13 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (11)

(Suite.)
Non, nul d’entre ceux-là ne sacrifiera le bœuf et, après avoir déposé la part des morts au seuil de la maison des ancêtres, la famille réunie ne mangera point la chair grillée au feu en buvant de la betsabetsa[1]. Il n’y aura ni larmes, ni danses auprès de leur tombe. Leurs fantômes désolés erreront dans la nuit.

*

Voici des femmes assemblées, et qui, chose étrange, ne parlent point… Deux religieuses blanches se saisissent d’un enfant nouveau-né, dans une case, et remportent sous les yeux de la mère défaillante. Les Dames s’en vont lointaines et le vagissement décroît… Étendue sur la natte, brisée par la souffrance, le petite ramatoa ne sait plus pourquoi on lui vole son enfant. Autour d’elle, les femmes jasent à voix légère et lui apprennent qu’on enlève ainsi les nouveau-nés parce qu’ils naissent indemnes du mal terrible et ne prendraient la lèpre qu’en demeurant au sein de leur mère.
Le lendemain, la jeune femme pleure : son enfant est à l’orphelinat créé par les religieuses. La petite ramatoa sent tout son corps douloureux et elle cherche en son âme le visage imprécis du petit être aimé dès le premier tressaillement de sa présence.
La Supérieure l’a grondée et a fait dire à toute la cité que les coupables du Péché seraient punis sévèrement et privés de nourriture.

*

Être seule, n’est-ce pas se pencher sur l’eau de la fontaine et ne plus voir que son propre visage et l’image des regrets qui dorment au fond des yeux ? De la profondeur limpide et glacée, à travers le frisson argenté, le « Moi » vient transparaître à la surface. Rien ne gît dans le lit de cailloux brillants, et le reflet s’éteint lorsque descend la nuit.
Désormais la petite ramatoa est seule ; une surveillance rigoureuse empêche les couples de se joindre dans les ténèbres. Couchée sur la dalle, la jeune femme songe à son amant, à l’enfant arraché d’elle, et la mort épouvantable des Vazahas se dresse devant ses yeux.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France



[1] Eau-de-vie de canne à sucre.


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