(Suite.)
Monotones, les jours
s’égrènent sans ennui. Seuls, l’homme qui a divisé le temps imaginaire et lui a
fixé des limites, et celui que les passions dévorent connaissent ce spleen qui
les force à fuir, haletants d’impatience et attendant « demain ».
L’inutile, le désespéré, le cœur enseveli sous la cendre du passé, l’égoïste, le blasé, qui ne trouve en soi-même que
le désert sans mirages, tous ceux-là souffrent par l’impossibilité d’être. Les
yeux qui ne voient plus le soleil ni les dieux visibles parmi lesquels ils
vivent, l’herbe en fleur, les arbres puissants, les jeux des nuages au bord de
l’horizon, comptent les heures qu’un vent glacé emporte en tourbillons. Ces
hommes enferment leur âme dans le cercle de leurs désirs médiocres, ils ne
savent regarder au delà d’eux-mêmes et ils ne sont point.
Les amants s’aiment
toujours. Ils ignorent que l’on peut se fuir pour chercher une émotion
nouvelle.
Par les nuits obscures,
quand le vent d’automne chasse les nuages en déroute ainsi qu’une armée de
Titans culbutés vers les Monts où s’élève Tananarive, l’adolescent et la jeune
fille ont peur de l’ombre et des ancêtres. Dans la case lugubre, sur la dalle
élevée, la natte les reçoit endormis, se tenant enlacés, beaux, jeunes et
semblables aux statues anciennes couchées sur les sépultures royales, là-bas,
en Occident.
Les jours tombent un à un
au passé.
*
En ses murs, la
léproserie enferme des créatures issues de races diverses. Parmi les plus
nombreux des tristes hôtes sont les nègres : Sakalaves guerriers et
braves, Makoas de la Côte africaine, Sénégalais venus là comme soldats pour
conquérir. Promptes aux colères et aux joies, leurs âmes obscures sont emplies
des superstitions de leurs sauvages contrées. Ceux-là ont adopté, en outre de
leurs croyances, les fétiches hovas que glisse l’ombiassy, en de furtives
visites ignorées des gardiens vazahas. Ces nègres sont l’agitation et le bruit
dans la morne cité. Ils se querellent, ils chantent, ils pleurent parfois ainsi
que des enfants, ou bien, s’étendant au soleil, ils demeurent inertes pendant
de longues heures et dans leurs yeux passe la vision des plaines monotones, des
cases abandonnées, des danses et des guerres là-bas, dans la patrie…
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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