4 mai 2014

Dans la léproserie (5)

(Suite.)
On dort dans les cases lépreuses, c’est l’oubli posé sur les fronts douloureux. Cependant, ces créatures enfantines se courbent avec résignation sous le poids du destin ; elles s’abîment dans l’indifférence, tandis que la lente mort plane et s’abat tel un oiseau de proie, et arrache des lambeaux de leur vivante chair. Sans révolte, l’homme primitif ne cherche point à combattre la fatalité ni même à s’y soustraire. Il n’invoque ni le ciel ni les dieux pour soulager son infortune. Si l’homme de race jaune accepte et se tait, le nègre entouré des merveilles du monde qui ne lui sont point expliquées met son fady au nombre de ces miracles qui surpassent l’entendement : la foudre, la pluie, l’éclair…
Sous la forme du talisman se blottit la secrète espérance. Les maux et la mort ne sont pas décuplés par l’ivresse de la douleur morale, et ces humbles retournent avec sérénité au tombeau des ancêtres, laissant tomber avec insouciance les gouttes de leur sang empoisonné sur le terrible chemin où ils vont, emboîtés dans l’ornière, butant aux pierres, faisant halte parfois, mais atteignant d’une marche sûre le terme de leur peine, cette fin où sombre tout ce qui vit.
À cette heure, le rêve argenté de la lune s’étend sur toutes les choses.
La mort est douce qui serait obscure et profonde, semblable à la nuit palpitante d’étoiles. Un vent frais et parfumé passe ; cette haleine et la douceur bleue sont un philtre d’amour. Aime-t-on dans l’Enfer ?
La petite ramatoa[1] ne peut dormir ce soir. Les larmes ont séché sur son visage sans qu’elle l’essuyât ; son jeune cœur est gonflé de soupirs. Elle s’assied devant la porte de sa case… Oh ! la vilaine case qui ne contient qu’une maçonnerie élevée sur le sol et supportant une longue dalle recouverte d’une natte : le lit, puis un banc de pierre ! Cette demeure est froide et nue comme la maison des ancêtres.
Là, au dehors, cet air embaumé d’oranger, cette clarté amie ont passé chez sa mère avant d’arriver ici.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France



[1] Jeune femme, prononcer : ramatou.


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