(Suite.)
La troupe macabre se
dirige vers la maison haute, escalade, roule, déferle ainsi qu’une vague
furieuse jusqu’aux portes entr’ouvertes du logis déserté. Elle arrive enfin et
trouve les cellules nues et calmes, un aspect paisible et inhabité ; l’air
est chargé d’un vague parfum d’encens. Étonnée, la foule se concerte et cherche
un objet sur quoi satisfaire sa vengeance. Que faire pour punir les sœurs
blanches et reconquérir les fadys qu’elles leur ont volés ? L’ombiassy,
tête nue, son lamba rejeté sur l’épaule, leur crie : Au cimetière !
La terre chrétienne est
près de la maison ; son sol est recouvert par l’herbe broussailleuse des
hauts plateaux ; quelques croix indiquent la place où reposent celles qui
ne vécurent que pour bien mourir, les femmes sacrées que la fièvre a fauchées
loin du pays natal et des êtres aimés, mais plus près de leur Dieu par le
sacrifice. Le sol rouge a reçu les corps vierges qui n’étaient point nés de
lui… Nulle fleur n’atteste sa pitié. Les Occidentales demeurent étrangères
jusque dans la mort et leur idéal dort avec elles, incompris et détesté.
Courant ou se traînant, les lépreux arrivent devant les croix
indicatrices ; ils fouillent avec des bâtons et des angadys[1] la terre qui jaillit, ouvrant une déchirure
sanglante… Entre les hautes herbes apparaissent les mortes. Voici des
squelettes décharnés, des ossements épars, et, là, des choses plus horribles,
d’une indicible épouvante…
Comment un feu de
broussailles est-il allumé ? On y jette les croix ; la flamme pétille
et s’élance ; on y jette les mortes !… Haletants, en sueur, mais fous
de haine et de joie, les nègres dansent autour du feu, accrochés les uns aux
autres afin de se tenir debout. Leur ronde fantastique, parfois éclairée,
parfois perdue dans l’obscurité, est comme une secousse sismique, une
convulsion des créatures et du sol.
L’ombre nocturne étend
son zaïmph au-dessus de la terre ; mais ceux qui souffrent ne sentent
point la fraîcheur apaisée de la nuit.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Lames de bêches.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire