(Suite.)
Non, nul d’entre ceux-là
ne sacrifiera le bœuf et, après avoir déposé la part des morts au seuil de la
maison des ancêtres, la famille réunie ne mangera point la chair grillée au feu
en buvant de la betsabetsa[1]. Il n’y aura ni larmes, ni danses auprès de leur
tombe. Leurs fantômes désolés erreront dans la nuit.
*
Voici des femmes
assemblées, et qui, chose étrange, ne parlent point… Deux religieuses blanches
se saisissent d’un enfant nouveau-né, dans une case, et remportent sous les
yeux de la mère défaillante. Les Dames s’en vont lointaines et le vagissement
décroît… Étendue sur la natte, brisée par la souffrance, le petite ramatoa ne
sait plus pourquoi on lui vole son enfant. Autour d’elle, les femmes jasent à
voix légère et lui apprennent qu’on enlève ainsi les nouveau-nés parce qu’ils
naissent indemnes du mal terrible et ne prendraient la lèpre qu’en demeurant au
sein de leur mère.
Le lendemain, la jeune
femme pleure : son enfant est à l’orphelinat créé par les religieuses. La
petite ramatoa sent tout son corps douloureux et elle cherche en son âme le
visage imprécis du petit être aimé dès le premier tressaillement de sa
présence.
La Supérieure l’a grondée
et a fait dire à toute la cité que les coupables du Péché seraient punis
sévèrement et privés de nourriture.
*
Être seule, n’est-ce pas
se pencher sur l’eau de la fontaine et ne plus voir que son propre visage et
l’image des regrets qui dorment au fond des yeux ? De la profondeur
limpide et glacée, à travers le frisson argenté, le « Moi » vient
transparaître à la surface. Rien ne gît dans le lit de cailloux brillants, et
le reflet s’éteint lorsque descend la nuit.
Désormais la petite
ramatoa est seule ; une surveillance rigoureuse empêche les couples de se
joindre dans les ténèbres. Couchée sur la dalle, la jeune femme songe à son
amant, à l’enfant arraché d’elle, et la mort épouvantable des Vazahas se dresse
devant ses yeux.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Eau-de-vie de canne à
sucre.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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