3 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (4)

(Suite.)
Des silhouettes d’hommes apparaissent sur la crête du mur : la voix limpide est arrivée jusqu’à eux. Ils regardent et aperçoivent le joli visage mutin et désolé, la longue tresse de cheveux noirs, le cou frêle couleur d’ivoire ancien, la sveltesse du corps enveloppé dans le lamba blanc. Ceux qui peuvent voir remplissent leurs yeux de cette image fugitive de la jeunesse et de la beauté qui va mourir. La jeune fille sent à ce moment quels trésors sont en elle ; sa voix expire sur ses lèvres. Tandis que les femmes jasent sans trêve et que le gardien fait rentrer chacun chez soi pour recevoir la ration de riz, elle demeure immobile et voit en un instant son inutile grâce et l’affreuse corruption qui va faire d’elle, lentement, un monstre, un mourant cadavre. Elle regrette la Vie et l’Amour, ces biens uniques, avec une telle force de tout son être jeune et frémissant, que soudain elle se jette à terre, le visage au sol, ses mains jointes ne laissant plus ses yeux apercevoir le jour, la cité sans espérance, ceux qui ne sont plus tout à fait des vivants…

*

La nuit s’est endiamantée d’étoiles et leurs feux jouent avec les ombres. Le clair de lune baigne d’une transparente clarté l’éther à peine assombri, et les arbres s’entrevoient en masses brunes et denses. Le sommet des collines s’estompe d’un trait sombre sur le ciel pur. C’est l’heure où le silence parle d’éternité, et les tristes regards des hommes scrutant l’immensité insondable ne voient que l’abîme entr’ouvert de la mort. Il n’est plus, ainsi que dans la force flamboyante du soleil, des vallées et des monts, des fleuves et des routes, des champs et des forêts et diverses sortes de l’humanité qui souffre. La nuit, berceau des mondes, image de l’infini et du temps sans jalons, offre une mouvante parcelle de la création aux regards des astres éternels. Et cette poussière d’hommes, ces millions d’âmes obscures ou révélées à elles-mêmes, celles qui n’ont que l’instinct des êtres les plus infimes, celles qui surent ravir le feu du ciel sont l’intelligence et la pensée dans l’harmonie universelle. Cette lamentable peine de vivre devient une conscience qui émane de la nature et s’évanouit dans l’espace sans limites. Ainsi la lumière naît des corps obscurs, par le mouvement, se développe, magnifie, pénètre et parcourt l’étendue sidérale.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.

Mercure de France


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