(Suite.)
La jeune fille est
plongée dans cette sorte d’engourdissement qui suit l’excès de la douleur. Ses
cheveux se sont déroulés, elle a rejeté son lamba et sa belle robe jaune paraît
blanche sous la lune. Elle se sent toute seule, loin des bruits familiers, et
toute petite dans la nuit immense. Il lui paraît qu’il n’y a plus qu’elle au
monde et sa douleur qui remplit l’univers. Elle appuie sa joue dans sa main, le
coude supporté par ses genoux repliés, et reste là, bien vite sans pensée, les
lèvres entr’ouvertes, les yeux vagues, perdus dans la lueur stellaire.
La nuit qui fait chanter
les feuilles lui rappelle les sons de la valhya[1] et les interminables refrains à danser. Ce
souvenir n’est pas une tristesse, non plus qu’un plaisir, à peine une
impression qui flotte au bord de l’âme et s’abîme dans l’oubli… La petite
ramatoa s’est endormie, la bouche entr’ouverte, les cils humides, ainsi qu’un
enfant malheureux.
*
Un craquement se perçoit
dans la nuit ; un bruit furtif, un pas léger approchent… La jeune fille
dort toujours… Un adolescent est debout devant elle et la regarde. La sensation
d’une présence trouble la dormeuse, ses paupières battent, sa tête fléchit et
se relève, elle entr’ouvre les yeux.
Elle aperçoit le jeune
homme et n’éprouve ni peur ni surprise. Là-bas, dans la grande Ville, les
jeunes gens viennent aussi, le soir, parler d’amour. Il la voit éveillée et
s’assied auprès d’elle ; il la salue et elle répond avec retenue, ramenant
son lamba sur ses épaules. Il dit son nom et parle de ses parents, de son
village situé à un jour d’ici.
Elle répond encore, mais
des larmes voilent l’éclat de ses yeux… Elle se souvient de ceux qu’elle a
quittés, et de son pays qu’elle ne reverra point…
« Ne sois pas
triste, dit le jeune homme, ici nos parents, nos amis viennent nous voir !
ici l’on aime, ô belle des belles ! »
Un rayon de chaude
lumière pénètre le cœur de la jeune fille. Elle sourit : comment a pu
venir l’amant au village des femmes ? Il indique le mur franchi sans peine
et prend entre ses mains les doigts légers de l’enfant ; leurs souffles se
mêlent…
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Instrument de musique
rappelant la cithare.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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