on nous a expliqué la transformation d'une tradition - pour le dire vite, le vol d'une ou deux têtes de bétail pour prouver son courage - en business lucratif et criminel dont les principaux bénéficiaires sont soupçonnés mais jamais inquiétés, on nous a dit que les forces de l'ordre envoyées sur place pour ramener le calme s'étaient livrées à des exactions dénoncées par des enquêtes internationales, on a démenti. Tout cela dans le désordre, une information (pour autant que cela puisse s'appeler une information) contredisant l'autre avant d'être présentée autrement.
Pour en savoir plus, Bilal Tarabey n'a trouvé qu'une solution: se rendre sur place. La trouille au ventre - il le dit, c'est tout à son honneur - mais avec le pressentiment qu'il y a là, peut-être, matière à un grand reportage.
Trois fois, entre juin 2012 et mars 2013, il a arpenté, dans des conditions diverses - du 4x4 à la marche -, les routes défoncées et les sentiers à peine tracés entre les petites villes et les villages, dont certains ont été abandonnés après avoir été incendiés. Il a parlé d'abondance avec les personnes les plus diverses, connues (il a beau leur donner des pseudonymes: l'Ange, le Double, le Musicien, il n'est pas difficile de leur attribuer un visage et un nom) ou totalement inconnues. Il a écouté, il a transcrit. Et il raconte...
Le récit est passionnant. L'auteur ne cache pas ses faiblesses, ses renoncements parfois. J'aurais dû poser cette question, se dit-il parfois, après ne l'avoir pas fait. mais la lassitude ou la peur ont été, par moments, plus fortes que l'instinct du journaliste. Le périple qu'il accomplit, fin mars 2013, en compagnie de Félicien, chargé du recensement pour les prochaines élections, est une torture - pour lui - et un enchantement - pour nous. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne fait pas du tourisme...
Qu'apprend-on?
Que les habitants de la région où se passent les événements débitent les mêmes récits contradictoires que l'on a entendus de loin. Qu'il est presque impossible de démêler le vrai du faux, les faits authentiques de la fiction.
Au final, nous ne savons pas grand-chose de plus qu'avant de lire Madagascar dahalo. Mais nous avons partagé une enquête avec ses fausses pistes, ses moments creux et son absence de solution claire. Nous avons aussi entendu les voix de celles et ceux qui vivent là une existence souvent précaire et dangereuse.
Il n'y a pas d'erreurs dans ce qui nous est dit (sauf une: si la circulation des armes est la conséquence d'événements politiques, il s'agit de ceux de 2002 et pas de 1992), il n'y a que des convictions.
Quant à l'insaisissable Remenabila, il reste une silhouette fugitive qui agite un chiffon rouge avant de disparaître...

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