14 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (12)

(Suite.)
Une religieuse, chaque jour, passe dans le village des femmes et leur parle du supplice éternel réservé aux pécheurs. Andrianamanitra, le Seigneur incorruptible, est un dieu aux incompréhensibles et sombres desseins. Il ne veut point que l’on aime. Il punit les petites ramatoas qui se sont alanguies d’amour.
On baptise les hommes, on les conduit à l’église, ce qui est amusant parce que l’on y chante. Mais on leur parle de la peine du feu qui torture les ombres de leurs Pères… Dans les cases, une sourde colère naît et grandit, les Malgaches se remémorent qu’autrefois, au temps de la reine, le peuple était libre. Seuls dans leur maison, non point isolés du reste des hommes, les Lépreux vivaient dans le village natal et recevaient la sépulture au tombeau de la famille. Après avoir pris leurs terres, les Européens avides ont ruiné et humilié les Andrianas[1], ils cravachent le Hova qui ne s’incline peint jusqu’à terre devant eux. Naguère, la reine seule, portée dans son palanquin couleur de pourpre, était entourée de pareils hommages.
Parfois un vieil homme au teint africain, les cheveux et la barbe décolorés par l’âge, pénètre dans le cycle de l’enfer visible. Coiffé d’un chapeau de paille, enveloppé d’un lamba couleur de feuille morte, il se glisse, humble, retors, inaperçu des gardiens européens. Quand il s’est assuré l’abri d’une case, il rejette son manteau et l’on aperçoit un collier fait de dents de crocodiles, d’ossements humains, de cornes travaillées qui pendent sur sa poitrine. Tour à tour des lépreux se présentent et reçoivent un précieux fady accompagné de véhémentes exhortations… Oui, les Blancs insatiables, après avoir dépossédé le peuple malgache, veulent étendre leur emprise au-delà même de la mort. Leur griffe astreint les vaincus en leurs croyances, ce trésor intérieur, ainsi qu’en leur liberté.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France



[1] Noblesse hova divisée en 4 classes, dont la 1re seule occupait le trône.


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