Monsieur le Directeur du Tamatave,
J’ai l’avantage de
réclamer l’hospitalité de vos colonnes, pour mettre au point certaine critique
théâtrale, émanant du carnet d’un boto de
pousse-pousse, parue dans le numéro du 14 courant de la Dépêche malgache. Cette critique est
signée Sarah B.
Sarah B. me fait
l’effet d’une blasée, du genre de ces individus dont les travers ont enfanté
tant de chansons créoles. Quiconque a passé ou vécu à Saint-Denis, Réunion, a
dû entendre chanter dans les rues de la ville les jours de Carnaval :
« Si n’a pas bonbon Maxence, mi
manze pas ; si n’a pas tabac Mazeau, mi fime pas. » C’est
suggestif, n’est-ce pas ? Pour Sarah B., pas de théâtre en dehors des
théâtres parisiens ; pas d’amusements, même patriotiques, si les acteurs
ne sont pas des professionnels, et encore pas des moindres, s’il vous
plaît ; dans ce cas-là, aimable
Sarah B., vous auriez dû rester à Paris, et ne pas venir à Tamatave,
où votre bon goût ne pourrait que s’émousser, s’étioler, s’atrophier. Le champ
de Tamatave n’est pas assez vaste, et vos conceptions idéales n’y peuvent
évoluer à leur aise.
À un génie aussi
transcendant il faudrait un champ plus vaste, un centre tout autre, un Paris en
un mot.
Vous étiez bien, sur les
Boulevards parisiens. Pourquoi les avoir quittés pour venir échouer sur les
arides plages de Tamatave ?
J’ai éprouvé des rancunes
en lisant votre carnet du 14 août 1915, et permettez-moi, aimable Sarah B., de vous rappeler
ce qu’a dit un grand poète : « La critique est aisée, et l’art est
difficile. »
Soyez plus indulgente une
autre fois et dites-vous bien que des amateurs convertis en acteurs improvisés
ne méritent pas une critique si sévère, surtout quand le but principal de la
fête organisée était de soulager bien des infortunes résultant des événements
actuels.
Il m’est pénible,
Sarah B., d’être obligé de vous donner des leçons de bienveillance, alors
que c’est dans le cœur des femmes qu’ordinairement résident les sentiments les
plus bienveillants, témoins les Dames de France, de la Croix Rouge, dont le
dévouement affectueux est à toute épreuve.
Je vous prie néanmoins de
vouloir bien agréer mes sincères et respectueuses salutations.
Au revoir aimable
Sarah B.
Ant. De Rosin,
un des organisateurs
de la Soirée franco-malgache
du 8 août 1915.
Le Tamatave
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