De l’autre côté de la
montagne s’étend une terre tragique, une vallée au sol rouge tacheté, çà et là,
de bouquets d’arbres. Enserrée par une ceinture de collines qui profilent très
haut leurs fronts inexorables, cette vallée ne voit du ciel qu’une coupe
bleue ; toute échappée sur l’infini est close par les Gardiennes aux
lignes sévères, et il n’est pas d’horizon lointain semblable à une grève d’or
où passent des ailes et de flottantes vapeurs irisées. À mi-chemin de deux
villages contigus, encerclés de murs, se dresse une maison européenne qui
paraît être la surveillante de cette geôle ensoleillée des cases prisonnières
derrière le rempart des murailles. Nul bruit. – La nature se recueille et
attend. Ainsi qu’un rideau de théâtre, le silence tend son mystère entre
l’inconnu et la vie apparente. De l’un et l’autre côté du voile ténébreux, le
drame est poignant : ici on pleure, là on espère, et le destin ignoré
s’accomplit… Cependant le silence donne sa plénitude à l’émotion humaine, il
crée une harmonie entre les larmes et les choses, il est la beauté de la
douleur. Qu’importe si demain des doigts sacrilèges soulèvent les plis de
velours : l’heure est divine, qui fut sans vaines paroles !…
Ici palpite un silence
vivant fait des mille bruits du vent et de la terre. On l’écoute… qui donc le
troublera ? Les villages sont habités, une fumée floconneuse sort des
cabanes, une faible rumeur monte, un éclat de rire a fusé vers le ciel calme…
tout s’éteint, et la mélancolie flotte sur le paysage désolé, au pied des
montagnes arides. Les villages muets se sont endormis dans quelque rêve
heureux, aux lueurs blondes du soleil qui décline.
Le vent du soir s’élève,
il chante dans les herbes ondulantes et disperse les pollens au gré de sa
fantaisie. Son souffle frais ranime toutes les choses qui étaient anéanties par
la chaleur. Voici, dans les villages, des silhouettes étranges qui semblent se
mouvoir avec peine. Hommes et femmes, ralentis, entravés, paraissent privés de
l’activité coutumière. Les femmes ne vont point à la fontaine d’un pas léger,
une poterie de grès rouge posée sur la tête. Les hommes, séparés de leurs
compagnes, tenus à part, se traînent, ombres lasses.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
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