(Suite.)
On dort dans les cases
lépreuses, c’est l’oubli posé sur les fronts douloureux. Cependant, ces
créatures enfantines se courbent avec résignation sous le poids du destin ;
elles s’abîment dans l’indifférence, tandis que la lente mort plane et s’abat
tel un oiseau de proie, et arrache des lambeaux de leur vivante chair. Sans
révolte, l’homme primitif ne cherche point à combattre la fatalité ni même à
s’y soustraire. Il n’invoque ni le ciel ni les dieux pour soulager son
infortune. Si l’homme de race jaune accepte et se tait, le nègre entouré des
merveilles du monde qui ne lui sont point expliquées met son fady au nombre de
ces miracles qui surpassent l’entendement : la foudre, la pluie, l’éclair…
Sous la forme du talisman
se blottit la secrète espérance. Les maux et la mort ne sont pas décuplés par
l’ivresse de la douleur morale, et ces humbles retournent avec sérénité au
tombeau des ancêtres, laissant tomber avec insouciance les gouttes de leur sang
empoisonné sur le terrible chemin où ils vont, emboîtés dans l’ornière, butant
aux pierres, faisant halte parfois, mais atteignant d’une marche sûre le terme
de leur peine, cette fin où sombre tout ce qui vit.
À cette heure, le rêve
argenté de la lune s’étend sur toutes les choses.
La mort est douce qui
serait obscure et profonde, semblable à la nuit palpitante d’étoiles. Un vent
frais et parfumé passe ; cette haleine et la douceur bleue sont un philtre
d’amour. Aime-t-on dans l’Enfer ?
La petite ramatoa[1] ne peut dormir ce soir. Les larmes ont séché sur
son visage sans qu’elle l’essuyât ; son jeune cœur est gonflé de soupirs.
Elle s’assied devant la porte de sa case… Oh ! la vilaine case qui ne
contient qu’une maçonnerie élevée sur le sol et supportant une longue dalle
recouverte d’une natte : le lit, puis un banc de pierre ! Cette
demeure est froide et nue comme la maison des ancêtres.
Là, au dehors, cet air
embaumé d’oranger, cette clarté amie ont passé chez sa mère avant d’arriver
ici.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Jeune femme,
prononcer : ramatou.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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