10 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (9)

(Suite.)
Monotones, les jours s’égrènent sans ennui. Seuls, l’homme qui a divisé le temps imaginaire et lui a fixé des limites, et celui que les passions dévorent connaissent ce spleen qui les force à fuir, haletants d’impatience et attendant « demain ». L’inutile, le désespéré, le cœur enseveli sous la cendre du passé, l’égoïste, le blasé, qui ne trouve en soi-même que le désert sans mirages, tous ceux-là souffrent par l’impossibilité d’être. Les yeux qui ne voient plus le soleil ni les dieux visibles parmi lesquels ils vivent, l’herbe en fleur, les arbres puissants, les jeux des nuages au bord de l’horizon, comptent les heures qu’un vent glacé emporte en tourbillons. Ces hommes enferment leur âme dans le cercle de leurs désirs médiocres, ils ne savent regarder au delà d’eux-mêmes et ils ne sont point.
Les amants s’aiment toujours. Ils ignorent que l’on peut se fuir pour chercher une émotion nouvelle.
Par les nuits obscures, quand le vent d’automne chasse les nuages en déroute ainsi qu’une armée de Titans culbutés vers les Monts où s’élève Tananarive, l’adolescent et la jeune fille ont peur de l’ombre et des ancêtres. Dans la case lugubre, sur la dalle élevée, la natte les reçoit endormis, se tenant enlacés, beaux, jeunes et semblables aux statues anciennes couchées sur les sépultures royales, là-bas, en Occident.
Les jours tombent un à un au passé.

*

En ses murs, la léproserie enferme des créatures issues de races diverses. Parmi les plus nombreux des tristes hôtes sont les nègres : Sakalaves guerriers et braves, Makoas de la Côte africaine, Sénégalais venus là comme soldats pour conquérir. Promptes aux colères et aux joies, leurs âmes obscures sont emplies des superstitions de leurs sauvages contrées. Ceux-là ont adopté, en outre de leurs croyances, les fétiches hovas que glisse l’ombiassy, en de furtives visites ignorées des gardiens vazahas. Ces nègres sont l’agitation et le bruit dans la morne cité. Ils se querellent, ils chantent, ils pleurent parfois ainsi que des enfants, ou bien, s’étendant au soleil, ils demeurent inertes pendant de longues heures et dans leurs yeux passe la vision des plaines monotones, des cases abandonnées, des danses et des guerres là-bas, dans la patrie…
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.

Mercure de France


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