5 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (6)

(Suite.)
La jeune fille est plongée dans cette sorte d’engourdissement qui suit l’excès de la douleur. Ses cheveux se sont déroulés, elle a rejeté son lamba et sa belle robe jaune paraît blanche sous la lune. Elle se sent toute seule, loin des bruits familiers, et toute petite dans la nuit immense. Il lui paraît qu’il n’y a plus qu’elle au monde et sa douleur qui remplit l’univers. Elle appuie sa joue dans sa main, le coude supporté par ses genoux repliés, et reste là, bien vite sans pensée, les lèvres entr’ouvertes, les yeux vagues, perdus dans la lueur stellaire.
La nuit qui fait chanter les feuilles lui rappelle les sons de la valhya[1] et les interminables refrains à danser. Ce souvenir n’est pas une tristesse, non plus qu’un plaisir, à peine une impression qui flotte au bord de l’âme et s’abîme dans l’oubli… La petite ramatoa s’est endormie, la bouche entr’ouverte, les cils humides, ainsi qu’un enfant malheureux.

*

Un craquement se perçoit dans la nuit ; un bruit furtif, un pas léger approchent… La jeune fille dort toujours… Un adolescent est debout devant elle et la regarde. La sensation d’une présence trouble la dormeuse, ses paupières battent, sa tête fléchit et se relève, elle entr’ouvre les yeux.
Elle aperçoit le jeune homme et n’éprouve ni peur ni surprise. Là-bas, dans la grande Ville, les jeunes gens viennent aussi, le soir, parler d’amour. Il la voit éveillée et s’assied auprès d’elle ; il la salue et elle répond avec retenue, ramenant son lamba sur ses épaules. Il dit son nom et parle de ses parents, de son village situé à un jour d’ici.
Elle répond encore, mais des larmes voilent l’éclat de ses yeux… Elle se souvient de ceux qu’elle a quittés, et de son pays qu’elle ne reverra point…
« Ne sois pas triste, dit le jeune homme, ici nos parents, nos amis viennent nous voir ! ici l’on aime, ô belle des belles ! »
Un rayon de chaude lumière pénètre le cœur de la jeune fille. Elle sourit : comment a pu venir l’amant au village des femmes ? Il indique le mur franchi sans peine et prend entre ses mains les doigts légers de l’enfant ; leurs souffles se mêlent…
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France



[1] Instrument de musique rappelant la cithare.


L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
  • Lulu, intermédiaire habituel de la Bibliothèque malgache, au format epub - sans couverture: 6,99 €
  • Amazon, qu'il est inutile de présenter, au format Kindle (Calibre, un logiciel gratuit, permet de convertir aisément en epub si on ne possède pas de liseuse spécifique): 7,49 €

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire